Deux projets de loi ont été adoptés en conseil de gouvernement, avec l'idée de renforcer le dispositif de lutte contre la spoliation immobilière. Mais pour l'Association pour le droit et la justice au Maroc (ADJM), ces amendements ne règlent pas le problème… Jeudi dernier, deux projets de lois liés à la spoliation immobilière ont été adoptés en conseil de gouvernement. Tous deux présentés par le ministre de la justice, Mohamed Aujjar, ces textes sont relatifs à la procédure pénale et au Code pénal, rapporte l'agence MAP. Le premier porte sur le projet de loi n°32-18, modifiant et complétant la loi 22-01 relative à la procédure pénale, suite à la lettre royale du 30 décembre 2016 au ministre de la Justice pour mettre en place un plan d'action à même d'affronter la spoliation immobilière. L'exécutif explique que cette disposition veut «combler le vide juridique en matière des attributions des autorités judiciaires spécialisées», pour permettre à celles-ci de «prendre des mesures conservatoires nécessaires» et «empêcher la cession du bien spolié». En outre, ces projets de loi donnent au procureur du roi la possibilité d'«ordonner des mesures conservatoires visant à protéger le bien immobilier, objet de spoliation, notamment à travers son gel ou l'interdiction de son exploitation tout au long de la période de validité de l'ordre». En vertu de ces modifications, le tribunal peut également «ordonner ces mesures conservatoires» et «statuer sur les mesures conservatoires dictées préalablement», d'office ou sur demande du parquet général ou de l'une des parties. Quant au deuxième texte, il aura pour but d'«unifier les peines relatives aux crimes de falsification à tous les professionnels spécialisés dans l'établissement de contrats aussi bien notaires qu'adouls et avocats», en guise de mesure dissuasive face aux cas de spoliation foncière commise via «la falsification de contrats et de procurations au nom des propriétaires réels, ou à travers leurs cartes d'identité». Le problème trouve sa source ailleurs Ces textes sont arrivés dans les tiroirs de l'exécutif après un travail de mobilisation de longue haleine, de la part du tissu associatif dont l'Association pour le droit et la justice au Maroc (ADJM). Moussa Elkhal, son conseiller juridique, est à la source de la découverte des failles de l'amendement de la loi 39-08, votée en 2011 «en catimini» et permettant la prescription des modifications sur les titres de biens immobiliers au bout de quatre ans. Pour le militant, cet amendement est la véritable source du problème. «Cette loi n'est pas faite par hasard, elle est là pour protéger certains et c'est ce qui est grave. Dès qu'on veut arranger quelque chose ont fait une loi, ce qui veut dire que le Parlement est à la portée de gens peu scrupuleux.» Moussa Elkhal Concernant les deux projets de loi désormais retenus par l'exécutif, Moussa Elkhal nous rappelle l'ADJM en a initié l'élaboration, sur la base d'une pétition riche de 2 000 signatures et d'une lettre adressée au roi Mohammed VI. Par ailleurs, l'association a été reçue le 4 juin dernier par le ministre de la Justice, à qui ladite pétition a été remise, appelant entre autres à l'augmentation des peines de prison et d'amendes punissant les actes de spoliation. «Le gouvernement n'a fait que recopier les éléments que nous lui avons donnés, ni plus ni moins», nous affirme Elkhal, qui regrette cependant ne pas avoir été écouté «plus tôt pour arrêter l'hémorragie». Il estime que ce dossier n'avance pas sans intervention royale. En réponse également aux revendications de l'ADJM, «des promesses ont été faites pour l'abrogation de la loi 39-08», ce qui n'est pas le cas pour l'heure. «Cela ne va pas se faire tout de suite, pour ne pas montrer dans l'immédiat que le gouvernement avait tort», nous confie notre interlocuteur. Au cas où les promesses ne seront pas tenues dans les prochains mois, ce dernier promet de remonter à la charge. «Un coup d'épée dans l'eau» Messaoud Leghlimi, avocat au barreau de Casablanca et chargé de plusieurs affaires de spoliation immobilière, explique à Yabiladi que les deux mesures proposées en conseil de gouvernement constituent un pas en avant, mais qui reste insuffisant au vu de l'ampleur des dégâts causés par ce phénomène. L'avocat rejoint ainsi Moussa Elkhal dans ses conclusions, en nous expliquant que les dispositions de la loi 39-09 donnent lieu à des situations absurdes, autorisées et même reconnues par la loi : «Au moment où une inscription est faite sur le titre foncier et qu'elle dépasse quatre ans sans que son propriétaire ne réagisse, le nouvel acquéreur peut être inscrit définitivement. Dès lors, le propriétaire d'origine n'a que le droit de réclamer des indemnités à l'encontre du falsificateur, protégé par la loi sur la base de la bonne foi. Le ministère de tutelle réfléchit sur la formation d'un fond de garantie pour indemniser l'ancien propriétaire du bien, à l'image de celui régissant les accidents. Ce n'est pas une solution. Les victimes ne veulent pas être indemnisées. Elles veulent regagner récupérer leurs biens, que les actes faux soient définitivement écartés de la conservation foncière. Il faut que justice soit faite et être indemnisé ne règle pas le problème.» Messaoud Leghlimi, avocat au barreau de Casablanca Notre interlocuteur nous explique, par ailleurs, que «la nouvelle législation prévoit que les acteurs de ce domaine soient pénalisés comme tous les faussaires, dont les adouls, les notaires et les avocats qui rédigent des actes de vente de biens sans s'assurer que le vendeur soit le véritable propriétaire». Pour Me Leghlimi, «le ministère de la justice veut arriver à ce niveau-là d'application de la loi. C'est une mesure de plus dans le mécanisme de la protection des biens, mais ce n'est pas une réelle solution pour la lutte contre la spoliation immobilière». C'est ce qui a poussé Stéphane Vabre, secrétaire général de l'ADJM, à considérer que les deux derniers projets de loi constituent «un coup d'épée dans l'eau». Il en explique à Yabiladi les raisons : «Nous ne comprenons pas pourquoi pendant ce temps la loi sur la prescription n'est toujours pas abrogée et nous nous interrogeons sur les raisons de ce maintien alors que cet usage n'existe nulle part ailleurs. Le ministère de la Justice nous a reçus et écoutés, mais c'est insuffisant. Nous avons marqué des points positifs lors de cette réunion du 4 juin. Nous avons constaté la volonté ferme de travailler sur le sujet des spoliations, mais concernant ces projets de loi adoptés en conseil de gouvernement, nous n'avions pas eu véritablement de réponse sur ce qui était en cours. On l'apprend aujourd'hui et nous en sommes déçus.» Cette réponse à demi-mot pousse l'ADJM à «persister dans [son] désir de voir la loi 39-08 abrogée», nous confie encore son secrétaire général. «Nous continuerons à travailler pour faire prendre conscience aux autorités de l'importance de travailler sur ce côté-là», promet Stéphane Vabre. Article modifié le 16/06/2018 à 23h33