Quelques jours seulement après l'exil du Sultan Mohammed Ben Youssef et la famille royale, le mouvement de la résistance nationale décide de passer à la vitesse supérieure, déclarant le début de la lutte armée contre le colonisateur français. Le 7 novembre 1953 et après une première opération de sabotage du train reliant Casablanca à Alger, deux résistants viseront à nouveau cette ligne ferroviaire, en déposant deux bombes, cette fois, à bord même du train, causant à la France coloniale des pertes humaines et matérielles. Histoire. La lutte nationale contre le protectorat français, des premières manigances de la France pour éteindre son contrôle sur le royaume chérifien jusqu'aux dernières révoltes pour l'Indépendance du pays, est passée par plusieurs étapes. Des premières revendications du peuple marocain jusqu'à l'utilisation des armes, la France coloniale franchira en août 1953 une ligne rouge en exilant le sultan Mohammed Ben Youssef et la famille royale. C'est depuis cette date que les opérations visant les intérêts du colonisateur se multiplieront jusqu'au retour du roi du Maroc le 16 novembre 1955. Une première opération visant le train Casablanca-Alger Quelques jours seulement après l'annonce de l'exil du sultan chérifien, des jeunes marocains tenteront à Kénitra de se venger du colonisateur, en causant de grands dégâts matériels et humains à la France. «La cellule de la liberté» est sans aucun doute l'organisation ayant le plus souffert de la marginalisation des livres d'histoire. En effet, le 23 août 1953, les jeunes membres la formant apporteront une toute première réponse des Marocains à l'exil du sultan Mohammed Ben Youssef. Vers 10h30, un commando qui dévissera les rails du train rapide reliant Casablanca à Alger, comme le raconte la page Facebook du résistant marocain Miloud Moussaoui ayant supervisé cette opération. «La cellule dévissera les rails du chemin de fer et les écarte d'environs trente centimètres, ce qui causera la déviation du prochain train express venu de l'Algérie, qui s'écrasera, laissant derrière lui des pertes matériels et humains dont des soldats (…) Suite à cet événement, la Résidence générale mènera une campagne d'arrestations dans les rangs de la résistance nationale et interpellera le groupe et Miloud Moussaoui. Ce dernier comparaîtra devant le tribunal militaire de Casablanca pour être condamné à huit ans de prison ferme avec travaux forcés.» Le train transportait des officiers français venus assister à l'installation de Mohamed Ben Arfa que la Résidence générale venait de nommer comme remplaçant au sultan Mohammed Ben Youssef. Vandaliser le train et causer d'énormes pertes tout en étant un petit commando poussera le colonisateur à revoir sa copie s'agissant de la résistance nationale. Pour cette dernière, l'opération est un succès encourageant pour poursuivre le combat pour la liberté. En 1941, le lancement du train Méditerranée-Niger reliant notamment le Maroc à l'Algérie. / Ph. Huffpost Maghreb A la veille du 7 novembre, Mohamed Zerktouni et les membres de son organisation secrète choisiront comme cible la ligne ferroviaire reliant Alger à Casablanca. La date de l'opération est fixée, tout comme le mode d'emploi, le matériel à utiliser et les personnes qui s'en chargeront. Plusieurs morts, une dizaine de blessés et des pertes d'environ 100 millions de francs En avril 2009, El Hoceine El Araeychi racontait dans les pages du quotidien Al Alam les premiers pas de cette opération. «Après une série d'actions réussies, il a été décidé de porter un coup majeur au colonialisme. Ainsi, le train express Casablanca-Alger a été choisi. Deux bombes, [fabriquée par un mélange] d'explosifs et de morceaux de fer, mises dans des sacs [devaient être déposées à bord du train]», raconte-t-il. Le jour de l'opération, un samedi 7 novembre, Mohamed Zerktouni, Mohamed Mansour, Mohamed Sekkouri et Hassan El Araeychi sont déposés à la gare de Casablanca par Mohamed Ajar, alias Said Bouniîlate. Deux tickets de trains sont achetés, l'un pour la première classe et l'autre pour la deuxième. Dans le septième tome des «Mémoires du patrimoine marocain» (Editions Nord Organisation, 1986), Mohamed Mansour, qui a pris la place à la première classe pour y déposer l'une des bombes, raconte comment les deux résistants devaient déclencher les bombes pour qu'elles explosent au niveau du tunnel ferroviaire qui passe sous le centre-ville de Rabat et mène vers Salé. «J'ai pris donc ma place dans la première classe, au moment où Sekkouri (Mohamed, ndlr) s'est dirigé vers la deuxième. Dès que le train est arrivé en gare de Rabat ville, nous nous sommes dirigés vers les toilettes afin de préparer les deux bombes (…) les détonateurs ont été placés de telle sorte à ce que les bombes explosent lorsque le train arrivera au niveau du tunnel ferroviaire menant vers Salé ou au niveau de Bouregreg, sauf qu'elles n'exploseront qu'après ces deux lieux.» Entre temps, les deux résistants quitteront le train à Rabat. Said Bouniîlate à bord de son véhicule attendait Sekkouri et Mansour pas loin de la gare ferroviaire de la capitale pour rentrer à Casablanca, comme raconte le résistant Mohamed Daher dans les pages du quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki. Mohamed Zerktouni ainsi que Hassan El Araeychi passeront la nuit à Rabat pour s'informer du résultat de l'opération. La gare de Rabat ville dans les années 1950. / DR Dès le 8 novembre 1953, la presse française publiait des numéros spéciaux faisant l'état des explosions au niveau du train reliant le Maroc à l'Algérie. Si El Hoceine El Araeychi parle de «trois explosions, sept morts et une dizaine de blessés», Mohamed Daher fait plutôt état de 11 morts, dont un Marocain, 15 français blessés, et la destruction de trois wagons». Les deux sources évoquent une perte colossale de 100 millions de francs. Après le train, la résistance nationale visera le marché central puis le café Mers Sultan Le 24 décembre de la même année, une bombe explose au marché central de Casablanca faisant 18 morts et 40 blessés parmi les Européens. A la base, la résistance nationale devait viser des intérêts de la France coloniale et des Européens résidant à Casablanca à travers trois bombes. Deux seront découvertes avant d'exploser et seule celle du marché sis boulevard Mohammed V échappera aux autorités coloniales. Dès l'année 1954, la résistance multiplie ses opérations, visant d'abord Thami El-Glaoui dans la mosquée Koutoubia à Marrakech le 20 février, puis le résident général Augustin Guillaume, le 24 mai. L'instabilité criante du royaume chérifien et la mobilisation des Marocains, corps et âme, poussent le gouvernement français à remplacer, dès juin 1954, le général Guillaume par Francis Lacoste. Cependant, ce dernier ne parviendra pas à apaiser la situation dans un Maroc en ébullition. Il est donc remplacé, un an plus tard, en juin 1955, par Gilbert Grandval. Dès son arrivée au Maroc, le nouveau résident général lance une réforme administrative pour rétablir l'ordre et renforcer le rôle de la capitale. Son entrée en fonction coïncide avec le 14 juillet, commémorant la prise de la Bastille et, ainsi, la fête nationale française. Une cérémonie militaire grandiose devait se dérouler sans la présence de Ben Arafa, à qui on associe désormais le titre «sultan des Français». Emeutes entre Marocains et forces de l'ordre le 16 juillet au quartier Mers Sultan. / Ph. Rue des Archives - Granger, NYC Avant son arrivée au Maroc, un attentat mené par six résistants se préparait déjà à petit feu. A en croire le septième volume des «Mémoires du patrimoine marocain» (Editions Nord Organisation, 1986), la résistance accueille Gilbert Grandval par un attentat qui fait 6 morts et une trentaine de blessés européens. Elle fera exposer une bombe devant le célèbre café Mers Sultan à Casablanca.