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Maroc : Face à la faillite politique, ne reste que la protestation
Publié dans Yabiladi le 13 - 10 - 2018

Face à un champ politique sclérosé et à un espace public contrôlé, les Marocains expriment leur insatisfaction sur les réseaux sociaux. Est-ce à dire que la colère est simplement «virtuelle» ? Rien n'est moins sûr, car plusieurs basculements se sont produits.
«J'ai été mangé le jour où le taureau blanc a été mangé». C'est par ces propos que l'un des coordinateurs des habitants des bidonvilles de Aïn Sebaâ, à Casablanca, a appelé les Marocains à unir leurs forces, se soutenir pour revendiquer leurs droits. Les habitants des bidonvilles, expulsés fin septembre pour être relogés en périphérie de la ville, ont mené un ensemble d'actions : sit-in, manifestations, et ont initialement promis de marcher jusqu'à Ceuta pour demander l'asile politique, avant de se rétracter.
L'histoire du taureau blanc est ancestrale. Trois taureaux – blanc, rouge et noir – ont pu mettre en fuite un lion aussi longtemps qu'ils ont coalisé leurs forces. N'ayant réussi à les attaquer de front, le lion a approché les taureaux rouge et noir, et les a persuadés qu'il n'en avait que contre le taureau blanc. «Si vous me laissez le manger, nous vivrons en paix», a promis le lion. Son vœu lui a été accordé par les taureaux rouge et noir. Quelques jours plus tard, c'est au tour du taureau rouge, puis noir, qui s'est écrié avant de tomber sous les griffes du lion : «J'ai été mangé le jour où le taureau blanc a été mangé.»
«Je dis aux Marocains […] que vous avez laissé tomber le Rif. Aujourd'hui, nous vous appelons à nous soutenir. L'histoire jugera ceux qui ont déserté [les luttes]», a martelé le coordinateur des habitants des bidonvilles face à une caméra. La vidéo a été visionnée plus de 400 000 fois.
L'intérêt de plus en plus soutenu des Marocains pour les mobilisations, même très locales, ainsi que leur changement de ton vis-à-vis du roi, dit toute une mutation de l'attitude de la société marocaine. Chaque système politique comporte des seuils et des niveaux de violence. Une fois que cette violence dépasse son seuil routinier, elle peut produire une rupture. De toute évidence, le décès de Hayat en a été une. L'usage des armes à feu par la police est très régulé, et il est rare que l'armée marocaine se confronte à des ressortissants de son pays. Ce drame a provoqué des réactions vives. A cette rupture, a répondu en miroir une autre, qui s'est exprimée du côté des Marocains, de sorte qu'on assiste, depuis quelques semaines, à un déferlement de critiques vis-à-vis de l'institution monarchique. Au royaume, plus que des lignes rouges qui, une fois dépassées, font s'abattre une coercition cinglante – les arrestations liées à la critique du roi ont baissé ces dernières années –, c'est bien plutôt un impératif de la modération intériorisé par les Marocains qui conduit à l'autolimitation des discours et des revendications. Mais le décès de Hayat Belkacem semble avoir fait voler en éclats cette barrière.
Empêcher les ultras de jouer un rôle moteur
La gestion des actions protestataires ayant suivi le décès de Hayat Belkacem est également révélatrice de l'évolution des modalités de la pacification de la rue. Les autorités cherchent à aménager des marges où s'exprimerait la colère des Marocains, tout en contenant la contestation. Vendredi 28 septembre, une manifestation appelant à rendre des comptes après la fusillade ayant coûté la vie à Hayat s'est tenue à Tétouan. Organisé en marge d'un match de l'équipe locale par les Los Matadores, un groupe d'ultras de la ville, le rassemblement a été suivi d'actes de vandalisme commis par des casseurs.
La police n'a pas interdit la manifestation, ni n'est intervenue pour la disperser. Le lendemain, elle a procédé à l'arrestation de neuf personnes impliquées dans les actes de vandalisme et a convoqué les meneurs du groupe d'ultras pour les sermonner. Les autorités ont notamment reproché aux leaders leur faible capacité d'encadrement, tout en les tenant responsables d'éventuels débordements dans le futur.
Un jour plus tard, les autorités de Casablanca, la métropole économique du Maroc, ont tenu une réunion avec les ultras du Raja pour les dissuader de proclamer des chants particulièrement critiques envers l'Etat, lors du match opposant leur club à l'équipe libanaise Salam Zgharta.
Les ultras de Tétouan n'ont pas mené d'autres actions en hommage à Hayat. Ils ne semblent pas s'être inscrits dans une logique de poursuite de la contestation, malgré la très forte solidarité externe. Si les groupes d'ultras sont habitués à s'engager pour certaines causes relevant de l'actualité, les initiatives restent ponctuelles du fait, d'une part, de leur secondarité (un groupe d'ultras est principalement tourné vers le football et c'est, en premier lieu, cet engagement qui unit ses membres), de l'autre, de son très fort coût : quelques mois auparavant, les autorités marocaines ont levé l'interdiction sur les groupes d'ultras. Cette trêve – conditionnelle et conditionnée – a fait entrer les groupes d'ultras dans un rapport négocié avec les autorités, ce qui implique le respect de certaines règles relatives à l'encadrement, à l'organisation, etc.
Cette levée de l'interdiction, décidée sur le mode de la dérogation plutôt que du droit – aucune loi n'autorise ni n'interdit les groupes d'ultras au Maroc – rend le coût de l'action protestataire élevé en cas de débordement : le groupe pourrait être interdit ou dissout. Du moins, il se verrait privé des ressources matérielles et financières dont il bénéficie en étant autorisé. Cette mesure a donc enclavé les groupes d'ultras, empêchant le développement d'une contestation organisée par eux, comme a été le cas en Egypte en 2011.
Plus largement, les modes de gestion des manifestations par l'Etat marocain semblent avoir évolué : à l'interdiction et à la répression, l'autorisation et la canalisation sont privilégiées quand l'occasion le permet. Les autorités semblent également vouloir construire des liens plus polissés avec les groupes protestataires. Ces positionnements sont facilités par l'institutionnalisation de l'action manifestante au Maroc, surtout dans le milieu urbain. La mise en place de certaines «règles du jeu» tacites ou explicites (organisation, slogans, parcours, etc.), acceptées par manifestants et forces de l'ordre, permet de limiter les affrontements.
Mais si le leadership du corps sécuritaire semble avoir une réelle volonté de moderniser les forces de l'ordre, des abus demeurent. Ils peuvent déclencher des drames conduisant à une mobilisation très large. Des actes de violence sont commis, et la dispersion des manifestations est parfois marquée par des excès. La formation aux droits humains, lancée récemment, est une piste suivie pour limiter les abus. D'autres pistes, comme l'élévation du niveau social des recrutements, la syndicalisation et une plus grande intégration des femmes ont pu porter leurs fruits ailleurs. En outre, une modernisation des textes législatifs relatifs à l'organisation de la police et aux libertés publiques s'impose.
Le discours officiel mis en équation
En dehors de la manifestation menée par les ultras de Tétouan, le décès de Hayat Belkacem a produit une mobilisation émotionnelle qui, jusqu'à présent, ne s'est pas traduite dans la rue. Est-ce à dire que ce drame est condamné à l'oubli ? Rien n'est moins sûr, car il a produit un basculement. A travers les réseaux sociaux, les mobilisations les plus locales tentent désormais de se mettre en interconnexion les unes avec les autres, de se soutenir pour mieux se renforcer. Plus que jamais, les réseaux sociaux contribuent à décloisonner les différents espaces et groupes qui forment la société marocaine. Ce processus pose les bases d'une solidarité qui, à l'occasion, pourrait être orientée vers une action protestataire, si l'enjeu s'y prête.
A cette hyper-visibilité des injustices, s'est greffée une solidarité horizontale entre Marocains. Le discours désormais utilisé par les manifestants y aide. De plus en plus, «les choses sont nommées par leur nom». Les causes sont publicisées, les problèmes publics et politiques liés les uns aux autres, le binôme autoritarisme-faible développement est pointé du doigt, et la rhétorique officielle qui surprotège le roi du blâme et écarte sa part de responsabilité est éventée.
En plus de la critique du roi, qui prend dorénavant des voies plus directes et des proportions inédites, c'est tout un désaveu de l'Etat et de ses symboles qui s'exprime de manière très forte. L'hymne national a été hué lors du match de l'équipe de Tétouan. Des drapeaux espagnols ont été brandis lors de la manifestation organisée par les ultras de la ville. Nombre de Marocains – issus du nord principalement – ont remplacé leurs photos de profil par des images du drapeau espagnol.
L'idée selon laquelle la politique conventionnelle est définitivement bloquée et ne peut permettre d'impulser du changement s'affirme avec force ; le champ politique faisant partie des principales instances de dialogue et de négociation entre l'Etat et la société, sa paralysie pourrait faire de la rue l'arène de prédilection des groupes souhaitant faire aboutir leurs demandes. Le risque d'une multiplication des mouvements sociaux est donc posé. L'affaiblissement du champ politique et des différents niveaux de médiation est un facteur de fragilité pour la monarchie : les conflits qui, autrefois, restaient sectorisés et pouvaient trouver voie de règlement dans les sphères locale, associative, et plus largement non-étatique, deviennent désormais politiques.
Des réformes profondes
Si le décès de Hayat a été l'événement dramatique qui a accéléré ce mouvement, qui s'exprime avec force sur les réseaux sociaux, ce sont d'autres facteurs qui ont permis sa naissance. La dépolitisation de la sphère publique et la limitation des expressions critiques ont conduit à une politisation de l'usage des réseaux sociaux, qui servent de catalyseur, de lieu de mobilisation, mais aussi d'arène protestataire virtuelle – le cas du boycott en est le meilleur exemple. En couplant espace public et espace social, les réseaux sociaux ont permis et l'expression et la diffusion de causes, de demandes et de revendications.
Autant l'espace public officiel reste un lieu où s'opèrent différents filtrages, voire une certaine censure, les réseaux sociaux servent d'espace public «clandestin», où «l'indicible» a droit de cité, et la parole longtemps restée en réserve exprimée. Ce qu'une grande partie des médias et des discours officiels évacuent, les réseaux sociaux le captent. C'est à travers eux que s'expriment «des façons de publiciser la société, de la rendre communément visible et intelligible», celle que les dispositifs de régulation actuels empêchent d'être exprimées dans la sphère publique officielle, et donc empêchent d'être représentées.
Mais l'évolution la plus notable est sans doute la suivante : la monarchie n'apparaît plus inexpugnable. Elle a, jusqu'à présent, donné l'impression de croire que sa légitimité historique est atemporelle. Peut-être a-t-elle également cru que son ancrage historique l'immuniserait contre les bouleversements ; ce mythe d'historiographe a été mis à mal ces derniers jours. Le champ des possibles politiques s'est élargi, et la monarchie s'est retrouvée, le temps d'une montée de la colère populaire, exclue de certaines équations politiques. Si le contexte actuel semble de prime abord défavorable à la monarchie, il peut également constituer une opportunité : le roi peut avoir les coudées franches pour lancer des réformes d'envergure, et proposer un nouveau projet de société sans avoir à se préoccuper des équilibres établis. Il serait assuré du soutien de ses citoyens, qui sont demandeurs de réformes profondes.


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