De nombreux bâtiments art-déco emblématiques de Casablanca sont menacés de ruine ou de démolition. Pourtant ils font partie de la richesse du patrimoine de la capitale économique du Maroc. Comment œuvrent les institutions et les associations pour préserver ce patrimoine en péril ? Casablanca se distingue par son architecture du XXe siècle. Nombre de rues et d'avenues ne sont faites que de bâtiments art-déco (mouvement artistique né au cours des années 1910), mais ces derniers font face à un véritable danger. Le quotidien britannique The Independent y a consacré un article, alertant sur l'urgence de protéger le patrimoine art-déco casablancais. «Casablanca est un musée architectural plein air. Mais, comme dans la plupart des villes, les bâtiments à faible hauteur risquent de disparaître pour laisser place à de plus grands, notamment des tours à plusieurs étages», peut-on lire dans l'article. Celui-ci rappelle d'ailleurs quelques faits : «Après la démolition du Vox – un des plus grands cinémas d'Afrique – ainsi que du théâtre municipal de la ville et les villas modernes, une association essaie de sauver le centre-ville avant qu'il ne soit trop tard.» L'association en question est Casamémoire. Dans ce sens, à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 13 mai, la 10e édition des Journées du patrimoine de Casablanca proposent des visites guidées pour faire connaître ces monuments, sous le thème «Ma ville, mon patrimoine». Contacté par Yabiladi, Rachid Andaloussi, président de Casamémoire et architecte, voit en la sensibilisation un véritable moyen d'alerter les consciences sur ce patrimoine en péril. «Il faut commencer un travail de réconciliation avec soi-même avec son histoire. Il est vrai qu'il y a eu un mauvais rapport à ces bâtiments, vestiges du protectorat français au Maroc. Des démolitions ont eu lieu et les associations, dont Casamémoire, ont rapidement réagi pour œuvrer à travers la sensibilisation, pour pouvoir sauvegarder dans un premier temps et arrêter cette démolition.» «Il y a une plaie qui s'est ouverte, qui fait que tout le monde a renié et a tourné le dos à cette architecture. Il faut cicatriser cette plaie par la sensibilisation, par le travail de longue haleine, à travers des conférences, des écrits, etc.» Rachid Andaloussi, président de Casamémoire Le but de cette sensibilisation est de se «réapproprier les espaces», d'expliquer l'histoire de cette architecture pour «qu'on se reconnaisse quelque part dans ce passé». Casamémoire organise ainsi des projections de films, des conférences et cherche à attiser la curiosité des étudiants. Rachid Andaloussi souhaite qu'un jour, Casablanca soit inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Mais en attendant il alerte : «Tant qu'il n'y a pas de cadre légal qui protège, ces bâtiments sont tous menacés». Loi 22-80 et inventaire Même son de cloche du côté d'Oualid Ismail Saad, conservateur régional du patrimoine à Casablanca-Settat. Contacté par Yabiladi, il déclare que ce patrimoine art-déco «est en péril», sauf la liste «des bâtiments inscrits au patrimoine (un peu plus de 80)». Selon le responsable, le ministère de la Culture ne peut pas agir «sans l'intégration de la préservation dans les documents de l'urbanisme». Les dispositions de la loi 22-80, régissant la sauvegarde du patrimoine, «restent les seuls pouvant être opposables aux tiers», ajoute Oualid Ismail Saad. «Nous ne cessons de répéter qu'il faut des plans de sauvegarde. Aujourd'hui, tout cela est à l'état embryonnaire, mais il faut vraiment que les documents de l'urbanisme la suivent.» Oualid Ismail Saad, conservateur régional du patrimoine à Casablanca-Settat Le département chargé de la conservation du patrimoine culturel au sein du ministère de la Culture a organisé des campagnes de sensibilisation au profit d'enfants et a entamé une étude d'inventaire du patrimoine art-déco. 2000 bâtiments ont été inventoriés sur la région Casablanca-Settat. Le but est de «créer un système d'information géographique (SIG) (conçu pour recueillir, stocker, traiter, analyser, gérer et présenter tous les types de données spatiales et géographiques) et le développement d'une application SIG avec l'intégration des données de l'inventaire et que ça soit diffusé sur le web pour que tout le monde puisse y accéder», explique le conservateur. Toutefois, beaucoup d'actions restent à mener pour préserver ce patrimoine en péril. «Toutes les parties prenantes doivent mettre la main à la pâte, y compris l'agence urbaine, la collectivité territoriale avec la région, la commune et la préfecture et les représentations ministérielles.» Oualid Ismail Saad, conservateur régional du patrimoine à Casablanca Settat