Dans cette série, Yabiladi fera la lumière sur les organisations secrètes qui ont marqué l'histoire du Maroc contemporain. Pour cette sixième partie, l'histoire d'un groupe armé dirigé par un «ancien combattant» qui deviendra leader des «Milices d'Ahmed Touil». Comme tout pays qui a subi l'injustice et l'oppression du colonisateur, ainsi que la répression postcoloniale, le Maroc a lui aussi disposé de ses organisations secrètes. Des groupuscules destinés tantôt à lutter contre le protectorat français et espagnol, tantôt à mener la vie dure au roi Hassan II. De 1912 à 1956, l'histoire de la lutte nationale contre la colonisation a été marquée par plusieurs étapes. L'ère pré-indépendance reste sans doute la plus féroce et la plus meurtrière, écrite par une France déterminée à se maintenir au pouvoir au Maroc et, parallèlement, par une résistance aspirant à la liberté. Avec la montée des tensions entre Marocains et forces coloniales dès 1950, la résistance nationale décide de franchir une étape cruciale ; celle de la lutte armée. Plusieurs organisations secrètes prennent ainsi le relai, visant les Marocains qui collaborent avec les autorités coloniales ou des personnalités françaises établies au Maroc. Mais l'histoire de la résistance nationale est allée par monts et par vaux. Aux côtés de ceux qui combattaient pour un Maroc libre et l'épanouissement des futures générations, certains avaient d'autres objectifs à atteindre. C'est le cas d'Ahmed Touil, un «résistant» ayant débuté sa carrière en tant que conducteur d'un engin transportant des armes de Nouaceur à Casablanca avant de finir à la tête d'un groupe armé à qui on attribue plusieurs meurtres et assassinats. Ahmed Touil, de la résistance aux activités légales Ahmed Touil est né vers 1925. Peu d'informations existent sur ses débuts. Tout ce que l'histoire raconte, c'est qu'il était «conducteur d'un engin qui transportait les armes de la base américaine à Nouaceur», raconte un article du quotidien Al Akhbar. C'est durant ces années qu'Ahmed Touil, fondateur des «milices» portant son nom, participera à la résistance nationale en fournissant des armes. Des armes qu'il vendait plutôt aux résistants. C'est d'ailleurs l'un des avantages l'ayant aidé à intégrer la sûreté nationale. Ses rencontres avec des résistants lui ont permis de prendre part à la large campagne de collecte et de confiscation d'armes à feu au lendemain de l'indépendance, raconte Al Akhbar. «Le nom d'Ahmed Touil a donc été retenu par ceux chargés de la constitution du noyau de la Direction générale de la sûreté nationale. Il devient donc policier en 1956, ce qui constitue une nouvelle naissance pour lui.» Mais parallèlement à son travail de commissaire, Ahmed Touil mène d'autres opérations avec le groupe qu'il constituera peu après son intégration de la fonction publique. Un groupe clandestin spécialisé dans la propagation de la terreur et certaines activités illégales, qui vont du kidnapping et viol jusqu'aux assassinats. Une voiture de la sûreté nationale marocaine dans les années 1950. Le quotidien arabophone cite des «rapports secrets préparés par le service de renseignement français» faisant état des activités du groupe d'Ahmed Touil, baptisé «milices d'Ahmed Touil». Des rapports qui évoquent des enlèvements dans la rue de citoyens et du chantage. «Les hommes d'Ahmed Touil ont aussi longtemps profité de leurs relations avec le commissaire pour ne pas régler des factures dans des cafés (…) certains ont violé ou contraints des filles à avoir des relations sexuelles sous la menace», poursuit la même source. «Milices d'Ahmed Touil» et toute une série d'assassinat de résistants Pour sa part, le journaliste Driss Ould El Kabla revient, dans un long article sur les organisations secrètes au Maroc, sur d'autres activités illégales des «Milices d'Ahmed Touil». «Dans les derniers jours de la lutte armée, il (Ahmed Touil, ndlr) était un spécialiste du transport clandestin à l'aide d'une Simca 8 (voiture produite par le constructeur français Simca, filiale de l'Italien Fiat, ndlr). Son groupe comprenait d'autres personnes, notamment une personne connue sous le nom de "Laas", une autre sous le pseudo de "Qamar", un célèbre "Benjellon",… Cette organisation est intervenue dans la confrontation entre l'Organisation secrète et le Croissant noir.» Selon lui, c'est à cette organisation secrète qu'on attribue l'assassinat d'Abdellah Haddaoui et d'autres membres du «Croissant noir» dans la soirée du 28 juillet 1956 à Casablanca. «Parmi les membres du Croissant noir présumés assassinés par le groupe d'Ahmed Touil, on cite aussi Ahmed Chraibi, et Chouaib Ziraoui, le résistant auteur de la première bombe à Casablanca (contre des Francçais, ndlr), assassiné le 25 juillet 1956», poursuit-il. Hajjaj Lamzabi et Mohamed Haddaoui, deux membres du «Croissant noir», morts le 27 septembre 1956. / Ph. «Mémoires du patrimoine marocain» En 2010, dans un article intitulé «1956 : Ombres et lumière (8) : La mort de Touria Chaoui», le journal le Soir Echos citait les «Milices d'Ahmed Touil» pour justifier l'assassinat de Touria Chaoui, «pionnière du ciel marocain» et première femme pilote dans le monde arabe. «Le nom qui revient est celui d'Ahmed Touil, considéré comme résistant et sur le compte duquel on a mis, à tort ou à raison, un grand nombre d'assassinats de cette si sensible période de notre histoire. On impute également à Ahmed Touil l'enlèvement de la première sage-femme marocaine, très populaire auprès du public, Fatéma Thami.» Une organisation clandestine qui assassinera son propre leader Ce dernier serait un «enlèvement (…) commis par erreur, puisque le leader des «Milices d'Ahmed Touil» visait Touria Chaoui mais ces hommes se seraient trompés de cible. Pour rappel, Touria Chaoui sera abattue par balle, devant le domicile de ses parents, rue de Bergerac, à Casablanca le 1er mars 1956, vers 18h20. Touria Chaoui, «pionnière du ciel marocain» et première femme pilote dans le monde arabe. Le journaliste Driss Ould El Kabla raconte aussi que les «Milices d'Ahmed Touil» seraient responsables de plusieurs assassinats ayant visé des hommes d'affaires et résistants, dont Rahal Meskini. A en croire Al Akhbar, c'est les données des renseignements français qui avertiront la Direction générale de la sûreté nationale sur les activités illégales d'Ahmed Touil et ses hommes. Le média raconte aussi la fin de celui que certains surnomment «Haj Tabit des années 50». Il sera assassiné par ses propres hommes pas loin du croisement des boulevards Hassan II et Zerktouni. «Quatre hommes (dont certains qui l'accompagnaient, ndlr) ont ouvert le feu sur le commissaire et n'ont quitté que lorsqu'ils ont eu la certitude qu'Ahmed Touil est mort», poursuit le quotidien arabophone qui décrit l'opération tel un film hollywoodien. Depuis, plus aucune information n'est citée dans les livres d'histoire sur les «Milices d'Ahmed Touil» ou les membres de ce groupe. Une organisation clandestine qui a probablement disparu avec l'assassinat de son leader.