Les chiffres sont sans appel : la crise économique européenne a provoqué l'effondrement de l'immigration marocaine, en particulier en Italie et en Espagne. Si elle pourrait reprendre avec le retour de la croissance elle n'aurait pas vocation à repartir durablement à la hausse. Les relations de cause à effet sont toujours un peu difficiles à établir, mais il en est une qui ne laisse guère de doute : la crise économique de 2008 a provoqué en Europe l'effondrement de l'immigration marocaine. En moyenne, en dépit de situation très différentes selon les pays, elle a chuté de 17% entre 2008 et 2012, selon les derniers chiffres de l'OCDE. En Belgique, le nombre de nouveaux arrivants marocains est tombé de 32% entre 2011 et 2012. Le plat pays a la particularité d'avoir vu l'immigration marocaine continuer d'augmenter après 2008 et jusqu'en 2010, alors que l'on constate bien que 2008 est l'année charnière à partir de laquelle celle dans les autres pays a chuté. Par contre, depuis 2010 la baisse est beaucoup plus forte en Belgique que dans les autres pays du nord de l'Europe qui accueille une forte immigration marocaine comme les Pays-Bas et la France. Exception : +48% vers l'Allemagne Les Pays-Bas ont enregistré une situation encore plus atypique car en dépit de l'impact négatif de la crise économique de 2008 sur sa croissance, l'immigration marocaine qui était en baisse jusqu'en 2007 s'est maintenue et a même légèrement augmenté depuis. "L'une des explications peut être la conjoncture économique qui malgré la crise globale était meilleure qu'ailleurs", suppose Hein de Haas, codirecteur de l'Institut des migrations internationales ainsi que professeur adjoint en Etudes de la migration à l'Université d'Oxford et professeur en Migration et développement à l'Université de Maastricht. Il faut attendre 2011-2012 pour enregistrer une nouvelle baisse. Les Pays-Bas sont donc restés attractifs pour les Marocains, mais bien moins encore que l'Allemagne. Si l'Allemagne a subit, comme tous les pays d'Europe, la crise économique en 2008, elle a très rapidement retrouvé un niveau de croissance largement supérieur à la moyenne européenne. Alors qu'elle n'accueillait en 2008 que 3374 nouveaux Marocains, elle en a reçu 5024 en 2012, soit une hausse de 48%, en contradiction complète avec ce qui se passait dans le reste de l'Europe. La France recense une immigration marocaine ancienne en grande partie entretenue par le regroupement familial, et une forte immigration estudiantine marocaine. Les flux d'immigration en provenance du royaume sont donc relativement insensibles à la conjoncture économique. Cette particularité explique qu'entre 2008 et 2012, alors qu'elle n'arrive pas à retrouver des niveaux de croissance suffisant pour réduire le chômage, elle n'a enregistré qu'une baisse de 10% du nombre de nouveaux immigrés marocains. - 62% vers Espagne Au sud de l'Europe, l'Espagne et l'Italie ont été les plus touchés par la crise économique alors qu'ils forment les derniers pays d'immigration investis par les Marocains en Europe. Avant la crise ils étaient plus de 90 000 à venir pour trouver du travail. Aujourd'hui, "on sait que 50% des MRE en Espagne sont au chômage, il est certain que ça dissuade les candidat à l'émigration. Le marché européen n'est plus aussi attractif que par le passé ", explique Zoubir Chattou. Ainsi, l'Espagne a vu l'immigration marocaine baisser de 62% entre 2008 et 2012, et de 47% en Italie, sur la même période. Ce sont également ces deux pays qui enregistrent la plus forte proportion de départs de Marocains. Etablis à 1000 par an, en moyenne, entre 2005 et 2009, le nombre de Marocains à quitter l'Italie a doublé par la suite. Leur nombre reste cependant très faible au regard du nombre d'immigrés : ils étaient encore 19 590 à arriver en 2012. "Cette augmentation peut être le fait de familles qui renvoient leurs enfants et l'épouse tandis que le mari reste en Espagne pour chercher du travail, garder les droits de résidence tout en diminuant les frais d'entretien de la famille", estime Thomas Lacroix, chargé de recherche CNRS à MIGRINTER, spécialiste des migrations en Méditerranée. Cet élément d'explication est d'ailleurs confirmé par les associations marocaine locales depuis plusieurs années. En Espagne, le nombre de départs a explosé avant même la crise économique et s'est ensuite maintenu autour de 35 000 par an. Pour la première fois, en 2012, le solde migratoire des Marocains en Espagne a baissé puisque le nombre de départs (35 030) a dépassé le nombre de nouvelles arrivées (34 980). Un renversement durable Ce renversement de tendance, plus sensible au sud qu'au nord de l'Europe est-il durable ou l'émigration marocaine repartira-t-elle à la hausse dés que la croissance économique européenne sera de retour ? "Il est toutefois peu probable que l'émigration marocaine se tarisse complètement. Même si des pays tels que la France, l'Italie et l'Espagne continuent de connaître des difficultés économiques, il n'en est pas moins probable que la demande de travailleurs migrants marocains se maintienne dans les secteurs de l'agriculture, de la construction et des services, ou encore du travail domestique", écrit Hein de Haas. "La baisse accélère probablement une tendance de fond à la diminution de la migration de travail marocaine liée à son émergence économique et à sa natalité en baisse", envisage parallèlement Thomas Lacroix. "Si ces deux derniers facteurs sont favorables, le Maroc pourrait devenir un pays de «transition migratoire» caractérisé à la fois par un déclin de l'émigration et une hausse de l'immigration. Ce processus est peut-être même déjà amorcé si l'on tient compte du nombre croissant de migrants venus des pays subsahariens ou d'ailleurs", conclut Hein de Haas.