Si elle a de plus en plus mauvaise réputation en France, la pilule domine largement le champ d'action des moyens contraceptifs au Maroc. Près de la moitié des Marocaines l'utilisent, loin devant le stérilet et les progestatifs injectables. La pilule contraceptive à l'origine d'un choc générationnel dans l'Hexagone ? Ces derniers jours, la presse s'est fait l'écho d'un phénomène émergent : les femmes, en France, semblent agir à rebours de leurs aînées en matière de contraception, assumant de plus en plus leur désamour pour la pilule. Entre 2010 et 2013, les enquêtes Féconds, référence sur les comportements sexuels des Français, d'après le Monde, avaient mis au jour les premiers désenchantements des Françaises pour ce comprimé anti-grossesse : en trois ans, le recours à la pilule était passé de 50% à 41% chez les femmes entre 15 et 49 ans. La faute aux complications que pourrait provoquer ce cachet légalisé en 1967, nous dit-on. C'est par une étudiante bordelaise que le scandale arriva. En décembre 2012, Marion Larat avait suscité le malaise auprès des coutumières des petites plaquettes journalières. Cette jeune femme a contracté un lourd handicap suite à un AVC qu'elle impute à la prise de la pilule de 3e génération Meliane, produite par le groupe allemand Bayer, rappelle Libération. Son combat, médiatisé à l'époque, avait fait l'effet d'une petite bombe : 130 autres plaintes avaient été déposées, notamment pour «atteinte involontaire à l'intégrité de la personne». Elles visaient 29 marques de pilules de 3e et 4e générations, huit laboratoires et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Un mois plus tard, c'est Diane 35 qui s'attira les foudres de plusieurs patientes. Cet anti-acnéique commercialisé depuis 1987, lui aussi par les laboratoires allemands Bayer, avait été accusé d'être lié à la mort, par thrombose (caillot qui obstrue le vaisseau sanguin), de quatre femmes en vingt-cinq ans. Autant de scandales, médiatisés de surcroît, qui ont fait frémir plus d'une utilisatrice, même si la pilule seule était privilégiée par plus de 35% des Française de 15 à 49 ans en 2013. Basculement vers d'autres méthodes contraceptives Un chiffre bien plus élevé au Maroc, où la pilule domine largement le champ d'action des moyens contraceptifs : 48,4% des femmes en âge de procréer la prenaient en 2011, contre 40,1% en 2004, d'après les données de l'Enquête nationale de population et de santé familiale (ENPSF), suivie de l'abstinence périodique (4,4%), du stérilet (4,2%), du retrait (4,1%), du préservatif (1,4%) et des progestatifs injectables (1,3%). Le taux de prévalence contraceptive, qui représente la proportion de femmes mariées âgées de 15 à 49 ans utilisant une méthode contraceptive quelconque, plafonnait à 67,4% en 2011 (63% en 2004) - 65,5% dans les milieux ruraux et 68,9% dans les zones urbaines. Evolution de la prévalence contraceptive au Maroc. Source : ministère de la Santé Rachid Bezad, gynécologue-obstétricien, directeur du Centre national de santé reproductrice (maternité des Orangers-CHU de Rabat), tient à relativiser les dangers de la pilule. «Les accidents provoqués par la pilule Diane 35, notamment, ont été très médiatisés. Cette médiatisation, surdimensionnée, a perturbé l'utilisation de la pilule en France et bousculé l'utilisation de la contraception hormonale par pilule, ce qui a eu deux répercussions : une fuite de l'utilisation de la pilule, et donc un basculement vers d'autres méthodes, et des grossesses non désirées», avance celui qui est également membre de la Société marocaine de fertilité et de contraception (SMFC). «Les pilules commercialisées sur le marché sont celles de 2e et 3e génération, celles de 1re génération étant aujourd'hui obsolètes. La plupart ont été fabriquées à base de lévonorgestrel, un progestatif mis au point dans les années 80», explique Rachid Bezad. Dans le jargon médical, le progestatif désigne la molécule qui permet le maintien de la gestation - la grossesse, en d'autres termes. La pilule progestative est une pilule contraceptive qui ne contient pas d'œstrogène (hormone sexuelle femelle), mais seulement un progestatif de synthèse. Son action consiste à interférer avec le cycle menstruel naturel de la femme ; les hormones synthétiques apportées par la prise de la pilule empêchent l'ovulation. «Les résultats des études qui ont été compilées suite à ces scandales ont montré que les pilules de 3e génération sont susceptibles de provoquer plus de problèmes vasculaires que les pilules de 2e génération», reprend le gynécologue. Le risque de maladie thromboembolique (causée par la formation d'un caillot, ou thrombus, dans la circulation sanguine) de la pilule de 3e génération est en effet le double par rapport à celle de 2e génération, pour une efficacité comparable. Pour un «retour aux pratiques médicales de base» «Lorsqu'une femme vient la première fois pour se faire prescrire la pilule, on privilégie celle de 2e génération au lieu de la 3e. Si elle est sous pilule de 3e génération depuis plus d'une année, ce n'est pas nécessaire de l'interrompre et de passer à une 2e génération», recommande le spécialiste, raccord avec les préconisations de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ce dernier de tempérer : «Le risque dont on parle est élevé pendant la première année, mais diminue par la suite car il y a un retour des phénomènes vasculaires et hématologiques à leur situation normale après un an.» Pour Rachid Bezad, l'autre élément fondamental réside dans la pratique. «La pilule est parfois prescrite sans que les médecins cherchent systématiquement à savoir si leur patiente présente un risque particulier. Lorsque l'on prescrit la pilule, on doit ausculter la femme pour savoir si elle présente des risques vasculaires. Le relâchement de cette précaution peut provoquer des complications. Suite à certains cas, les protocoles d'utilisation ont été révisés. Certaines recommandations établies ont particulièrement insisté sur l'importance d'enquêter sur d'éventuels risques vasculaires lors de la consultation, sans laxisme. C'est un retour aux pratiques médicales de base», considère le médecin. «Chez les personnes souffrant de cardiopathies ou d'hypertension, il faut éviter la prescription d'hormones, de même que chez les femmes âgées de plus de 35 ans. Celles-ci doivent privilégier les moyens contraceptifs de longue durée, comme le stérilet», complète une responsable de l'Association marocaine de planification familiale. Quelles différences entre les générations de pilule ? Difficile de s'y retrouver dans ses plaquettes tant cette notion de «génération» peut paraître nébuleuse pour de nombreuses utilisatrices, notamment les plus jeunes. Les premières pilules, commercialisées dans les années 60, contenaient de fortes doses d'œstrogènes (50 µg) et un progestatif, la noréthistérone, récapitule le site belge Gyn&Co, spécialisé dans la santé féminine. Elles entraînaient des effets secondaires désagréables comme la rétention d'eau, des tensions mammaires, des nausées et des migraines. Dans les années 70 sont arrivées celles de 2e génération. Les progestatifs utilisés, le lévonorgestrel et le norgestrel, ont permis de réduire le dosage d'œstrogènes ( 50 µg) afin de limiter les effets secondaires. Les pilules de 3e génération, elles, ont été élaborées dans les années 80-90. Elles contiennent une faible dose d'œstrogènes ( 35 µg) mais leur action présente un risque accru de problèmes thromboemboliques veineux par rapport aux pilules de 2e génération, confirme Gyn&Co. Enfin, les pilules de 4e génération se distinguent par l'emploi de nouveaux progestatifs de synthèse, dont le plus courant est la drospirénone. Comme les pilules de 3e génération, elles peuvent augmenter le risque d'accidents veineux. Il reste cependant très faible : environ 6 à 8 pour 10 000 femmes par an, estime une étude du British Medical Journal.