Aïcha Bent Abi Ziane, Mamat Al Farkhania, Aïcha Al Ouarghalia, Haddhoum Bent Al Hassan, Itto Ou Hammou Zayani, Aïcha Al Amrania, Daouya Al Kahli, les femmes d'Ait Atta, ou encore les Zemmouriyates. Autant de femmes ayant joué un rôle crucial dans la résistance menée contre les forces coloniales. Selon la chercheuse Assia Benadada, plusieurs noms de femmes avaient été volontairement écartés de l'histoire officielle du Maroc. La lutte nationale contre le protectorat français, des premières manigances de la France pour éteindre son contrôle sur le royaume chérifien jusqu'aux dernières révoltes pour l'Indépendance du pays, se conjuguent souvent au masculin. Pourtant, la contribution de la femme marocaine au mouvement nationaliste est plus qu'avérée. Elle est même prouvée par les ouvrages étrangers, français et espagnols pour la plupart. C'est d'ailleurs le travail qu'a effectué Assia Benadada en 1999 à travers son article «Les femmes dans le mouvement nationaliste marocain», publié dans la revue «Clio. Histoire‚ femmes et sociétés». La chercheuse marocaine s'est alors intéressée à plusieurs sources pour mettre en exergue le rôle primordial des femmes marocaines dans la lutte contre l'occupation française et espagnole. De l'approvisionnement au combat, différents rôles des Marocaines dans la lutte Elle distingue deux étapes dans les formes de la résistance nationale auxquelles les femmes ont pris part. D'abord, une «première étape marquée par une résistance armée, non coordonnée, avec des moyens limités qui a touché toutes les régions du Maroc jusqu'en 1934». Ensuite, une «deuxième étape de la lutte anti coloniale est la création d'un mouvement politique à caractère urbain et pacifique qui a commencé dans les années trente». Pour la première phase, Assia Benadada rappelle que dès les premières années du protectorat, «la France a cherché à séparer les Arabes et les Berbères», en tentant notamment «de soustraire les tribus berbères au droit coranique». «Ainsi en 1913, la France voulant déshériter une femme de la tribu berbère de Zemmour appliquant de ce fait Al orf (le droit coutumier), les femmes de cette tribu se réunirent dans la ville de Khemisset pour protester. Ce fut la première manifestation contre la politique berbère avant qu'elle ne devienne officielle le 16 mai 1930». Une date célèbre de l'histoire du Maroc, celle de la promulgation Dahir du 17 hija 1348, communément appelé «Dahir berbère», qui n'est autre qu'un décret royal qui s'intéressait au fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume amazighe. C'est surtout considéré comme le tout premier catalyseur et l'une des étapes centrales du nationalisme marocain. Des femmes rifaines participant à la guerre du Rif. / Ph. DR La chercheuse raconte ensuite comment les Marocaines participaient de plusieurs manières à la résistance contre le colonisateur. «Elles approvisionnaient en eau et nourriture les combattants, chargeaient les fusils et parfois remplaçaient les morts au front. Elles marquaient les hommes qui fuyaient les combats avec du henné pour les ridiculiser et les marginaliser et interdisaient à leurs épouses de s'approvisionner en eau aux puits et aux sources», écrit-elle. A titre d'exemple, lors de la bataille de Bougafer, également connue sous le nom de «bataille de Saghro», datant du 13 février 1933, les femmes soutenaient les 1 200 combattants de la tribu d'Ait Atta, représentaient également leur mari dans les assemblées de la tribu. Elles seraient 117 femmes ayant perdu la vie dans cette bataille. Assia Benadada cite même l'exemple des femmes de la tribu Romara, qui «demandaient le divorce lorsque leur mari refusait de participer au combat». «Les femmes surveillaient également les mouvements des troupes ennemies et renseignaient les combattants avec un code spécial. De leur terrasse, elles jetaient des pierres, de l'eau ou de l'huile bouillante sur les policiers.» Quant à la deuxième étape, la chercheuse affirme que les Marocaines «ont participé au mouvement comme le montrent les actions qu'elles ont menées au sein des associations féminines». Des associations qui se sont données pour objectif principal de «créer un Maroc nouveau» et se sont fixées un certain nombre de priorité, comme le fait de «stimuler et encourager l'instruction des femmes pour leur permettre d'assumer pleinement leurs responsabilités». Ces femmes ayant marqué l'histoire du Maroc colonial Dans son article, Assia Benadada rend hommage à plusieurs femmes marocaines ayant marqué l'histoire de la résistance nationale contre le protectorat français. Elle cite notamment la sœur d'un résistant appelé Hidna qui avait été tué par les forces espagnoles lors d'une bataille en 1922 dans le Rif, selon un rapport militaire espagnol daté du 12 juillet 1927. Un grand nombre de femmes ont participé à la guerre du Rif dirigée par Mohamed Ben Abdelkrim el Khattabi, affirme-t-elle, en parlant d'Aïcha Bent Abi Ziane, âgée de dix ans seulement et qui aurait joué un rôle important dans la bataille d'Anoual en 1921, Mamat Al Farkhania, Aïcha Al Ouarghalia et Haddhoum Bent Al Hassan. Des femmes marocaines en classe de broderie. / Ph. imgur Au Moyen Atlas, l'article cite Itto Ou Hammou Zayani, fille du résistant marocain Mouha Ou Hammou Zayani, Aïcha Al Amrania, de la tribu Aït Ba Amrane tuée dans la guerre d'Assak en 1916. Pour la deuxième phase de la résistance nationale, la chercheuse marocaine distingue trois femmes. Malika Al Fassi, la sœur d'Allal Al Fassi, père-fondateur du parti de l'Istiqal «fut une des premières femmes à adhérer au mouvement nationaliste en 1937». Elle fut aussi la première femme à publier des articles dans la revue Al Maghreb pour défendre le droit des femmes à l'instruction. «Elle assura la liaison entre les nationalistes et le palais et c'est elle qui rédigea ou transcrivit tous les documents que les nationalistes voulaient faire parvenir au sultan» Mohamed Ben Youssef. Elle est surtout l'unique femme à signer le manifeste de l'Indépendance. Pour sa part, Fatima Ben Slimane, l'une des premières Marocaines à obtenir le baccalauréat, qui a enseigné dans l'école Annahda, créée par les nationalistes pour contrecarrer les écoles françaises. Dirigeante de l'association féminine qui s'occupait de plusieurs tâches destinées à soutenir les femmes marocaines, elle est à l'origine, en 1953, de la toute première colonie de vacances pour les filles de Salé. Fatima Ben Slimane «fait aussi partie de celles qui manifestèrent contre le décret promulgué le 16 mai 1930 par le résident général Lucien Saint visant à séparer les Arabes et les Berbères, et [exhortait] les femmes à descendre dans la rue, à lire "Le Latif" pour exprimer leur refus du Dahir». De son côté, Daouya Al Kahli est l'une des participantes à la guerre de libération de 1953 à 1956 et «membre d'une partie d'une cellule armée clandestine connue sous le nom de 'Compagnons de Mohamed V'». «Elle assurait la liaison entre les résistants de sa cellule, parce que, dit-elle, 'on ne soupçonne pas la femme'. Elle apportait de la nourriture aux combattants emprisonnés après leur arrestation, entre autres à son mari. Elle se déplaçait beaucoup à Larache, ville sous occupation espagnole, pour faire passer les armes. C'est elle qui transportait les armes sous sa djellaba ou dans un panier rempli de légumes et qui les récupérait après pour les cacher chez elle.» Des femmes marocaines manifestant après l'exil du sultan Mohammed Ben Youssef. / Ph. imgur A la fin de son article, Assia Benadada regrette qu'un certain type de profil de femmes, issues d'un milieu modeste et ayant travaillé dans l'ombre et dans les sections armées, a été marginalisé par l'histoire officielle. Cela symbolise, selon elle, «la marginalisation des femmes et leur exclusion de l'histoire officielle du Maroc». «Des femmes de toutes les catégories sociales et de toutes les régions se sont investies dans le mouvement nationaliste. Elles ont joué subtilement sur les préjugés et les stéréotypes les concernant» conclut-elle.