Les livres électroniques connaissent un succès discret mais réel au Maroc. Généralement piratés, parfois achetés, ils viennent pallier l'offre réduite des librairies. Explication. Il existe sur Facebook un groupe appelé Bouquineurs qui réunit plus de 81 000 membres dont une majorité de Marocains. Ce joli succès qui remonte à 2010 n'aurait rien de surprenant si n'était un détail : en commentaire de chaque message sur une lecture, invariablement, l'un des membres demande à recevoir le pdf du livre par mail. Ces petits commentaires sont le symptôme du succès discret mais bien réel des livres électroniques au Maroc. Si en Europe ils sont encore souvent perçus comme les cannibales qui tueront bientôt leurs frères de papier, ils auraient plutôt tendance, au Maroc, tout piratés qu'ils soient, à élargir la communauté des lecteurs. "Nous sommes une génération, pour ceux qui sont nés dans les années 80 et 90 où le livre est synonyme d'école, de devoirs ennuyeux. Nous sommes des complexés du bouquin. Les nouvelles technologies donnent un aspect plus ludique au livre, elles le retirent à l'univers scolaire", analyse Mehdi, 30 ans, responsable de communication et fervent lecteur et adepte du livre électronique. Depuis 3 ou 4 ans Le développement des sites d'informations marocains francophones sur internet que l'on consulte mécaniquement en arrivant chaque matin au bureau a également contribué à développer, selon lui, cette culture de la lecture sur écran. "Je dirais que ce phénomène est assez récent. Depuis 3 ou 4 ans, maintenant, on entend les gens dire qu'ils ont lu tel ou tel livre sur internet", estime Tiphaine Moine libraire au Carrefour des livres, à Casablanca. "Au départ, je cherchais des films sur internet quand je suis tombé sur un livre et j'ai découvert que l'on pouvait également télécharger des ouvrages", se souvient Lamia, 26 ans, en doctorat de lettre et correctrice dans la presse francophone. Aujourd'hui, elle possède une liseuse et télécharge régulièrement les classiques dont elle a besoin pour sa thèse. Lamia et Mehdi passent spontanément par des sites de peer to peer pour récupérer les livres qui les intéressent. Si eux le font plus par réflexe que par nécessité financière, d'autres téléchargent des livres piratés faute d'avoir les moyens d'assouvir légalement leur passion. Le luxueux livre "Si vous faites un tour en librairie, vous constaterez que les prix de livres ne sont pas accessibles, ou du moins vous ne pouvez pas accéder à un livre par mois", explique Jihane, médecin vétérinaire au chômage à Khemisset et lectrice de e-book. "Le piratage de livre est plus fréquent qu'en Europe parce qu'ici les livres papiers sont plus rares, coûtent un peu plus chers parfois et relativement au niveau de revenu, ce sont des biens assez chers", reconnaît Matthieu Malan, cofondateur de Livremoi.ma. Sur le site de sa librairie en ligne, il offre gratuitement le téléchargement des classiques tombés dans le domaine publique et vend des ouvrages contemporains protégés par DRM. "Les éditeurs ont peur de cannibaliser leur vente papier par les livres électroniques - pas plus au Maroc qu'ailleurs ceci dit - mais ils ne se rendent pas compte qu'un livre papier peut être découpé page par page et scanné en 2 heures seulement", regrette Matthieu Malan. Plus que la gratuité lorsqu'ils sont piratés, les livres électroniques offrent surtout des possibilités de lectures aux Marocains qui leurs étaient jusqu'ici totalement inaccessibles. "J'habite dans une petite ville où il existe des petites librairies seulement spécialisées dans les fournitures de bureau", explique Ikram, membre des Bouquineurs. La rareté des librairies et l'étroitesse de leur offre touche tout le Maroc et particulièrement les zones éloignées des grands centres urbains. Les livres interdits "En dehors des livres interdits et connus qui s'attaquent au roi, beaucoup de livres sur la religion, les idéologies ne sont pas et ne seront jamais disponibles au Maroc. "Au diable ma religion", je n'aurais pas pu le lire en le cherchant en librairie", raconte Mehdi. Les dernières parutions en Europe arrivent toujours avec un décalage au Maroc et il faut attendre plusieurs semaines lorsqu'on commande un livre en librairie. "La livraison des livres prend toujours une dizaine de jours à cause de la douane alors qu'avec le livre électronique les gens ont immédiatement ce qu'ils veulent", explique Matthieu Malan. L'offre en e-book de son site a ainsi un joli succès. "On fait 2 à 3% de notre chiffre d'affaires sur les livres électroniques. Ca marche plutôt bien, mais ce n'est clairement pas sur eux que l'ont fait nos plus grosses marges", explique-t-il. Le livre électronique permettent ainsi de pallier la faiblesse de l'offre actuelle de livres en librairie. Causée par un petit nombre de lecteurs et d'acheteurs, cette faiblesse crée un cercle vicieux que les livres électroniques enrayeront peut être. Tiphaine Moine est ainsi plutôt optimiste face à la montée de la lecture "en pdf"."Il y a des gens qui viennent ici en nous disant qu'ils ont lu un livre sur internet et qu'ils viennent l'acheter ici en papier", se rappelle la librairie pour qui les véritables concurrents des librairies sont plutôt les grandes enseignes du type Fnac et Virgin. Lecteur multimodal "J'ai recours au livre format pdf pour les livres qui sont souvent d'ordre religieux ou psychologique et parfois même ceux de la littérature moderne mais ne vous inquiétez pas je suis fidèle au livre en papier", assure Meryem, professeur en second cycle à Casablanca. "Je télécharge également des livres que je possède déjà en papier lorsque je voyage, notamment en avion, pour voyager plus léger. Je les mets sur ma boîte mail ou sur mon smartphone", détaille Mehdi. "Il s'agit d'une forme de lecture spécifique, analyse Tiphaine Moine. Les lecteurs de e-book viennent également aux livres papiers, car ce sont deux choses différentes", estime la libraire, comme deux modes complémentaires d'une même lecture. "Personnellement, je préfère lire un VRAI livre, effleurer ses pages...C'est plus...romantique", conclut Rim, lectrice multimodale.