A l'instar de certains propriétaires ou locataires attirés par l'appât du gain, les autorités locales sont peu regardantes sur les méthodes de construction et la qualité des matériaux. «Se préoccuper des édifices qui s'écroulent plutôt que de la façon de les faire tenir debout tient un peu de l'oxymore.» Le propos est signé Imane Bennani, architecte-urbaniste et directrice de l'Ecole d'architecture de l'Université internationale de Rabat, dans un ouvrage intitulé «L'habitat menaçant ruine au Maroc. Les procédures administratives à l'épreuve des effondrements» (éd. L'Harmattan, 2016). L'axe privilégié en matière d'habitat menaçant ruine (HMR) semble en effet aller à rebours de l'adage «mieux vaut prévenir que guérir». L'actualité vient d'ailleurs nous le rappeler. Samedi matin, l'effondrement d'un toit à Derb Chorfa, dans le quartier Mers Sultan, a fait un mort et un blessé. Un drame qui remet sur la table, si besoin est, l'épineux dossier de ces édifices aux fondations boiteuses, ces constructions plus que bancales et ces logements directement bricolés sur les toits. «Dans le centre de Casablanca, du côté du parc de la Ligue arabe, de l'avenue Mers Sultan jusqu'à la médina, 80% des immeubles – qui datent principalement de l'époque coloniale – possèdent des constructions en terrasse. Certaines datent d'une dizaine d'années, d'autres sont plus récentes», observe Mohamed-Karim Sbai, président du conseil régional de l'Ordre des architectes de Casablanca, joint par Yabiladi. «Or, toute construction en terrasse est interdite à partir du moment où on a déjà atteint le nombre de niveaux réglementaire. Au-delà, on ne peut rien construire du tout, à part la cage d'escalier. Ça créé des surcharges importantes qui peuvent à tout moment engendrer des préjudices pour la stabilité des bâtiments, sans parler des problèmes de plomberie, d'étanchéité et d'électricité…» Du côté des autorités locales, on peine encore à traiter le mal à la racine. «La notion d'HMR (Habitat Menaçant Ruine) utilisée par l'Administration marocaine s'avère basée sur des données peu fiables ou impertinentes pour identifier la nature même des problèmes et, en conséquence, pour mettre en œuvre des moyens d'action efficaces destinés à remédier à une situation que tout le monde s'accorde à considérer comme particulièrement dommageable à la gestion du parc immobilier du pays et pour préserver la vie des habitants», fait remarquer Imane Bennani dans son ouvrage. Client recherche ingénieur peu scrupuleux Mohamed-Karim Sbai décrit également un autre cas de figure ; celui des logements reconvertis en commerces: «Certaines habitations – souvent au niveau du rez-de-chaussée – sont complètement métamorphosées. Elles subissent des transformations illégales, c'est-à-dire sans passer par des professionnels, notamment des ingénieurs et des architectes. Les propriétaires ou les locataires les transforment en magasins, démontent toutes les cloisons internes, parfois même des murs porteurs, percent des trous dans le mur n'importe comment, et tout ça sans aucun contrôle.» Bien entendu, l'administration n'est pas dupe, quand elle n'est pas de connivence avec cet amateurisme, nous explique notre interlocuteur : «Les clients savent à l'avance qu'il est impossible de régulariser ces pratiques, car la réglementation a ses limites. Rien, même pas une petite chambre sur une terrasse, ne peut passer inaperçu. L'administration est au courant de tout.» Derrière les permis de construire délivrés par les autorités locales, il y a bien une équipe d'architectes et d'ingénieurs. Mais là encore, la rigueur est une denrée rare. «Leur rôle a pourtant toute son importance car ce sont les maîtres d'œuvre. Or, beaucoup n'effectuent pas le suivi, ou pas correctement. En général, les clients ne veulent pas faire appel à des professionnels ; ils se tournent vers ceux qui sont le moins exigeants», déplore Mohamed-Karim Sbai. Pas d'amalgame avec les bricoleurs du dimanche Quid des promoteurs immobiliers, dont certains à la réputation sulfureuse ont sapé la confiance des acquéreurs ? «En général, ils ont un minimum de conscience, précise l'architecte. Ils sont organisés car il s'agit de leur réputation. C'est surtout l'auto-construction qui pose problème ; celui qui achète un lot de terrain pour lui-même». Pis encore, parmi les matériaux utilisés, beaucoup ne répondent à «absolument aucune norme, que ce soit la brique, le sable, l'acide ou le béton, selon Sbai. Leurs prix peuvent passer du simple au double. Les produits qui sortent des usines sont plus ou moins contrôlés, mais dès qu'on sort voir ce qu'il y a dans les dépôts, à Casablanca et certainement plus encore ailleurs, il n'y a aucun contrôle sur l'origine de ces matériaux, ni comment ils sont faits.» Au sein de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), on assure que ces pratiques ne sont pas de la maison. «Tous nos membres (180 actifs, 500 au total) sont signataires d'une charte d'éthique, et par conséquent soumis aux normes en vigueur à l'international. Nous sommes particulièrement exigeants sur ce point. Il ne faut pas faire l'amalgame entre les promoteurs et les citoyens qui construisent par eux-mêmes. La FNPI n'a rien à voir avec ce genre de méthodes», nous dit-on. La fédération en veut pour preuve le label Iltizam, qu'elle a créée en 2014 en partenariat avec le ministère de l'Habitat et de la politique de la ville, pour «renforcer les normes de construction, avec en plus un volet sur le développement durable». Interrogée sur la manière dont elle vérifie la conformité de ses promoteurs à sa charte d'éthique, elle se montre en revanche plus approximative : «On se réunit deux à trois fois par semaine. Des réunions du conseil d'administration se tiennent aussi régulièrement. Les thématiques concernant notre profession y sont abordées point par point avec beaucoup de sérieux. Jusqu'à présent, il n'y a eu aucun dérapage par rapport aux règles élaborées par la fédération. Tout va bien, hamdoullah.» Une réponse évasive qui tranche avec la bonne foi dont se revendique la FNPI.