Après presque 10 ans de gouvernements de droite, le projet pour 2012 du Parti Socialiste français (PS) appelle au changement. Un changement incisif au niveau des politiques sociales, économiques, ou encore en matière d'éducation, mais concerne-t-il aussi la politique migratoire ? Pour l'heure, le parti, désuni sur cette question, ne semble pas en mesure d'en faire un thème majeur de sa campagne électorale. Manque-t-il une opportunité historique ? Analyse. Réduire l'immigration légale, l'islam présenté comme un danger pour la laïcité, la bi-nationalité érigée en problème majeur, liée d'une manière ou d'une autre au racisme prévalent en France : à travers des déclarations provocatrices, la droite française se prépare à la campagne électorale de 2012. L'UMP mise sur la peur de l'autre pour rassembler un maximum d'électeurs. Que fait la gauche ? Le PS a publié, au mois d'avril, le «Projet socialiste 2012» (publié sur internet également) qui jette les bases de ce qu'il entend opposer à la droite pour reconquérir l'électorat français. Intitulé «Le changement», le projet socialiste 2012 ne semble toutefois pas vouloir s'engager sur le terrain de l'immigration. Quid de 2012 au PS ? Il faut en arriver à la page 98 du projet socialiste pour lire ses propositions en matière d'immigration. Elles n'ont cependant rien de révolutionnaire. «Nous voterons tous les trois ans une loi d'orientation et de programmation qui sera élaborée en concertation avec les partenaires sociaux et les territoires qui assurent l'accueil et l'insertion des migrants». Une obésité législative qui devrait assurer à la France le titre de pays régulant l'immigration par le plus grand nombre de textes. Autre proposition : «Nous créerons un vrai contrat d'accueil et d'intégration, fondé sur des obligations réciproques et insistant sur la maîtrise de la langue et la compréhension des droits et des devoirs républicains.» Ce type de dispositif a été mis en place par la droite en 2005, il y a 6 ans déjà, insistant sur les devoirs plutôt que sur les droits des immigrés. La gauche s'inscrit-elle dans cette logique ? La lutte contre les employeurs de sans-papiers, autre point mentionné dans le projet, n'a rien de nouveau non plus, et constitue un combat contre les symptômes plutôt qu'une volonté de réforme structurelle. La seule proposition qui se démarque réellement de la droite est l'intention d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections locales. Cette idée mitterrandienne circule en France depuis plusieurs décennies. Par endroit, le projet socialiste 2012 formule, cependant, des critiques profondes de la politique menée par la droite. Le débat sur l'identité nationale, lancé par Nicolas Sarkozy et l'ancien ministre de l'Immigration, Eric Besson, est présenté comme un «échec moral» qui stigmatise les musulmans. L'actuelle politique migratoire est pointée du doigt, mais, comme s'il ne voulait trop s'avancer, le PS ne critique pas les mesures elles-mêmes, mais seulement la «manière inhumaine» dont elles sont appliquées. Le projet mentionne aussi la situation des enfants d'immigrés : 40 % d'entre eux subissent des discriminations. Avant d'atteindre ce constat, il faut, toutefois, lire 95 pages, et la seule mesure annoncée pour combattre ce fléau consiste à généraliser les CV anonymes ! Faisant écho à un débat qui vient d'enflammer la France, les avantages de la bi-nationalité sont mis en avant. Un point positif qui est vite contrebalancé par l'accent mis sur un «redressement national» nécessaire en France. Le PS essaye de ménager la chèvre et le chou. Le PS en manque d'orientation Deux études expliquent et illustrent ce grand écart. Publiées à quelques jours d'intervalle e ndébut mai, elles s'intéressent à l'évolution de l'électorat du Parti Socialiste et évoque des orientations politiques qui en découlent. Un constat commun est fait : le PS doit élargir sa base électorale pour gagner les élections de 2012. Problème : les deux études proviennent du courant social-démocrate du PS, mais les conclusions s'opposent. Laurent Baumel et François Kalfon considèrent, dans «L'Equation gagnante. La gauche peutelle enfin remporter l'élection présidentielle ?», que le PS doit tenter de reconquérir le vote de son électorat traditionnel : l'électorat ouvrier et populaire. Celui-ci s'est largement détourné du PS pour voter Nicolas Sarkozy ou même Front National. D'autre part, les deux membres du secrétariat national du PS envisagent de conquérir le vote des séniors, un vote largement à droite. Comment ? En mettant en avant les thèmes de la valeur travail, de la laïcité, et des devoirs du citoyen envers l'Etat. Dans le rapport «Gauche : Quelle majorité électorale pour 2012 ?», la fondation Terra Nova, quant à elle, préconise de s'adresser à une nouvelle coalition de gauche qui n'a «plus rien à voir avec la coalition historique», formée sur une «logique de classe». Ceux qui votent aujourd'hui le PS sont les diplômés, les jeunes, les minorités, les quartiers populaires et les femmes : c'est «la France de demain». Ce qui réunit ses différentes catégories : les valeurs d'ouverture, de tolérance et de solidarité, qu'elles partagent avec le PS. Par opposition, l'électorat traditionnel, attaché à la valeur travail, est, sur le plan culturel, fidèle à des valeurs beaucoup plus conservatrices. Essayer de reconquérir cet électorat reviendrait, pour les auteurs du rapport, à adopter une position de gauche populiste, à l'image du Parti Travailleur aux Pays-Bas. L'immigration est certainement le sujet où cette divergence se cristallise le mieux. Viser la «coalition historique» équivaut à promettre de limiter l'immigration, «sauver» la «France d'en bas» de la concurrence supposée des travailleurs étrangers et faire campagne sur l'insécurité. La «nouvelle coalition de gauche» attend plutôt une approche tolérante du sujet. Elle ne considère pas l'immigration comme un problème, mais comme un atout. Le projet socialiste 2012 ne tranche pas entre les deux alternatives, il reste muet. Est-ce l'immigration qui pose problème ou la politique menée ? Pourtant, plus que jamais, le PS a toutes les clés en main pour proposer un nouveau discours sur l'immigration. Un discours qui sortirait de la logique sécuritaire et permettrait de ne pas laisser la droite occuper le terrain. Le débat sur l'immigration, tel qu'il est mené aujourd'hui, est purement électoraliste. Sur le fond, il ne constitue qu'un faux débat, comme l'a souligné la communauté scientifique. Une association de parlementaires, a suivi le pas, en publiant, mercredi 11 mai, un rapport d'audit sur la politique d'immigration, d'intégration et de co-développement du gouvernement. Sur 334 pages, les auteurs arrivent à démontrer que les principales affirmations sur lesquelles se base la politique du gouvernement sont fausses. Ils évoquent notamment les coûts de l'immigration, qui sont en réalité inférieurs aux bénéfices retirés par la France. L'idée selon laquelle la France serait submergée par «toute la misère du monde» est opposée par exemple au fait que les immigrés subsahariens sont, en moyenne, plus diplômés que les nationaux français et qu'après 5 ans de séjour régulier en France, 60% des étrangers quittent le pays. La formule «contrôler l'immigration pour permettre une meilleure intégration des étrangers déjà en France», chère à Eric Besson, est aussi mise en doute. Les contrôles tels qu'ils sont effectués, fragilisent les immigrés, et les débats sur l'immigration en général stigmatisent. Des parlementaires de gauche comme de droite, en passant par les Verts, soutiennent ce rapport, mais il ne fait l'unanimité dans aucune des grandes formations politiques françaises. En ne l'associant pas à son programme pour 2012, le Parti Socialiste pourrait laisser passer une chance historique de faire évoluer le débat sur l'immigration. Cet article a été publié précédemment dans Yabiladi Mag, numéro 7 (mai 2011)