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Une époustouflante page de l'histoire maritime du Maroc revisitée : Salé et ses corsaires
Publié dans L'opinion le 12 - 04 - 2014

«Sala al Jadida» est une dénomination bien plus ancienne que cette nouvelle ville de Salé qui va en s'agrandissant. Bien des habitants de Salé d'aujourd'hui ne savent peut-être pas que Rabat, sur la rive gauche de l'oued Bouragreg, s'appelait Salé le Neuf (Sla Jdid) correspondant à une partie de l'actuelle médina de Rabat et que l'autre agglomération sur l'autre rive, le Salé actuel, s'appelait Salé le Vieux, Sla Lbali. C'était au XVIIème siècle au temps des corsaires.
Pour évoquer cette page d'histoire maritime, bien marocaine, on connaît surtout le livre de Roger Coindreau «Les corsaires de Salé» (réédité par La Croisée des Chemins, Casablanca), devenu un classique et qui date des années cinquante du siècle passé. Il y a aussi le livre de Hassan Amili «Le Jihad maritime à l'embouchure de Bouregreg au XVIIè siècle».
«Salé et ses corsaires, un port de course marocain au XVIIè siècle» de Leila Maziane, historienne, professeur d'histoire maritime à la Faculté des lettres de Ben M'sik de Casablanca, est une pièce importante ajoutée à l'édifice de la reconstitution de l'histoire maritime de la ville de Salé et donc du Maroc. Surtout que le travail de recherche s'étend sur la dernière moitié du 17ème siècle et les débuts du 18ème, notamment la période de 1666 à 1727, soit celle de l'entrée en scène de la dynastie alaouite avec le roi Moulay Rachid et jusqu'au décès de Moulay Ismail. Il y est abordé toute l'activité corsaire en Méditerranée et dans l'Atlantique. Il s'agit d'une thèse de Doctorat ayant nécessité un travail de recherche de sept ans, qui a été soutenue à l'université de Caen/Basse Normandie et qui vient d'être publiée (Presse universitaire de Caen). Ce travail fait partie du mouvement d'appropriation de l'histoire du Maroc par des historiens marocains. Il devrait être suivi par un effort éditorial national pour le diffuser à grande échelle en le rendant disponible dans les bibliothèques publiques.
Revanche
Le nom de «Salé le Neuf» est donné à une nouvelle agglomération où de nouveaux habitants, venus d'Al-Andalus, chassés par les Espagnols, se sont installés à partir du début du 17ème siècle sur la rive gauche du Bouregreg. Ce sont d'abord les Hornacheros, habitants de la ville andalouse Hornachos, expulsés en 1609, soit quelques trois milles personnes. Ensuite, en 1610, les Morisques ; quelque dix mille personnes selon les estimations. Il s'agit de ces musulmans forcés d'abord par l'Eglise de l'Inquisition à embrasser la foi chrétienne, condition sine qua non pour rester chez eux en Espagne après la chute de Grenade en 1492. Une population qui endurera les pires exactions de l'Inquisition avant d'être ensuite expulsée sur les côtes marocaines un siècle plus tard. Dans le même lot, il y avait également les Juifs andalous qui ont connu le même sort tragique que les musulmans. Les uns et les autres seront par la suite un bon relais pour l'écoulement du butin des corsaires de Salé, un butin pris aux navires marchands européens et vendu très souvent aux mêmes Européens jusqu'à cinq fois son prix initial.
Tous ceux qui ont été chassés de leur pays et dépouillés de leurs biens au nom de l'appartenance religieuse ou ethnique, n'ont cessé de nourrir le vif désir de prendre une revanche sur leurs bourreaux. Ce désir convergea avec la volonté de certains Européens qui, pour diverses raisons, notamment guerre de religions entre protestants et catholiques, sont devenus des pirates. Une partie de ceux-ci s'est retrouvée à Salé avec les Honacheros et les Morisques après avoir été repoussés de la Maamora en 1614 par les Espagnols. Ces derniers étaient intéressés par le nettoyage des côtes de tous ces forbans prédateurs des navires marchands qui sillonnaient l'Atlantique apportant or et autres marchandises de valeur du Nouveau Monde. Ces mêmes pirates avaient été auparavant expulsés de Larache prise par les mêmes Espagnols en 1610. Certains de ces pirates deviendront des renégats qui renieront la foi chrétienne pour devenir musulmans. Par désir de butin, de liberté, voire de libertinage et de farniente diront les sources chrétiennes par parti pris. On les appelle «Turcs professionnels» sous-entendu convertis à l'Islam par intérêt. Ces Européens se comptaient par milliers, selon certains témoignages, à avoir apostasié. Ils étaient mal vus par la communauté de musulmans, chrétiens et juifs qui doutaient de leur sincérité. On se méfiait d'eux tout le temps et, comme des pestiférés, ils étaient tenus à l'écart, avaient leur propre cimetière. Pourtant, malgré qu'ils fussent tenus pour des aventuriers «fieffés coquins», ils s'y connaissaient si bien en navigation que certains d'entre eux allaient connaître la reconnaissance suprême avec l'ascension sociale aux plus hautes fonctions de l'Etat. De pirates qui pratiquaient la prédation, sans foi ni loi, pour leur propre compte, ils se sont convertis en corsaires, c'est-à-dire pirates mais avec le sauf-conduit d'un Etat. C'est ce qu'on appelle la course. Et ça leur a réussi, du moins pour certains d'entre eux comme Morat-rais, un Hollandais de son vrai nom Jan Janssen de Harleem, qui avait apostasié à Alger. Nommé Amiral de Salé en 1624, il devient gouverneur de la «République de Salé», chef de Diwan, conseil de gouvernement. Par la suite, il y aura des corsaires marocains de renom comme Abdallah Ben Aïcha, le corsaire-diplomate.
Guérilla des corsaires
Comme d'autres renégats connaissant les mers et le littoral européen, Morat-rais se permit de s'aventurer très loin de Salé et se rend une fois, en 1627, jusqu'en Island avec trois navires, accompagné de trois renégats anglais pour lieutenants et un esclave danois pour pilote, pour faire 400 captifs islandais blonds, hommes, femmes et enfants réduits en esclavage à Salé. Il en sera de même du littoral espagnol et portugais, français et irlandais. Dès qu'il y a peu de gain en mer, on fait des incursions terrestres. Les Morisques de leur côté, connaissant les côtes de leur ancienne patrie, conduiront des navires corsaires salétins et guideront les commandos de corsaires salétins jusqu'à l'intérieur de terres d'Andalousie pour faire des captifs espagnols ramenés au Bouregreg.
Evoquant les razzias des corsaires marocains sur les côtes espagnoles, Cervantès, auteur du célèbre «Don Quichotte» qui avait lui-même été captifs à Alger, écrit que plus d'un «avait vu le soleil se coucher en Espagne et se lever à Tétouan» en parlant des captifs des corsaires.
Ailleurs on apprend qu'il arrivait parfois qu'au milieu de divertissements, de dîner sur l'herbe, on voyait apparaître tout à coup des gens en culotte rouge et cape blanche qui criaient: «Chien ! Rendez-vous à ceux de Salé !».
On apprend par ailleurs de l'ouvrage de Leila Maziane que dans le «commerce juteux», suscité par l'activité corsaire, il y avait une forte prépondérance des captifs rachetés par des rançons. D'ailleurs, l'auteur ne manquera pas de préciser dans un important chapitre «les captifs ou les hommes-marchandises», que la rançon pour libérer les captifs était une «source de revenu importante, pour ne pas dire la plus importante de la cité salétine». Il est vrai aussi que les captifs ayant des connaissances dans des domaines précis comme la navigation, la construction navale ou autre, étaient appréciés et bien accueillis. Entre 1618 et 1626, pas moins de 6000 chrétiens ont été capturés par les Salétins, soit sur des navires soit sur les côtes. Une communauté chrétienne du reste se constituera à Salé avec les captifs et les différents intermédiaires européens venus pour marchander les montants des rançons, prix du rachat des captifs. On dira qu'au moment où les négriers espagnols ou portugais remplissaient leur bateaux d'Africains réduits en esclavage, emmenés comme du bétail vers les plantations des Amériques, les corsaires de Salé, eux, écumaient les mers et les côtes européennes en quête de captifs-esclaves bien blancs ceux-là. Mais il faut savoir que de l'autre côté aussi, il y avait des captifs marocains, des corsaires tombés entre les mains des Européens, condamnés aux galères et qui ne pouvaient être sauvés que grâce à un échange de prisonniers. Par contre, s'il y a un trafic de rançons de la part des Européens qui viennent libérer leurs captifs, on ignore s'il y a une activité réciproque de même envergure. Tout ce qu'on sait c'est que les capitaines corsaires de Salé étaient, eux, rachetés à coup sûr par le Sultan.
La République de Salé
Au début il y a eu ce qu'on a appelé la «République des corsaires», entité indépendante avec un gouverneur, un Diwan et qui a duré de 1627 à 1641 à la faveur de l'affaiblissement du pouvoir central, le Makhzen. La mort de Mansour Eddahbi de la dynastie des Saadiens avait donné lieu à une période de troubles, avec le partage du royaume entre ses trois fils. Pendant cette période, la ville de Salé avait pu avoir une soixantaine de navires de courses pour écumer les mers. Ce chiffre baissera graduellement par la suite quand la course dépendra de la Zaouia de Dila (1641-1664) et ensuite quand les choses reviendront sous l'autorité du règne de la dynastie alaouite à partir de 1666, année de l'entrée du Sultan Moulay Rachid à Salé, et notamment lors du règne de Moulay Ismaïl (1672-1727). Là, le sultan devient le principal armateur des bateaux ainsi que quelques personnalités tournant dans la sphère du pouvoir.
L'auteur explique le déclin de la course par la baisse de gains pour les corsaires qui deviennent en quelque sorte des salariés risquant leur vie pour une broutille alors qu'avant, leurs gains étaient plus importants et motivants selon les rangs. Du coup, il y a eu de moins en moins de candidats pour la course. Pourtant, c'est pendant le règne de Moulay Ismail que le fameux corsaire Abdallah Ben Aicha va s'illustrer par de hauts faits presque tout au long du demi siècle du règne du célèbre sultan. On le retrouve dans les sources depuis 1671. Il devait capturer un grand nombre de bateaux marchands européens, au moins 27 recensés entre 1686 à 1698, soit pendant 12 ans. Il deviendra par le fait même de sa grande renommée de corsaire, le plus grand diplomate de Moulay Ismail envoyé en délégation au roi de France Louis XIV, ce qui montre que l'activité des corsaires avait pu être aussi un puissant levier politique pour le pouvoir.
Salé, La Rochelle d'Afrique
Dans cette recherche, beaucoup d'informations montrent que le sujet n'est surtout pas épuisé. D'autant que l'histoire des corsaires de Salé fait suite à l'histoire des corsaires barbaresques d'Alger, Tunis et Tripoli qui écumaient la mer Méditerranée contre les Européens en profitant des dissensions de ces derniers, sans oublier les corsaires français de la «République» de La Rochelle (Normandie) à laquelle on comparait souvent Salé en disant «la Rochelle d'Afrique». A citer également les corsaires anglais et hollandais. En un mot, une course mondialisée pratiquée souvent par les vaincus des guerres classiques comme le montre le grand soutien apporté aux Salétins par les Hollandais qui leur vendaient du matériel naviguant pour se venger des Espagnols qui les avaient vaincus.
Les Etats européens, après préjudices subis par les coups des corsaires de Salé, tentaient de conclure des accords avec le pouvoir commanditaire des corsaires en prenant en compte les rivalités avec les autres pays européens. D'autres fois, ce sont des expéditions punitives avec bombardement du port de Salé ou un blocus pendant des mois par des bateaux de guerre bloquant l'embouchure de l'oued Bouragreg pour empêcher les navires salétins de sortir et de sévir contre les bateaux marchands. «Les Salétins durent faire face à un ennemi de plus en plus présent sur les espaces maritimes, prêt à tout pour défendre ses intérêts commerciaux et établir son «sea power», particulièrement dans la seconde moitié du XVIIè siècle», précise l'auteur qui explique ainsi le recul de l'activité corsaire après l'âge d'or de la République de Salé aussi bien par le monopole du Makhzen que par le blocus imposé par des bâtiments de guerre européens. Mais quelle que soit la force militaire des Européens qui venaient bombarder Salé, les Salétins n'étaient jamais vaincus et ne manquaient pas de revenir à la charge pour intercepter les bateaux marchands venant des Indes ou des Amériques et débordant de richesses.


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