Le Maroc a annoncé en 2015 la construction d'un nouveau port à 70 km au nord de Dakhla. Baptisé Dakhla Atlantique, le projet avance, tout comme les craintes d'un impact direct sur la Mauritanie voisine, le projet y étant considéré comme une réponse au rapprochement algéro-mauritanien. Décryptage d'analystes mauritaniens. Le port Dakhla Atlantique, prévu au village de pêche N'tirift (70 km au nord de la ville de Dakhla), fait de nouveau parler de lui. La semaine dernière, le comité de pilotage et de suivi de la mise en œuvre du programme de développement des provinces du Sud a organisé une nouvelle réunion. L'occasion pour l'agence officielle MAP de relayer un communiqué du ministère de l'Equipement, du transport, de la logistique et de l'eau. «Le port Dakhla Atlantique, qui sera réalisé dans le cadre du programme de développement des provinces du Sud, lancé par SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L'assiste à Lâayoune, à l'occasion du 40e anniversaire de la Marche Verte, vise à soutenir le développement économique, social et industriel de la région dans tous les secteurs productifs», rapporte la MAP, citant le communiqué. Dakhal Atlantique est surtout considéré comme le plus grand projet des trois régions du Sud dans le programme de développement des provinces du Sahara. Rappelez-vous, le 6 novembre 2015, dans son discours à la Nation à l'occasion du 40e anniversaire de la Marche Verte, le roi Mohammed avait annoncé la construction de cette infrastructure portuaire en eau profonde. Avec quelque 8 milliards de dirhams, la réalisation de ce port est en ligne droite avec les potentialités de toute la région. Dakhla Atlantique s'inscrit aussi dans le cadre de la stratégie portuaire 2030 et, à terme, viendra réconforter les échanges commerciaux africains grâce notamment à sa position géographique : à 1 500 km de Casablanca et à 1 300 km de Dakar. Un impact sur la région, le Maroc et… la Mauritanie Mais au-delà de son apport économique et son impact positif pour la région de Dakhla-Oued Ed-Dahab et pour le royaume, Dakhla Atlantique n'est pas un projet applaudi en Mauritanie voisine. Situé à moins de 450 km au nord du port mauritanien de Nouadhibou, le nouveau projet est plutôt considéré comme un échec et mat contre le régime mauritanien. Contacté par Yabiladi ce jeudi, l'analyste politique mauritanien El Hafed Ould Ghabid confirme : «Avec l'établissement d'un nouveau port dans la ville de Dakhla, proche de la Mauritanie, le gouvernement marocain aurait exercé une sorte de manœuvre politique et économique à la fois, destinée principalement contre Nouakchott.» «La Mauritanie avait exercé ces dernières années une pression considérable sur le Maroc à travers le passage frontalier Guergarate», enchaîne-t-il. L'analyste rappelle que «Nouakchott a déjà commencé à ouvrir un poste-frontière en accord avec le gouvernement algérien». Pour lui, il s'agit d'un nouveau poste qui permettra surtout «l'importation de produits et donc de concurrencer les produits marocains qui alimentent fortement le marché mauritanien». «Le port de Dakhla, une fois construit, aura un impact direct sur le port de Nouakchott, utilisé par de nombreux pays africains, en particulier le Mali et le Burkina Faso. En général, les pays d'Afrique de l'Ouest s'improvisent à Nouakchott. Je pense que ce pas tactique est destiné à atténuer la pression mauritanienne basée sur des raisons politiques plutôt que sur des considérations économiques.» El Hafed Ould Ghabid rappelle aussi qu'à l'origine de la crise maroco-mauritanienne, «la Mauritanie reproche au gouvernement marocain d'avoir autorisé le célèbre homme d'affaires Mohamed Ould Bouamatou ainsi que l'opposant mauritanien Mustafa Ould Imam Chafei, d'exercer des activités politiques contre Ould Abdel Aziz». Il rappelle aussi qu'«en ce qui concerne la concurrence entre le Maroc et l'Algérie sur la Mauritanie, il s'agit d'une guerre politique et il est certain que le régime d'Ould Abdel Aziz s'est penché au cours des dernières années du côté du régime algérien à travers notamment des positions politiques régionales». L'occasion de citer aussi la «forte réaction marocaine», illustrée selon lui par la présence du roi Mohammed VI au cours des dernières années en Afrique, le retour du Maroc à l'Union africaine et surtout sa tentative de rejoindre la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). «Et cette rivalité politique peut se transformer en une concurrence économique, d'autant plus que les Mauritaniens de certaines villes s'approvisionnent par des produits algériens, moins chers», nous explique-t-il avant de reconnaître que «la Mauritanie ne peut pas se passer des fruits et légumes en provenance du Maroc». Une décision «plus politique qu'économique» El Hafed Ould Ghabid ne manque pas de pointer du doigt ce qu'il considère comme une solution à cette crise, qui touche désormais le volet économique. «Si le Maroc se dirige vers l'atténuation des activités de certains opposants, la situation évoluera. C'est mieux que de se précipiter dans une concurrence régionale avec des aspects économiques à travers la construction de ports ou de postes-frontières», conclut-il. Pour sa part, Mohamed Mahmoud El Seddik, directeur du Centre mauritanien d'études stratégiques, reste un peu plus positif. «Il est certain que le Maroc a l'avantage dans sa concurrence avec l'Algérie sur le marché mauritanien», nous déclare-t-il. Il explique que «le Maroc est plus productif et ses lois sont meilleures et plus souples que celles de l'Algérie». «Mais nous savons que la politique peut affecter l'économie», finit-il par reconnaître. Mohamed Mahmoud El Seddik indique que «le port de Nouakchott est plus proche de l'Afrique et le port de Dakhla est plus proche de l'Europe, mais la concurrence sera raisonnable. La zone franche de Nouadhibou sera certainement la plus affectée, surtout si le gouvernement marocain décide de déclarer aussi la ville de Dakhla comme une zone franche», fait-il savoir. «Le nouveau port marocain n'affectera pas Nouadhibou qui n'est pas un port de commerce international, mais seulement un port de la pêche et d'export. C'est à Nouakchott que le plus grand port commercial de la Mauritanie est situé. Quant au poste-frontière de Guergarate, je ne pense pas qu'il sera affecté par la construction du port Dakhla Atlantique.» Lui aussi dit penser que «la décision marocaine d'établir un nouveau port à Dakhla est plus politique qu'économique». Il fait également référence à l'ouverture prochaine d'un nouveau poste-frontière entre l'Algérie et la Mauritanie qui «tente de renforcer ses échanges économiques pour favoriser l'Algérie et ne plus dépendre que du Maroc». «Ces mesures prises par les deux pays, le Maroc et la Mauritanie, sont de nature politique et donc leurs effets peuvent être éliminés avec la fin de la crise diplomatique entre Rabat et Nouakchott», conclut notre interlocuteur.