Après avoir clarifié leur position sur le dialogue avec la Région, quatre centrales syndicales à Jerada ainsi que le Parti socialiste unifié (PSU) préviennent des glissements qui ne doivent pas laisser impunis les responsables de la situation économique et sociale de la province. A Jerada, les syndicalistes défendent l'urgence de capitaliser sur les premiers acquis du dialogue avec les représentants de la Région et le gouvernement, afin de garantir la continuité des réalisations sociales et économiques dans la province. Samedi, un communiqué à cet effet a été signé par la Confédération démocratique du travail (CDT), la Fédération nationale de l'enseignement (FNE), l'Union marocaine du travail (UMT) et la Fédération démocratique du travail (FDT), en plus du PSU. Un document publié moins de 24h après un premier, signé cette fois-ci par les partis de la coalition gouvernementale, joints par le PAM, le FFD, l'UGTM et l'UNTM. Dans le communiqué publié samedi, les centrales syndicales et le PSU adoptent un discours modéré. Elles expliquent à Yabiladi prendre acte de l'avancée du dialogue, de la réponse positive à quelques revendications, mais rappellent surtout les autres promesses qui ne sont pas encore concrétisées. Ce n'est sans compter l'atmosphère de tension qui règne dans la ville. En effet, les jeunes du Hirak espèrent que les objectifs fixés avec les quatre centrales syndicales et le PSU ne passeront pas au second plan, sur fond d'une présence militaire accrue et de manœuvres entreprises par les envoyés des barons du charbon au sein des militants. Jerada vit sa militarisation Membre du bureau de l'UMT à Jerada, Mustapha Selouani confie à Yabiladi qu'il y a eu «une militarisation sans précédent», près de deux jours avant l'annonce de la visite dans la région par le Chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani : «La population a même prévu sa présence à Jerada, surtout après la fuite de documents de l'exécutif via internet, suggérant qu'El Othmani pourrait de se rendre sur place. De plus, des vidéos ont circulé, où ont voit le ministre Aziz Rabbah promettre de se rendre dans la ville. Mais 48h avant cette visite, les habitants ont été surpris du revirement d'El Othmani, qui a annoncé sa venue à Oujda et non pas ici. C'est ce qui a fait monter la tension d'un cran. Par conséquent, il y a eu un grand déploiement des forces de l'ordre.» Le militant décrit des quartiers presque assiégés, là où se trouvent les points de rencontre des jeunes du Hirak et des comités de quartiers. Une atmosphère sécuritaire qui n'aide pas souvent, mais avec laquelle les syndicats composent pour mener à bien le dialogue entamé avec la Région. Membre de la FNE, Mohamed Elouali nous l'explique : «Jusqu'à présent, il n'y a pas d'arrestations dans la ville. Mais depuis plus d'une semaine, des quartiers sont fortement occupés par les forces de l'ordre. L'ambiance rappelle le début du Hirak à Al Hoceïma.» Diviser pour détourner l'attention ? Dans ce sens, Mohamed Elouali rejoint le point de vue des autres instances signataires du communiqué pour mettre en garde contre les «pions placés parmi les acteurs associatifs de la part des barons du charbon» : «Ils sont même parmi les syndicats. Certaines personnes ne veulent pas capitaliser sur le peu d'acquis que nous avons pu enregistrer depuis le début des mobilisations et du dialogue avec les autorités. D'autres sont déterminées à mener les jeunes du Hirak droit au mur. Mais nous ne laissons pas ces derniers en proie à ces commis. Nous avons soutenu le Mouvement du 20 février, les mobilisations contre les délogements forcés et les mouvements ouvriers. Nous resterons naturellement derrière les jeunes du Hirak à Jerada jusqu'à ce que les réponses du gouvernement les satisfassent.» Pour Abdelilah Laâlaj, membre du bureau régional de la CDT et du PSU, ces manœuvres initiées par «les barons des mines de charbon et certaines parties qui poussent leurs hommes à intensifier l'offensive contre le dialogue» est l'arbre qui cache la forêt : «Ceux qui le font ont un intérêt personnel à détourner l'attention sur les vraies questions, à savoir la reddition des comptes et la création du comité de suivi des projets de développement dans la région. Ils veulent créer des détenus pour nous occuper à revendiquer leur remise en liberté, à mettre en place des comités de soutien, à suivre les audiences… Toutes les revendications populaires seraient alors réorientées ailleurs et les barons dormiraient sur leurs deux lauriers, car ils ne seront plus en première ligne.» De son côté, Mustapha Selouani nous confie que ce processus a été en marche depuis le début des manifestations dans la ville : «Le mouvement a fait l'objet d'intrusions de la part des barons du charbon, de 'semsara' avides d'argent, qui représentent même une base électorale de certains partis politiques ici, en plus de la jeunesse royaliste, de quelques agents d'autorité et membres des renseignements généraux, disons-le clairement. Il y a aussi des partis politiques qui veulent régler leurs comptes sur le dos du Hirak. En tant que syndicalistes, notre rôle et notre responsabilité est de ne pas laisser passer à la trappe les revendications sociales de la région à cause de ce climat-là.» De son côté, Abdelilah Laâlaj dénonce le modus operandi de ces 'partisans du fiasco' : «Ces sbires vont jusqu'à recourir à l'utilisation de faux profils sur les réseaux sociaux pour haranguer les foules. J'ai alerté les militants là-dessus, pas plus tard que dimanche : Si l'un de nous veut exprimer une position, qu'il l'assume à visage découvert. Créer des tensions en se cachant derrière un écran d'ordinateur dessert d'abord la cause de la population locale et profite à ceux qui auront tout à perdre, lorsque les noms des auteurs des détournements et des activités économiques clandestines ici seront révélés au grand jour et qu'on leur demandera des comptes. La population et les acteurs locaux de la société civile en sont bien conscients.» Le militant admet que les propositions du gouvernement restent en deçà des revendications sociales, mais que les premières questions ayant trouvé leurs réponses au niveau de l'exécutif doivent constituer une base pour avancer sur d'autres plans : «C'est la logique de toute action syndicale et c'est ainsi que nous pourrons continuer à enregistrer des avancées. C'est pour cela aussi que notre principale exigence a toujours été de ne répondre à une invitation pour ouvrir le dialogue avec les autorités que si les jeunes du Hirak sont eux aussi présents. Ils sont directement concernés par ce qui se passe et les inclure est donc un impératif.» Le Hirak ne s'arrêterait pas là Pendant ce temps, les jeunes du Hirak espèrent voir le bout du tunnel dans le cadre des discussions entamées depuis une semaine via les comités de quartiers. Ils devront trancher en faveur de la poursuite ou non la contestation. Aziz El Aytab, membre des jeunes du Hirak à Jerada, nous explique le processus : «Ce qui compte pour nous, c'est de recueillir les points de vue des tous les habitants des quartiers de la ville à travers des comités. Nous avons finalisé cette étape dimanche pour arriver à la conclusion selon laquelle le gouvernement et la région ont réagi à certaines de nos revendications, mais que d'autres sont restées sans réponse. Là-dessus, nous devons continuer notre bataille mais il reste à déterminer la manière de le faire, très prochainement.» Le jeune militant considère que battre en retraite n'est pas une solution dans le contexte actuel, surtout si les forces résistantes au changement peuvent être partout : «Nous militons pour des causes justes. Nous nous attendions à ce que l'Etat recourt à une approche sécuritaire de la même manière que nous sommes en droit de commenter et de questionner les propositions du gouvernement ou de la région. Il n'y a pas de mal à cela. C'est effectivement un terrain miné, où tout le monde n'a pas les mêmes convictions. Certaines personnes sont parmi nous pour faire avorter le processus plus qu'autre chose. Mais nous sommes plus nombreux à souhaiter que cela ne représente pas un obstacle pour rendre justice à la population, qui, elle, n'a rien à voir avec ces objectifs personnels. Tout ce qu'elle veut, c'est une justice sociale effective.»