Entre lundi et mardi, deux jeunes lycéennes ont mis fin à leur jour, installant un malaise bien plus profond sur un mal qui gangrène la société. Les statistiques de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sont implacables : un jeune sur sept, âgé de 10 à 19 ans, souffre d'un trouble mental. Le suicide s'inscrit comme la quatrième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 19 ans. Analyse du phénomène sociétal par le psychosociologue marocain Mouhcine Benzakour. «Le suicide se conçoit et se perçoit à travers la socialisation» primaire et secondaire, introduit le psychosociologue Mouhcine Benzakour. En effet, les normes sociales rigides et les attentes élevées imposées aux jeunes par leur famille, leur communauté, l'école et la société en général, peuvent exercer une pression écrasante. De même, la qualité de la vie familiale, en particulier la violence intra-familiale (physique, psychologique, sexuelle), ainsi que les difficultés socioéconomiques, favorisent un climat anxieux. Les jeunes sont souvent confrontés à des tensions entre leur identité culturelle et les valeurs traditionnelles véhiculées par leur famille et leur environnement. Ce sont «des personnes en phase de développement», précise le psychosociologue. Ainsi, les conflits intergénérationnels peuvent surgir lorsqu'ils cherchent à s'affirmer individuellement tout en respectant les normes culturelles préétablies. Ce conflit de loyauté pour concilier les deux peut entraîner un sentiment de désorientation voire de solitude. De plus, la valorisation de la réussite académique, professionnelle et sociale peut conduire à des sentiments d'inadéquation et de désespoir chez ceux qui se sentent incapables de répondre à ces attentes. «Les adolescents laissent paraître une image devant leur famille. Ils s'infligent une autopression afin d'être à la hauteur du défi qu'on leur a lancé», affirme l'expert. La pression autour du baccalauréat, perçue comme une attente absolue, en est un exemple probant. Ils doivent atteindre un «seuil de réussite au risque d'être en bas de l'échelle sociale dans la société», illustre M.Benzakour. Cette volonté d'ascension sociale est accentuée par la famille, qui martèle constamment des exigences élevées, poussant les adolescents à se conformer et à se surpasser. La pression scolaire L'école, parfois, vient avec son lot de facteurs de stress et d'exclusion. « La pression scolaire est un facteur de risque de passage à l'acte suicidaire, notamment à l'occasion de burn out », indique un rapport sur «l'Etat des lieux du risque suicidaire à l'adolescence», publié en 2018. Effectivement, ce dernier précise que l'échec scolaire mène à une diminution de la confiance en soi. Les jeunes qui abandonnent leurs études ont deux fois plus de chances de se livrer à des comportements à risque que ceux qui restent scolarisés, comme le démontre le drame de la jeune lycéenne, qui s'est produit ce mardi 11 juin. Maroc : Au lendemain du drame de Safi, une élève de 15 ans se suicide à Tétouan S'ajoutent à cette charge, la pression pour « se conformer à ses pairs » et l'exploration de l'identité. La difficulté à s'inscrire dans un groupe d'amis à l'école peut entraîner un sentiment d'isolement, au risque de subir du harcèlement, qu'il soit réel ou virtuel (cyberharcèlement). Pour rappel, le harcèlement désigne une forme de violence répétée qui peut prendre diverses formes : verbale, physique et/ou psychologique. Quand ce phénomène se manifeste à l'école, la victime se retrouve dans l'incapacité de se protéger face à son ou ses agresseurs. «Il augmente par deux le risque d'idées suicidaires et par trois le risque de tentatives de suicide», indique l'étude. Ainsi, la pression exercée par les premières instances de socialisation, à savoir la famille et l'école, provoquent de «l'anxiété, du stress et exposent les jeunes à l'adversité », insiste Mouhcine Benzakour. Toutefois, il tient à nuancer ces facteurs, affirmant que « ce sont des éléments déclencheurs et non pas des causes». Réformer pour prévenir Dans de nombreuses cultures, la santé mentale est encore entourée de stigmatisation et de tabous. Les jeunes peuvent hésiter à rechercher de l'aide en raison de la peur du jugement ou de la honte associée à la maladie mentale. Une telle stigmatisation peut entraver l'accès aux services de santé mentale et empêcher les jeunes de recevoir le soutien dont ils ont désespérément besoin. M.Benzakour critique sévèrement le fonctionnement actuel de l'école et l'insuffisance des mesures prises par le gouvernement, affirmant que l'Etat marocain «doit sérieusement envisager des stratégies, telles que l'installation de cellules d'écoute, de psychologues, et de conseillers sociaux ». «Le gouvernement doit prendre le suicide au sérieux.» Mouhcine Benzakour D'après lui, «il est temps de revoir le système éducatif et d'abandonner le modèle qui emprisonne les élèves pendant 8 heures à l'école, qui est tout simplement inconcevable », déclare-t-il. Les adolescents ne prennent plus le temps de s'échapper par l'intermédiaire d'activités extra-scolaires comme «le sport ou les balades», pourtant bénéfiques pour leur bien-être mental, constate l'expert. Pour contrer efficacement le risque de suicide chez les adolescents, il préconise des mesures d'accompagnement personnalisé et de soutien adaptées. Il insiste sur l'importance d'accéder à des «ressources appropriées » et de rester attentif aux «signes précurseurs de détresse psychologique». Un environnement empathique et moins oppressant est essentiel pour permettre aux jeunes de naviguer tout au long de cette période critique de leur vie avec plus de sérénité. Marrakech-Safi : Une élève se suicide après avoir été prise en flagrant délit de tricherie au baccalauréat Les parents, les éducateurs et la société doivent collaborer pour aider les étudiants à «trouver un équilibre. Sans équilibre, automatiquement on ouvre la porte de la souffrance. Il y a un risque de tomber en dépression, de développer de l'anxiété sociale», avertit Benzakour. Le psychosociologue appelle à des actions concrètes et à des réformes structurelles pour répondre aux défis croissants de la santé mentale des adolescents. En améliorant l'approche éducative et sociale, en écoutant les besoins des élèves et en leur offrant un soutien adapté, les jeunes évolueront dans un environnement propice à leur développement sain et équilibré, réduisant ainsi les risques de détresse psychologique et de comportements suicidaires.