Malgré la crise de la fermeture de sa frontière commerciale avec Melilla et les reports des visites au Maroc de Pedro Sanchez et du roi Felipe VI, Madrid ne lésine pas sur les moyens pour défendre Rabat auprès de l'Union européenne. L'Espagne est-elle en train de supplanter la France en tant qu'avocat du Maroc au sein de l'Union européenne ? La décision du Conseil de l'Europe, à l'occasion du sommet de Bruxelles des 17 et 18 octobre, d'accorder une aide supplémentaire à Rabat pour faire face à l'immigration clandestine est due en grande partie au fort lobbying espagnol. Une opération savamment menée durant les derniers mois et qui a coïncidé avec l'arrivée au pouvoir du socialiste Pedro Sanchez suite à une motion de censure réussie en juin dernier. Depuis, d'influents membres au gouvernement se sont relayés pour multiplier les annonces officielles plaidant la cause marocaine auprès de l'Union européenne, aidé en cela par le changement de la route des réseaux d'immigration de l'Est à l'Ouest de la Méditerranée. Des déclarations et des visites Dans le rôle de chef d'orchestre qui donne le tempo à ses ministres, Pedro Sanchez a adressé une lettre à Jean Claude Junker, le président de la Commission européenne, et pu convaincre la chancelière allemande, Angela Merkel, du bien-fondé de soutenir financièrement le Maroc. Les ministres ont ensuite pris le relais sur la scène européenne. «Le Maroc fait face à un important flux migratoire de personnes en provenance du Sahel (…) Le gouvernement d'Espagne estime que le Maroc nécessite également des aides de l'Union européenne», affirmait début août la ministre de la Défense, Margarita Robles. Le 3 octobre à Rabat, c'est au tour de la secrétaire d'Etat à l'immigration d'être plus explicite. «L'Espagne sera la voix du Maroc auprès de l'Union européenne», a-t-elle promis. Et le jeudi 18 octobre, le chef de la diplomatie espagnole annonçait que «le Maroc mérite un meilleur traitement» de la part de l'UE. Une phrase qui n'est pas sans rappeler celle prononcée par Zapatero en avril 2004 devant les députés lors du vote de confiance de son gouvernement. Cet enthousiasme, loin d'être désintéressé, a été accompagné de nombreuses visites de ministres espagnols au Maroc. Fernando Marlaska a l'Intérieur a effectué deux déplacements, respectivement en juin à Rabat et en août à Tanger. Borell a rencontré son homologue marocain à deux reprises, en juin à Rabat et en septembre à New York à l'occasion de la 73e session de l'Assemblée générale de l'ONU. Sans oublier l'arrivée début octobre de Mme Rumi, citée plus haut. Une France timide Face à cet empressement espagnol, il est lieu de constater la timidité de la position française sur le sujet. Ce contraste entre les deux attitudes répond-t-il à une répartition des rôles entre Paris et Madrid ou est-il le symptôme d'un léger coup de froid dans les relations maroco-françaises ? Certes l'ancien ministre de l'Intérieur, Gerard Collomb, dans une interview accordée le 18 septembre à l'Express a invité l'UE à aider financièrement le Maroc et l'Algérie pour empêcher les départs de migrants en direction de l'Europe, néanmoins ces déclarations ne s'inscrivaient pas, comme c'est le cas pour le voisin ibérique, dans le cadre d'une stratégie gouvernementale. Un autre point frappant dans l'état des relations entre Rabat et Paris est le peu de visites de ministres français au royaume comparé au chassé-croisé de leurs homologues espagnols. Même l'arrivée du chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian, initialement fixée pour le 10 septembre, a été reportée sine die. Les deux ministres des Affaires étrangères n'ont pu se réunir en marge de l'Assemblée générale des Nations unies à New York. Quant à la visite d'Emmanuel Macron au royaume annoncée en septembre par des médias marocains, elle n'a pas eu lieu. Mais malgré ce coup froid, l'apport de la France sur la question du Sahara occidental reste déterminant au Conseil de sécurité.