A travers «Bilqiss», Saphia Azzeddine raconte l'histoire d'un personnage ahurissant que l'on ne peut qu'admirer. C'est à la fois un hommage aux femmes tourmentées partout dans le monde, et un ardent plaidoyer contre l'obscurantisme. Bilqiss est la femme insolente, la femme fauve ; celle qui a toujours dérangé. Mariée de force à 14 ans, elle sera veuve dès l'âge de 20 ans. C'est une personnalité forte, brillante et affamée de savoir. Bilqiss est croyante et pieuse. Elle ne voit dans la religion et en Dieu que l'indulgence et la clémence, au moment où d'autres n'y voient que rancœur et revanche. Toutefois, cette femme rayonnante a eu hélas le malheur de naître là où la place du «sexe faible» est à peine plus souhaitable que celle d'une brebis. Une beauté attrayante Bilqiss va être condamnée à mort. Sa faute ? Avoir eu l'impudence d'appeler sa communauté à la prière, à la place du muezzin. Une vraie profanation ! Une femme ne peut en aucun cas accomplir ce rôle uniquement voué au sexe masculin. L'héroïne sera châtiée tel qu'il le faut. Cependant, au lieu d'une contrition publique visant à susciter la pitié de la foule, Bilqiss est vent debout. Elle trône orgueilleusement face à ses juges et ses tortionnaires. Durant la sentence, Bilqiss ne laisse personne indifférent. Son verbe aigre et bien maîtrisé touche, choque et blesse l'auditoire venu se délecter du spectacle. Ses mots amplifient sa beauté qui séduit la foule. Le juge, déstabilisé, la désire secrètement, ses bourreaux attendent avec impatience le moment de dévoiler son scalp, l'opinion internationale s'émeut de son destin, et les femmes la critiquent extérieurement mais elles l'estiment en secret pour son courage. Un courage qui pousse Bilqiss à brutaliser les fanatiques qui n'ont que le nom d'Allah à la bouche : «(…) vous adorez Dieu mais, Lui, Il vous déteste», leur lance-t-elle. Un sort dramatique Bilqiss heurte les consciences, attise les passions d'une cohue réclamant hystériquement le carnage ; catharsis obligatoire pour une populace bridée et écrasée sous le cruel joug religieux. Elle mourra lapidée, pour l'exemple, pour son audace, son insolence qu'elle assume jusqu'au bout et qu'elle jette à la face du monde, armée d'un calme impassible. Saphia Azzeddine est une plume vive, parfois nerveuse, mais surtout captivante dès les premières lignes. A travers sa Bilqiss, l'auteure nous livre la vision qu'elle se fait de la religion, dans ce joli texte qui marque profondément. Ce qui fait la beauté de ce roman, c'est qu'il ne se laisse nullement engloutir au sein de l'«auto-compassion», ni dans de vains préjugés. C'est tout bonnement l'apanage des grands romans.