Touria Lahrach, coordinatrice du groupe parlementaire de la Confédération démocratique du travail (CDT), a rencontré les militants du Hirak bien avant leur arrestation et leur condamnation à de lourdes peines. Egalement membre du bureau exécutif du syndicat, elle a fortement interpellé l'exécutif sur cette question depuis plus d'un an, notamment le ministre de l'Intérieur à la Chambre des représentants. Que pensez-vous de la fin donnée au procès visant Nasser Zefzafi et 52 autres manifestants du Hirak ? Ce qui s'est passé mardi nous laisse sans voix, c'était complètement inattendu. Je condamne ce verdict car ce n'est pas possible de se retrouver dans une telle situation, après toutes les réformes pour lesquelles nous avons milité pendant de longues années au Maroc. Je dirai à ceux qui ont prononcé ce verdict qu'il faut lire la Constitution marocaine, parce que c'est notre référentiel à tous. Le ministère d'Etat chargé des droits de l'Homme est également interpellé. Il nous dira certainement qu'il est pour l'indépendance de la justice, mais ces condamnations donnent matière à réfléchir. Elles posent de grandes questions sur la manière de gouverner. Nous sommes partis du principe qu'il existe une Constitution protégeant les droits et les libertés, notamment les libertés d'expression et d'action. Nous sommes donc sidérés face à un tel jugement. Je suis aussi triste et en colère que tous les Marocains et les familles des condamnés. Peu après les arrestations ayant donné lieu à ce procès, vous aviez interpellé Abdelouafi Laftit (le ministre de l'Intérieur) au sein de la Chambre des représentants. Voyez-vous un retour en arrière dans la réaction gouvernementale au Hirak ? Je maintiens ce que j'avais dit il y a un an au sein du Parlement, en m'étant adressée au ministre de l'Intérieur, car il y a quelque chose qui va mal et sur lequel le doigt n'a pas été mis. Au niveau de toutes les organisations de droits humains, nous avons considéré que ces arrestations n'avaient pas lieu d'être et aujourd'hui, nous sommes justement dans l'incompréhension totale face à ce verdict. Nous avions connu de pareilles condamnations pour 20, 15 et 10 ans de prison à cause de manifestations, mais c'était avant la mise en place de l'Instance Equité et Réconciliation (IER) et avant la réforme constitutionnelle. Depuis, nous nous sommes dit que nous avions tourné la page après avoir longtemps milité pour ne plus revivre cela. Les gens qui ont déjà vécu de telles situations par le passé sont très en colère et notre pays n'a pas besoin de cela. Avez-vous écrit aux membres de l'exécutif concernant leur traitement des mouvements sociaux ? Oui, à plusieurs reprises. Nous les avons interpellés au sujet des mouvements sociaux à Al Hoceïma, à Jerada, à Zagora et dans toutes les régions où il y a eu des manifestations à caractère social. Nous avons interpellé les ministres de l'Intérieur, chargé des droits de l'Homme, chargé des relations avec le Parlement… Depuis le début de ces mouvements, nous avons demandé des remises en liberté, en appelant également au respect des règles d'un procès équitable. Les concernés sont des citoyens marocains comme nous tous. L'exécutif a réagi en niant les faits de torture ou d'autres violations des droits humains, tandis que nos demandes de mener des enquêtes en gardant les concernés en état de liberté sont restées sans réponse. Que pensez-vous des propos, tenus à un moment par le gouvernement justement, selon lesquels les manifestants du Hirak seraient des 'khawana' à la solde d'agendas étrangers ? Un premier communiqué avait employé ce qualificatif concernant les manifestants, avant un deuxième où les ministres signataires avaient fait leur démenti. De ce fait, ces personnes-là ne sont pas des 'khawana'. J'ai fait partie de ceux qui se sont rendus à Al Hoceïma à la rencontre des jeunes pour discuter avec eux. J'ai rencontré Nasser Zefzafi, à qui je me suis adressée clairement sur cette question. Il m'a présenté le cahier revendicatif où je n'ai relevé que des revendications sociales. Je considère que ces dernières sont intimement liées aux revendications politiques, parce que lorsqu'on évoque des demandes d'ordre social, cela veut dire que la gestion de la chose publique est défaillante. C'est un problème de justice géographique. Les habitants des périphéries des villes, du sud du Maroc, du Rif, d'Arfoud, de Zagora et d'ailleurs vivent avec un sentiment d'iniquité sociale et d'injustice territoriale. Ils revendiquent des droits, ce qui est totalement légitime. S'organiser pour en faire parler, dialoguer et être à l'écoute est la meilleure chose qui puisse arriver, car c'est cette démarche-là qui fera avancer le Maroc. Etes-vous favorables à l'idée d'une amnistie pour les détenus du Hirak ? Au niveau de la CDT et au moment de notre Dialogue social avec le gouvernement, nous avons soutenu qu'il fallait une amnistie et une révision de la situation de celles et ceux poursuivis dans le cadre de dossiers politiques. On ne peut pas argumenter en faveur de telles sentences. Le Maroc a besoin d'une réconciliation qui doit être politique et sociale.