La finance islamique en est à ses débuts en France notamment avec Noorassur, la première entreprise d'assurance halal dans l'Hexagone. Dans un entretien avec Yabiladi, la fondatrice, Sonia Mariji, revient sur l'apport de la finance islamique dans l'économie française et se confie sur ses plans pour son pays d'origine. Vous êtes de ceux qui pensent que la finance islamique a toute sa place dans l'économie française. Comment l'expliquez-vous ? Bien sûr que oui ! J'ai exercé le métier de CGPI (Conseiller en gestion de patrimoine indépendant) pendant plus de 10 ans, dans un grand groupe. Après la crise financière de 2008 qui, pour moi, a été une véritable prise de conscience, j'ai souhaité me rapprocher d'une finance plus éthique et socialement responsable. La finance islamique (FI) est un compartiment de la finance éthique. Elle est une véritable alternative à la finance conventionnelle. D'ailleurs pour preuve, la première place financière islamique au monde est à Londres dans une capitale européenne, à une heure de Paris. De plus, la France compte la population musulmane la plus importante d'Europe occidentale qui attend des solutions adaptées à ses besoins. Mais soyons clairs, la FI est une finance affinitaire et non communautaire car l'éthique n'a ni couleur ni religion. Ses principes sont universels, totalement compatible avec les valeurs de notre République et on n'a pas besoin d'être musulman pour y adhérer. Comme pour l'agroalimentaire la FI va générer de l'emploi et permettre à des gens de toutes confessions de se lancer dans un marché unique. Le service est novateur et les Français sont habitués au système financier conventionnel, la tâche n'est-elle pas ardue pour Noorassur ? Nous réalisons un grand travail de pédagogie et d'information. Déjà, nous faisons comprendre aux gens que la FI est une finance éthique affinitaire et non communautaire qui est accessible à tous. Car finalement ce que veulent les Français c'est plus de transparence, savoir où va leur argent et comment il est investi et assuré. Nous recevons plus de 1 000 demandes par mois. Cela prouve qu'il y a un besoin. La communauté musulmane est encore méfiante. C'est normal, car elle recherche la qualité et le sérieux. Ce que nous faisons avec Noorassur, c'est leur garantir que les produits proposés sont bien halals et conformes. Pour les informer, nous sommes présents pour des conférences dans les mosquées et salons tels que celui du Bourget et nous participons aux journées culturelles organisées par les associations. Nous avons également mis en ligne une charia-board sur notre site internet ainsi que des vidéos instructives de 1m30 avec questions/réponses. Votre agence de Nantes a été vandalisée en février dernier, à la veille même de son inauguration. L'acte vous avait beaucoup choqué… Oui, cela m'a beaucoup choqué mais surtout attristée, car je suis profondément attachée aux valeurs de la République. Et au pays de Victor Hugo et de Voltaire, celui des droits de l'Homme, il n'est pas possible que ce genre de choses se produise. Mais je veux rester positive. D'ailleurs une semaine avant cet incident, j'organisais «le Trophée Noorassur» à Trembley, près de Paris, dans le 93. Ce tournoi de football en salle réunissaient les trois religions, en présence du Rabbin Michel Serfaty de l'association AJMF (Amitié judéo‐musulmane de France), le prêtre Jean Courtaudière du diocèse de St‐Denis chargé des relations entre les musulmans et catholiques de France, ainsi que le secrétaire général de l'Union des associations musulmanes (UAM) de Seine-Saint-Denis et président de la mosquée de Pantin, M'hammed Henniche. Tous étaient ainsi réunis autour du vivre ensemble et pour rendre hommage aux victimes des attentats tragiques qui ont touché la France en novembre 2015 et ciblé le vivre ensemble. C'est cela que j'ai envie de retenir et non pas les exactions d'une minorité qui souhaite nous faire peur. Nous ne céderons ni aux menaces des uns, ni à la barbarie des autres... Vous avez porté plainte contre X. Où en est le dossier près d'un mois plus tard ? Aucunes nouvelles à ce jour... Ce genre de représailles associé au contexte français actuel de montée de l'islamophobie ne vous inquiète-t-il pas quant à l'avenir de votre projet ? Non ! Les Français sont intelligents. Ils prendront le temps de s'informer, de pousser la porte de nos agences multicolores et se rendront vite compte que ce sont des agences comme les autres. Et surtout, Noorassur fait le pari de la FI, car c'est une finance affinitaire et non communautaire. Dans vos «campagnes» de recrutement, vous vous ventez de n'appliquer aucun critère discriminatoire dans le processus d'embauche comme c'est «bien trop souvent» le cas. Pensez‐vous que les entreprises de services islamiques sont une alternative pour les victimes de discrimination ? La France connait l'une des crises à l'emploi les plus importantes de son histoire. Nos jeunes sont les premiers à en souffrir. Nous devons, dénicher des opportunités, des marchés nouveaux, afin de leur offrir un accès à l'emploi durable. En France, nous comptons environ 4 000 conseillers financiers privés (CGPI). A population égale, en Allemagne ils sont 400 000 ! Le métier de conseiller financier est un métier réglementé. Il est encadré par une habilitation de Niveau 2. Nombre de nos jeunes sont très souvent issus d'une double culture qui leur garantie, sans le savoir, une connaissance d'un marché nouveau de plusieurs milliards d'euros et dont ni les banques et ni les institutionnels du secteur sont dans la capacité de capter : celui de la finance islamique. Il est clair que celle-ci ne s'adressent pas qu'aux musulmans car elle est éthique et participative pour tous. Mais qui d'autres que nos jeunes issus d'une double culture -soit d'une double connaissance autant des mœurs, de la clientèle que du marché- peuvent devenir, avec une formation à l'appui, d'excellents conseillers répondant à un besoin concret en épargne et assurance... ? Voilà une opportunité de marchés pour nos jeunes, voilà la réponse d'un secteur touchant des millions de personnes, générant de l'emploi par milliers... Nos agences sont vectrices d'emploi notamment pour une population stigmatisée à l'embauche. Les femmes voilées, les non diplômées etc..., mais pas seulement, les surdiplômés, lauréats du master de finance islamique de Paris Dauphine ou du MBA de Strasbourg trouvent enfin un poste dans l'Hexagone, évitant ainsi la fuite de ces cerveaux à l'étranger. L'emploi est un fil conducteur qui malheureusement est plus que d'actualité, surtout aujourd'hui Noorassur s'ouvrira-t-elle à l'international ? Pourrait-on s'attendre à une agence au Maroc ? Mon rêve est de venir m'installer au Maroc. Même si je n'y ai jamais vécu, je m'y sens chez moi et reste en admiration sur l'évolution de ce pays avec notre majesté le roi Mohamed VI qui sait insuffler à son pays tout le dynamisme et les moyens dont il a besoin pour devenir un pays leader sur le marché mondial.