Si la culture peut être comparée à l'engrais nécessaire pour faire que demain pousse la graine de citoyen, le théâtre devrait être son terreau. Qu'espérer de l'avenir quand on est face à la démission totale des pouvoirs publics pour entretenir les théâtres et centres culturels dans nos quartiers ? Plongée dans l'absurde. Mardi 9 juin, 20h30 au Complexe culturel Touria Sekkat à Casablanca, doit débuter la pièce de théâtre La Chute, tirée du roman d'Albert Camus. Une fois n'est pas coutume au Maroc, la ponctualité sera au rendez-vous. Une qualité appréciable, comme l'énergie déployée par Sophia Hadi qui deux heures durant s'efforcera, seule, de maintenir l'attention du public (quelques dizaines de personnes). Une prouesse si on prend en compte le cadre dans lequel la pièce s'est déroulée. La salle de théâtre du complexe Touria Sekkat situé dans un quartier populaire tombe en ruine. Odeur d'urine à l'entrée, fauteuils en lambeaux, installation sonore médiocre etc… Et que dire de l'isolation phonique inexistante avec au milieu du spectacle les bruits du tramway passant à côté, et les cris et rires des enfants à l'extérieur. Si on voulait dégouter les Marocains du théâtre, on ne choisirait pas un meilleur lieu que ce complexe… hum… oui, complexe, tout court. Heureusement, la soirée a été sauvée par le dévouement de ces femmes et ces hommes, dirigés par un metteur en scène Nabyl Lahlou plein de bonhomie, qui ont réussi à nous faire voyager jusqu'à Amsterdam, dans cet univers sombre de Jean-Baptiste Clamence. Le moins que l'on puisse dire c'est que la pièce résonnait comme une sorte de reflet du délabrement de nos espaces culturels au Maroc. On y voyait comme dans un miroir nos fautes passées, présentes et à venir. Le reflet de nos fautes dans le miroir En effet, comme le personnage de Jean-Baptiste qui a débuté sa «chute» lorsqu'il n'apporta aucun secours à une jeune femme sur le point de se noyer, nous devrions prendre conscience de notre responsabilité envers cette jeunesse qui se noie. Ce juge-pénitent comme il aimait à se définir, expiait crûment ses fautes auprès des inconnus qu'il rencontrait pour leur faire prendre conscience de leurs propres erreurs et égarements. Notre inconfort dans cette salle de théâtre nous était renvoyé dans le «malconfort» du personnage d'Albert Camus. Comment en est-on arrivé là si ce n'est par nos silences assourdissants, nos votes aveugles pour des élus sourds, et notre incapacité à tendre la main à cette jeunesse désoeuvrée, condamnée à découvrir la culture sur des DVD à 7 dirhams. Pour les plus chanceux, il y a bien le théâtre Mohammed V à Rabat ou le prochain Grand théâtre en construction à Casablanca. Mais que faisons-nous de la démocratisation de la culture en veillant surtout à un accès aux populations les plus modestes, comme le voulait Touria Sekkat ? A-t-on enterré ce rêve en 1992, en même temps que cette grande militante du savoir comme outils d'émancipation ? Pendant que nos élus ronflent, à l'image de ce spectateur assis au premier rang qui ne se réveillait que lors du passage du tramway, c'est plusieurs générations que l'on condamne à l'abrutissement, l'inculture et la fermeture d'esprit. Notre société est responsable, c'est à dire nous tous, de la facilité qu'ont les discours rétrogrades à pénétrer les consciences de nos jeunes. J'irai même plus loin, par notre démission, nous formons nous même les auteurs de ces discours.