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Chronique littéraire : Cherche couveuse désespérément
Publié dans Yabiladi le 19 - 06 - 2018

Les intentions et plans d'actions se fracassent sur l'autel de la réalité cruelle de la mortalité des nouveau-nés ou ceux des conditions de vie des handicapés à vie à cause d'un accouchement malheureux.
- «Docteur, je sais que vous êtes impliqué dans la santé des nouveau-nés, n'auriez-vous pas une couveuse pour une naissance de ce jour sur Casablanca ?» Voilà le message que j'ai reçu sur ma messagerie Facebook.
«La couveuse sert juste à réchauffer le nouveau-né. C'est d'une place en néonatalogie dont vous avez besoin. Je sais que le service de néonatalogie du CHU de Casablanca est toujours plein (il ne possède que 17 places selon mes informations), alors essayez l'Institut de la Goutte de Lait, c'est payant, moins que le privé, et ensuite organisez une collecte.»
- «On a essayé le CHU, c'est surbooké et la Goutte de Lait n'a plus de place. On nous a dit qu'il faudrait une place à ce nouveau-né avant la nuit.»
Pendant la suite de la conversation, j'essaie d'aider de mon mieux en essayant de comprendre les conditions de l'accouchement et l'état de santé de ce nouveau-né, visiblement mal en point, en expliquant qu'il y a actuellement des méthodes de réchauffement et que le pédiatre de la structure d'accouchement pourrait peut-être s'en occuper quand même, mais rien n'y fait. La conversation reste suspendue à la couveuse et à un prix de 50 000 dirhams (environ 5 000 euros) pour une semaine.
La réanimation néonatale a un coût bien évidement, mais quand le business pointe son nez avec le chantage à la vie, on perd le nord et même une partie de soi.
Chute du nombre d'infirmiers
Imaginez qu'une structure publique ou privée demandant à un malade désarmé avec un nouveau-né qui a besoin d'une prise en charge urgente, de se débrouiller lui-même pour trouver une place dans une unité de soins intensifs, résumé sommairement par une couveuse pour le peuple. C'est juste ahurissant. Dans les pays qui respectent leurs populations, le système s'occupe de tout cela, en accompagnant les parents pour la gestion de leur stress. Ici, on obnubile la famille par la recherche de moyens salvateurs.
Comme si le fait de mettre un prématuré ou un nouveau-né souffrant dans une couveuse, qui encore une fois ne sert qu'à le réchauffer, allait être sauvé !
La néonatalogie est une hyper-spécialité de la pédiatrie qui demande certes des moyens conséquents, mais également une certaine compétence. Sans oublier un nombre suffisant de praticiens formés à cet art et la présence en permanence d'un médecin sur place.
Dans le pays du soleil couchant où on demande à la famille de trouver une place, tandis que la santé du nouveau-né se dégrade de minute en minute, on ne fonctionne pas comme en Occident dont on souhaite mimer la médecine sans se donner les moyens. J'ai visité un grand service d'une soixantaine de places d'un CHU qui fonctionne avec un seul professeur d'astreinte 24h/24h, nous dit-on, même pendant les congrès à l'étranger et les vacances, ce qui est juste impossible humainement et techniquement.
Ce sont les médecins en formation (les résidents) sans pédiatre sénior qui assurent la permanence des soins. Quant aux infirmiers, leur nombre a chuté suite à la politique de départs à la retraite sans remplacement et du peu de recrutement. Pour information seulement, parce que la comparaison n'a pas lieu d'être, j'ai travaillé de longues années dans une maternité de niveau 3 en région parisienne. Le service de néonatalogie n'avait que huit places et où se trouvaient un médecin sénior et un interne et qui étaient de garde toutes les nuits avec la présence de cinq praticiens la journée. Je ne pense pas que l'administration des hôpitaux avait juste envie de payer ces praticiens de haute volée à ne rien faire mais que l'exigence de la qualité des soins imposait ceci.
L'exception n'a jamais fait la règle
Dans les hôpitaux régionaux et provinciaux marocains que j'ai pu visiter, les pédiatres essaient tant bien que mal de faire de leur mieux, et ceci n'est pas la question puisque les résultats sont décevants. On n'a pas développé les moyens d'assistance respiratoire, même s'il existe actuellement des méthodes moins agressives que l'intubation. Ce qui diminue drastiquement les chances de survie chez les nouveau-nés souffrants, prématurés et infectés.
Et tout ce désastre commence en amont, du mal suivi des femmes, jusqu'aux prises en charge médiocres ou parfois inexistantes des maladies de la grossesse, comme la gestion des menaces d'accouchements prématurés ou la rupture des poches des eaux, voire le diabète ou l'hypertension artérielle de la maman. Tout ceci occasionne des accouchements prématurés avec des nouveau-nés de petit poids et fragiles. Et ce n'est pas parce qu'il arrive à certains de sauver des nouveau-nés de moins d'un kilogramme que c'est possible dans tous les services.
Ceci n'est pas scientifique, parce que l'exception n'a jamais fait la règle.
Enfin et ce n'est pas le plus simple, ce sont les conditions d'accouchements dans les structures publiques, qui se font dans la plupart des cas sans surveillance du rythme cardiaque fœtal en permanence et avec un tracé, seule condition efficace pour dépister les asphyxies fœtales dès leur début et recourir à temps à une césarienne avec les complications chez le fœtus.
Parce que faire une césarienne ou un accouchement tard, c'est déjà trop tard, et si le nouveau-né ne meurt pas, il risque de garder des séquelles toute sa vie.
Alors la question qui fâche : combien coûte un nouveau-né en bonne santé, combien la société est capable de mettre pour avoir des enfants non souffrants ? Et si jamais ils nécessitent qu'on s'occupe d'eux, souhaitons-nous vraiment le faire ?
Les intentions et plans d'actions se fracassent sur l'autel de la réalité cruelle de la mortalité des nouveau-nés ou ceux des conditions de vie des handicapés à vie à cause d'un accouchement malheureux.
Une mise à plat associée à une forte volonté politique, sont nécessaires pour y arriver. Et on peut y arriver en mutualisant les moyens existants et en pensant la naissance autrement.
J'ai commencé à le faire à ma petite échelle en formant les sages-femmes de santé publique aux techniques d'obstétrique d'urgence en incluant la réanimation néonatale en salle de naissance.
Récemment, j'ai entamé des formations en échographie obstétricale pour apprendre aux sages-femmes et aux médecins généralistes des centres de santé à dépister les signes de complications de bien-être fœtal. Et j'attends toujours la participation d'autres collègues à cet effort. Il s'agit de nos enfants. Si on ne s'y met pas tous ensemble pour que les conditions de leurs nouveaux venus au monde s'améliorent, les parents continueront à chercher désespérément une couveuse salvatrice et trompeuse comme des fous…


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