Deux chercheurs universitaires à Marrakech se sont intéressés aux facteurs spécifiques et aux obstacles qui favorisent l'abandon scolaire à travers 75 provinces du Maroc. Selon les résultats de l'étude, les structures familiales polygames qui perdurent dans certaines régions font partie des éléments liés à un taux plus élevé du décrochage. Face aux données limitées sur l'impact considérable des facteurs individuels expliquant l'abandon scolaire au Maroc, deux chercheurs de l'Université Cadi Ayyad à Marrakech et de l'Université Mohammed VI polytechnique (UM6P) ont orienté leur travail vers une approche géographique aux démarches combinées. L'objectif a été d'identifier des variables spécifiques, sur la base de 100 références à travers 75 provinces du pays. Dans leur étude «Obstacles territoriaux à l'origine du décrochage scolaire précoce au Maroc : analyse spatiale multivariée», Aomar Ibourk et Soukaina Raoui mettent en évidence notamment «des facteurs liés à la taille des ménages surpeuplés avec une structure polygame». Dans ces familles, la charge financière relevant de la responsabilité du chef de famille est en effet «plus importante», surtout lorsque celui-ci constitue la ressource de subsistance unique tous les autre membres, expliquent les chercheur. Pour cette raison, les auteurs considèrent la polygamie comme «un facteur aggravant de l'exclusion des enfants de l'école». Il ressort en effet de cette étude que «le processus d'abandon scolaire a un caractère multifactoriel, corrélatif et cumulatif». Un phénomène aggravé par des facteurs territoriaux Dans ce sens, les résultats de la recherche identifient aussi «le statut matrimonial de veuf», qui met à l'épreuve surtout l'autonomie des femmes. Par ailleurs, les chercheurs retiennent que la pauvreté, l'isolement et l'éloignement de certaines provinces à dominante rurale sont parmi les autres facteurs déterminants, dans les zones où le taux de décrochage scolaire est plus élevé. Si ces éléments s'accumulent, les apprenants sont plus enclins de se retrouver précocement en dehors du système éducatif national. Les chiffres traduisent bien ces observations, montrant que les taux de décrochages sont au plus bas (1%) dans les régions où les populations sont moins concernées par l'accumulation des facteurs de risque. Mais ce pourcentage peut grimper jusqu'à 25% dans les provinces les plus touchées par la multiplication de ces éléments-là. Selon les chercheurs, la moyenne générale avoisine les 8%. Maroc : 1,5 million des 15 à 24 ans ne sont ni en formation, ni en emploi (CESE) Par zones géographiques, Casablanca, Rabat Guelmim, Boujdour, Es-Semara, Tan-Tan et Assa-Zag montrent les taux les plus faibles. L'abandon scolaire reste plus élevé dans les provinces de «Chichaoua, Essaouira, Rehamna et Youssoufia, Azilal, Al Hoceïma, Chefchaouen, Figuig, Guercif, Taounate, Moulay Yacoub et Sidi Bennour». Par ailleurs, ces données mettent en avant la corrélation étroite entre l'abandon scolaire avant l'âge de 15 ans et l'emploi peu qualifié. A l'inverse, la préscolarisation a un impact positif important sur l'édification du capital humain dès le plus jeune âge, outre le modèle des écoles de proximité qui permettent de maintenir les enfants dans le système éducatif plus longtemps. Ces éléments soulignent ainsi l'importance, selon les chercheurs, d'axer les interventions au niveau territorial sur «des ajustements multidimensionnels et multisectoriels», qui tiennent compte de l'écosystème local et de ses défis spécifiques. Des données qui corroborent également le constat du ministère de tutelle, selon lequel près de la moitié (45,5%) des apprenants concernés par le décrochage se trouvent dans le milieu rural. L'été dernier, le ministère de l'Education nationale, du préscolaire et des sports a fait savoir que le nombre de sorties du système éducatif a diminué de 12% en un an, passant de 334 000 élèves pour l'année scolaire 2021-2022 à 294 000 pour 2022-2023. Le décrochage scolaire coûte 10% du budget de l'Education nationale Les chercheurs fondent leur étude notamment sur des éléments révélateurs du défi que constitue l'abandon scolaire au Maroc, à la lumière des résultats du rapport sur l'Education pour tous, ou encore les scores relativement faibles aux évaluations Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS) et Progress in International Reading Literacy Study (PIRLS). «Ce phénomène prive les écoliers concernés de la possibilité de développer leur potentiel et limite leur contribution au développement régional», soulignent-ils. Etude TIMSS 2023 : Les élèves du Maroc en bas du classement mondial en sciences Ils rappellent aussi que selon la Banque mondiale, des milliers d'élèves quittent l'école chaque année dans le pays, avant d'obtenir un certificat ou même d'avoir terminé la scolarité obligatoire. Parmi les apprenants qui restent dans le système éducatif, deux tiers ne savent pas lire couramment à la fin du primaire. «Au cours de la seule année scolaire 2019/2020, 304 545 ont quitté l'école publique sans certification, 78% de ces abandons se produisant au primaire et au collège, des cycles censés retenir les élèves jusqu'à l'âge de 15 ans», ajoutent les auteurs de l'étude. Le poids économique de ce phénomène reste également considérable. Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le décrochage scolaire coûte près de 10% du budget de l'Education nationale et environ 9 milliards de dirhams chaque année. Dans un avis en mai 2024, l'institution souligne que le décrochage scolaire entre le primaire et le collégial est l'un des éléments principaux du cheminement des jeunes marocains vers le profil des NEET. Contre ce phénomène, le Conseil a d'ailleurs préconisé de «généraliser les écoles communautaires en milieu rural, tout en veillant à renforcer leurs équipements et à étendre la couverture des services de transport scolaire». Il est aussi question de «renforcer l'offre publique de formation professionnelle en milieu rural, en adaptant les spécialisations aux besoins de chaque région et de chaque territoire».