Le 17 juillet 2014 est paru la traduction néerlandaise de "Samuel Pallache, l'homme de trois monde" de Gerard Wiegers et Mercedes Garcia-Arenal, publié en anglais en 2003 et encore jamais en français, ni en arabe. Les auteurs y racontent l'histoire exceptionnelle d'un juif marocain mort le 4 février 1616, émissaire, qui était à la fois diplomate, marchand, corsaire et même, dévoilent les deux auteurs, espion. Il était une fois un homme peu commun au prise avec un monde en ébullition. Samuel Pallache est né au XVIe siècle, dans une famille juive qui avait fuit peu avant la Reconquista de l'Espagne par les catholiques contre les Maures. D'un père rabbin à Cordoba, il a vu le jour à Fès aux environs de 1550. Son histoire connue commence en 1603, il a alors près de 50 ans et quitte l'Empire saadien, en proie aux guerres, pour acheter en Espagne des bijoux pour le compte de Moulay Zidane appelé à régner sur l'empire. Très vite, loin de se transformer en l'ennemi juré de l'Espagne, comme les historiens l'ont longtemps cru, Samuel Pallache cherche à rester en Espagne en monnayant ses qualités d'informateur sur le pouvoir saadien, tandis qu'il cherche à faire de même, en sens inverse, auprès de Moulay Zidane. Double jeu d'espion Ses opérations de renseignement croisés lui réussissent assez mal et c'est pauvre qu'il fuit l'Inquisition espagnole pour le sud de la France. Il atterrit à Amsterdam, en 1608, mandé une nouvelle fois de façon informelle par Moulay Zidane qui cherche à former une alliance avec les Provinces Unies, actuels Pays-Bas, contre l'Espagne. Dès lors une période faste s'ouvre pour cet homme qui sait jouer sur tous les tableaux. Il est tout à la fois une forme d'ambassadeur informel du Maroc aux Pays-Bas, cheville ouvrière de l'accord commercial qui liera les deux pays, envoyé également en Angleterre, mais aussi représentant officiel du parlement néerlandais auprès du sultan. A la même époque, il développe des activités de pirate pour le Maroc et les Pays-Bas après avoir accompagné des corsaires hollandais en mer pour capturer des navires espagnols chargés des nouvelles richesses venues des Amériques récemment colonisées. Larache et Maâmora conquises par les Espagnols En 1610, se déroule un évènement aux échos particuliers. D'après les recherches des deux auteurs, dans leurs volonté de se faire une place en Espagne, les frères Pallache, entre 1603 et 1608, avait proposé au comte espagnol de Puñonrrostro d'envahir le port marocain de Larache. Ils avaient essuyé un refus, mais en 1610, les Espagnols attaquent et occupent bel et bien le port pour en chasser prétendument les nombreux pirates qui en avaient fait leur base de repli. A ce moment là, Samuel Pallache est au cœur des évènements. "L'occupation de Larache par les Espagnols, en novembre 1610, avait éveillé les craintes de Moulay Cidan ; à bon droit, il redoutait que cette opération ne fut suivie d'autres semblables et que la cour d'Espagne, en vue d'assurer la répression de la piraterie, ne mit la main sur les meilleurs mouillages du littoral marocain de l'atlantique", raconte Jacqueton Gilbert, selon le récit du Comte Henry de Castries dans "Les Sources inédites de l' histoire du Maroc de 1530 à 1845". Echec diplomatique "Au nom du cherif, Pallache proposa aux Etats généraux [Pays-Bas, ndlr] d'intervenir. Il ne s'agissait d'abord que de fournir des ingénieurs capables de mettre la Maâmora en état de défense aux dépend et pour le compte de Moulay Cidan ; puis Pallache accepta, de façon plus ou moins explicite, que les ouvrages à construire fussent occupés par une garnison hollandaise." Plusieurs navires hollandais font bientôt route vers le port de Maâmora, pour ce qui devait tout bonnement permettre aux Pays-Bas de prendre pied dans l'Empire, mais arrivés à bon port, personne ne les accueille. "Il est probable, et c'est l'avis de M. de Castries, que Pallache avait dépassé beaucoup ses instructions et que Moulay Cidan ne se serait pas prêté à cette combinaison", analyse Jacqueton Gilbert. Mais connaissant aujourd'hui les accointances cachées de Pallache avec les Espagnols, ne faudrait-il pas y voir autre chose ? Les Espagnols attaquent les pirates de Maâmora le 5 aout 1611 et prennent le port sans difficulté. Les Hollandais venus en renfort du sultan assistent impuissants aux évènements. "Une bataille navale avec des corsaires bérbères" par Laureys a Castro - 1681 Pirate et diplomate Après ce très étrange échec diplomatique, Samuel Pallache continuera à mener de front ses actions politiques et de piraterie avec maestria. Une anecdote nous est parvenue de Miguel del Barrios, poète et historien espagnol, qui raconte l'homme et participe à sa légende. Dans les rues d'Amsterdam, Samuel Pallache se déplaçait en carrosse. Un jour, son véhicule heurte celui de l'ambassadeur d'Espagne. Très en colère, il fait scandale et va même jusqu'à sommer, dit-on, l'ambassadeur de lui céder la chaussée. Tout va donc pour le mieux, lorsqu'en 1614 il est accusé d'être espion pour l'Espagne. Son aptitude à retourner sa veste et son histoire tendent à faire croire que ces accusations étaient exactes. Il tombe donc en disgrâce. Qu'à cela ne tienne, il devient pirate à temps plein. Jusqu'au bateau de trop. Une tempête en mer l'oblige à accoster à Plymouth en Angleterre, où il est bien vite arrêté pour avoir pillé plus d'un navire anglais. Lors de son procès, il sort ses meilleures cartes et contre toute attente, ses connexions politiques que l'ont croyaient perdues lui sauvent la mise au delà toute espérance. Il reprend tout à la fois sa vie de corsaire, de marchand, de diplomate, voire d'espion, tout en trainant d'énormes dettes derrière lui. "Il mourut à La Haye, le 4 février 1616, dans une gêne voisine de la misère semble-t-il, raconte Jacqueton Gilbert. Les Etats, auxquels sa détresse venait tout juste d'arracher un secours de quelques centaines de livres, rendirent à sa dépouillent des honneurs extraordinaires."