Depuis juin dernier, le Parti historique de l'Istiqlal, à travers son nouveau secrétaire général Nizar Baraka, mène une opération visant une «réconciliation partisane avec le Rif». Rappel historique de Maâti Monjib et décryptages des politologues Abdessamad Belkebir, Omar Cherkaoui et Abderrahim El Allam. Le Parti de l'Istiqlal intensifie ses opérations visant le Rif. Le 6 juin dernier déjà, son nouveau secrétaire général, Nizar Baraka, était à Al Hoceima, où le parti organisait une rencontre partisane pour discuter de plusieurs questions intéressant cette province du nord du Maroc. Au lendemain des peines prononcées par la Chambre criminelle près la Cour d'appel de Casablanca à l'encontre de 52 détenus du Hirak, Noureddine Mediane, présidnet du groupe parlementaire de la Balance et originaire du Rif, avait effectué une visite aux familles des détenus. Hier encore, Nizar Baraka, accompagné de Chiba Maelaanine, président du Conseil national du parti d'Allal El Fassi, étaient chez Driss El Yazami et Mohamed Sebbar, respectivement président et secrétaire général du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH). Une rencontre qui s'inscrit, à en croire le site officiel de la Balance, dans le cadre d'une récolte d'information destinée à reconstituer la vérité sur l'implication des leaders du Parti de l'Istiqlal dans les événements du Rif de 1958-1959. Le parti compte présenter ses excuses aux Rifains en cas d'implication avérée de ses membres. L'objectif : tourner définitivement la page de ces événements dramatiques, affirme-t-il. Corriger les erreurs du passé sans en «avoir peur» Sur les raisons de cette mobilisation, l'historien Maâti Monjib rappelle que «lorsqu'il y a eu la rébellion du Rif en 1958-1959, le Parti de l'Istiqlal était au gouvernement». «Cela a commencé avec le gouvernement de Balafrej au milieu de l'automne de 1958, avant de finir avec la répression militaire de janvier 1959 et le début du gouvernement Abdellah Ibrahim», poursuit-il. «Le Parti de l'Istiqlal était impliqué, si on peut dire, malgré lui dans cette répression de la rébellion rifaine. Je pense que le parti veut montrer sa réprobation des lourdes peines des détenus du Hirak, qui nous rappelle la rébellion de 1958-1959, et en même temps se réconcilier avec le Rif qui brandissait des slogans critiquant le parti.» Maâti Mounjib Le parti créé par Allal El Fassi dans les années 1940 réussira-t-il à réconcilier les Rifains avec l'Etat ? C'est la question que nous avons posée à Abdessamad Belkebir, ancien député parlementaire, politologue et professeur à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech. «Notre histoire est confuse puisque la réconciliation devait avoir été faite par l'Instance équité et réconciliation», rappelle-t-il. Soulèvement du Rif (1958) : Lorsqu'Abdelkrim Khattabi a demandé le soutien de Gamal Abdel Nasser «Les différents intervenants ont même convenu d'écarter les événements d'avant 1960 de toutes querelles politiques et que ce passé fasse l'objet de recherches scientifiques pour notamment la préservation de la mémoire», poursuit-il. «Le dossier est ré-abordé encore une fois suite aux événements d'Al Hoceima. Nous retournons cette question à la politique et à l'idéologie. C'est bien de faire des pas dans ce sens, les peuples ne doivent pas avoir peur de leur passé et doivent y faire face comme un miroir, mais ce passé est toujours utilisé comme moyen politique dans le présent.» Abdessamad Belkebir Reconstruire son image politique avec la bénédiction de l'Etat ? Selon le politologue et ancien USFPiste, il est clair que l'Etat «parie» sur le Parti de l'Istiqlal. «Historiquement et socialement, l'Istiqlal a été saisi par l'Etat et selon l'expérience, les partis historiques s'avèrent disposer de capacité à résoudre les problèmes et à faire de la médiation», poursuit Abdessamad Belkebir. Pour lui, «le dossier du Rif doit être résolu par l'Istiqlal et l'Etat va l'assister, puisqu'il doit se débarrasser d'une accusation qui le suit». «Avant tout, c'est une occasion pour la Balance d'intégrer une nouvelle élite rifaine et qu'il fasse une autocritique», conclut notre interlocuteur. Mais le politologue Omar Cherkaoui considère, de son côté, qu'«actuellement, il ne faut pas remettre en question les initiatives de l'Istiqlal». «Ce qui est fait actuellement par ce parti, abstraction faite des objectifs, est censé être fait par les autres formations politiques», poursuit-il. «Les partis sont des institutions de médiation, de recherche de solution et de liaison entre le centre et l'extrémité, l'Etat et le peuple. Les démarches du Parti de l'Istiqlal rentrent donc dans le cadre des missions normales des partis politiques, même si d'autres formations ont abandonné ces missions-là.» Omar Cherkaoui Le professeur universitaire affirme aussi que «la mobilisation de l'Istiqlal a ses objectifs, tout comme chaque pas des politiques». «Il est vrai que le parti tente de se construire une image politique nouvelle après l'ère de Chabat, tente d'agrandir la base de sa légitimité et essaye de retourner en force sur le devant de la scène», note-t-il. «Mais nous avons besoin de politiques entreprenant ce genre d'initiatives et qui aident à trouver une solution à cette problématique», se rattrape-t-il. Al Hoceima : L'histoire d'une région entre militarisation et marginalisation Se réconcilier avec le passé en se focalisant sur le présent Mais si Abdessamad Belkebir voir qu'il «n'y pas de mal à rallier entre les objectifs partisans et politiques», le professeur de sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, Abderrahim Elaalam, y voit une tentative pour «promouvoir la nouvelle direction de l'Istiqlal tout en réanimant le parti et en se préparant aux prochaines élections». «Une tentative aussi pour présenter une nouvelle direction courageuse, capable de se mêler à l'un des dossiers les plus difficiles», nous explique-t-il. «C'est vrai que l'Istiqlal avait été accusé de plusieurs choses s'agissant du Rif et des dix jours durant lesquels des villages et des villes ont été bombardés par les avions de Hassan II, alors prince héritier. Mais le parti et Nizar Baraka doit se concentrer sur l'heure actuelle. Il doit plutôt intervenir pour la libération ou le soutien d'une amnistie générale des détenus du Hirak du Rif.» Abderrahim Elaalam Pour lui, «l'appel à une amnistie générale doit au moins être soutenu par le Parti de l'Istiqlal et d'autres formations politiques» qui ont déclaré leur dénonciation des verdicts prononcés contre des jeunes du Rif. «Si historiquement, ces partis ont négativement réagi vis-à-vis des revendications des grands-pères des détenus du Hirak, ce que l'Istiqlal peut proposer, c'est son intervention en faveurs des petits-fils pour permettre à la région de sortir de sa misère», nous déclare-t-il. Et Abderrahim Elaalam de conclure : «le Rif vit à nouveau un autre drame et si la réconciliation ne vise que l'ancien drame, je crois qu'elle est carrément déplacée.»