Après avoir parcouru 10 000 kilomètres au Maroc pour présenter son film «Tinghir-Jérusalem : les échos du Mellah», le réalisateur Kamal Hachkar a fait escale jeudi soir à Casablanca pour présenter son film lors de la 17ème édition du Café Politis. Parmi le public venu nombreux, il y avait Einat Levi, une jeune Israélienne de 29 ans, venue au Maroc avec un but bien précis. Provenant d'Israël, Einat Levi a débarqué à Casablanca mercredi dernier seulement. «C'est ma première fois au Maroc mais je m'y sens déjà bien ! Le premier marocain que j'ai rencontré est la personne qui m'a aidé à avoir mon visa à l'aéroport ! Il était si gentil. Il est resté avec moi jusqu'à ce que je trouve un taxi !», lance-t-elle en riant. «Ici, je me sens en sécurité lorsque je dis que je suis juive. Ce qui n'est pas le cas partout dans le monde arabe. Je suis allée en Jordanie et c'était bien différent i», confie-t-elle. Sur la trace de ses origines Si Einat est venue au royaume, c'est pour un but bien précis : partir sur la trace de ses origines marocaines. «Depuis ces 6 dernières années, date à laquelle j'ai terminé mon service militaire en Israël, je ne rêve que d'une chose : venir au Maroc. Je veux découvrir mon passé que je ne connais pas», explique-t-elle. La seule chose que sait la jeune femme de son passé est que ses grands-parents juifs, qui n'étaient pas berbères, ont vécu dans la ville de Meknès. Originaire de Tunisie, sa grand-mère s'est installée au royaume après son mariage avec son grand-père, qui lui, était marocain. Néanmoins, en 1952, ils quittent le Maroc pour s'installer en Israël. L'instabilité politique de l'époque dans le monde arabe due au conflit israélo-palestinien et le rêve de retourner sur la terre promise sont les principales raisons de leur départ. «Ils ont tout laissé derrière eux en quittant le Maroc. Dans deux semaines, je vais voir deux maisons leur ayant appartenu à Meknès. Des maisons dont d'autres personnes ont pris possession pour y vivre. C'est un peu comme les maisons volées aux Palestiniens» poursuit-elle insistant sur le fait qu'elle n'est pas venue au Maroc pour réclamer les biens de ses grands-parents. Des passeports marocains confisqués Cependant, dans le bateau en partance pour Israël, les grand-parents d'Einat n'ont pas laissé, seulement derrière eux une terre ou des maisons. On leur confisquera également leur marocanité. L'agence israélienne organisant les voyages de retour des juifs Marocains leur prendra leur passeport marocain. Une citoyenneté marocaine dont rêve aujourd'hui Eina. «J'espère avoir un jour un passeport marocain ! Pourquoi pas !», dit-elle en riant. «Mais ne précipitons pas les choses, je viens tout juste d'arriver au Maroc, je dois d'abord me sentir plus marocaine pour avoir un passeport !», s'exclame-t-elle. Une fois arrivée sur la terre promise, la vie des grand-parents d'Eina sera loin de ce qu'ils s'étaient imaginés. «Même si mes grands-parents ne m'en ont jamais parlé, ils ont eu une vie extrêmement difficile en Israël. Ils vivaient comme des réfugiés dans des tentes, sans électricité. Ma grand-mère a nettoyé les maisons toute sa vie jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus travailler. Puis elle est tombée malade. Mes grands parents sont morts lorsque j'avais 14 ans et je n'ai jamais eu l'occasion de leur poser des questions. De leur vivant, ils ne parlaient pas beaucoup de leur vie au Maroc. Je pense que ça devait être douloureux pour eux. Mais c'est vrai que j'aurais aimé en parler avec eux», explique-t-elle émue. L'histoire des juifs arabes oubliée au Maroc mais aussi en Israël 61 ans après le départ de ses grands-parents du Maroc, Eina fait le voyage inverse. Elle est la première de sa famille à vouloir fouiller ce passé et comprendre d'où elle vient, en venant au Maroc. Car toute sa vie, elle a toujours senti qu'il lui manquait des morceaux de son identité, une identité d'Arabe juive dont elle est fière. Elle a d'ailleurs tenu à prendre des cours d'arabe classique en Israël pour se reconnecter avec ses origines. Elle le parle couramment. «Le conflit israélo-palestinien n'a pas laissé assez de place à ceux qui ont une 'identité juive-arabe. Et mon but aujourd'hui est de reconnecter mon passé avec le présent et mon futur. En Israël, dans les cours d'histoire, on nous parle un petit peu des juifs qui ont vécu et qui vivent dans le monde arabo-musulman mais ça n'a jamais été suffisant pour répondre à mes questions.», regrette-t-elle. «Je crains qu'aujourd'hui le monde arabe est également en train d'oublier que des juifs ont fait et font partie de ce monde !", lâche-t-elle. D'après les premières recherches menées par la jeune femme, ses origines marocaines remonteraient au 5ème siècle. L'un de ses contacts ayant été à Meknès, il y a quelques semaines, lui a envoyé une photo de la tombe d'un rabbin qui portait le même nom que ses aïeux. Elle compte mener plus de recherches sur place à Meknès en allant à la rencontre des personnes qui auraient pu connaître ses grands-parents.