«Kant et la petite robe rouge» (La Cheminante, mars 2011) est l'histoire d'une métamorphose, celle d'une femme qui troquerait volontiers sa burqa contre une robe rouge. Il s'agit là d'une fable philosophique pleine d'optimisme portée par une écriture simple, mais précise et émouvante. Tout en choisissant une narration au présent et à la troisième personne, Lamia Berrada-Berca réussit à s'infiltrer au sein de l'intimité d'une jeune femme n'ayant jamais appris à dire «je», de l'image qu'elle se fait d'elle-même ainsi que de sa représentation du monde environnant. Elle retrace de la sorte, et avec beaucoup de finesse, sa conquête pénible de la liberté tout en cernant au plus près les mouvements doux de sa transformation intérieure, avant même que ces derniers ne se manifestent progressivement à l'extérieur. Un enfermement éternel Lamia Berrada-Berca aborde ici un sujet souvent polémique : celui de l'enfermement. L'enfermement d'Aminata au sein de son appartement, où elle se retrouve seule à chaque fois que son mari rejoint son travail et que sa petite fille part à l'école. L'enfermement de la langue qu'elle ne comprend pas, et qu'elle ne parle pas. Et enfin l'enfermement de la burqa, qu'elle doit porter quand elle sort faire ses courses dans le quartier et qu'elle chemine dans l'espace que son mari lui a précisé. Un désir d'émancipation Sauf que le cheminement d'Aminata, cette jeune femme qui a été mariée jeune dans son pays d'Afrique du Nord, et qui a débarqué en France, va changer petit à petit. Elle va écarter le voile des traditions et des coutumes qui l'écrase. Elle va tenter de retracer sa vie, de trouver sa place, d'oser, enfin, ne pas être qu'une ombre. Un premier événement déclenchera ce changement. Il s'agit de la vue d'une petite robe rouge dans la vitrine d'«une boutique dont elle osera franchir le seuil», dépassant ainsi «la frontière que son mari a dressé à son imaginaire». Depuis le jour où Aminata a vu cette robe rouge, celle-ci se transforma d'emblée en un objet de désir. Aminata a ressenti une forte appétence d'enlever la burqa et d'enfiler la robe rouge. «Une robe est une forme d'idée. Une vision du monde. Un grand désir d'être (…) Mais encore faut-il la porter… La liberté ne se range pas au placard, elle s'affiche», pense-t-elle. L'envie de posséder et de porter cette robe va manifester son désir d'exister en tant qu'individu à part entière. La rencontre des Lumières Plus tard, elle fera une autre révélation venant compléter harmonieusement la première : celle d'un livre de Kant, qu'on a abandonné sur le paillasson de son voisin de palier. Un livre dont elle se saisira comme d'un trésor interdit et qui lui enseignera à lire le monde, tout en lui offrant «la force de se poser d'autres questions et le courage de vouloir y répondre». L'héroïne traversera ainsi un long parcours, découvrant en conséquence l'altérité, en osant devenir visible et regarder l'autre droit dans les yeux, en osant dévoiler son visage et se nommer, enfin en acceptant d'être aussi regardée et nommée. Ce long chemin sera parcouru en étroite interférence avec sa fille qui partagera ses secrets. Inversant la passation intergénérationnelle traditionnelle où les mamans ne pouvaient qu'imiter «leur propre inutilité», elle lui présentera un nouveau modèle, celui d'un désir d'émancipation que cette dernière l'aidera à accomplir. Kant et la petite robe rouge est un livre imbibé de valeurs d'authenticité et d'autonomie. Il s'inscrit ainsi dans le prolongement de ces Lumières que le philosophe allemand avait tenté de définir dans son ouvrage : «Sapere aude» (ose savoir), «aie le courage de te servir de ton propre entendement». Il s'agit là d'une devise demeurant intemporelle et universelle qui vise à montrer le difficile mais unique chemin menant chacun à la liberté.