Le Conseil européen des oulémas marocain [CEOM] est au coeur d'une affaire de fraude et de dilapidations des biens publics. Ex-salariés et acteurs sociaux en sont les dénonciateurs. L'affaire est largement médiatisée, mais n'est pas encore arrivée en justice et aucune autorité ne réagit clairement. Plusieurs plaintes pénales et des dénonciations sociales pour abus de biens sociaux, abus de pouvoir, harcèlement moral et travail au noir visent le Conseil européen des oulémas marocains [CEOM], une association belge sans but lucratif [ASBL]. Le magazine Le Maroxellois y a consacré tout un dossier dans son dernier numéro paru ce mardi, dans lequel il dénonce des «dysfonctionnements, incompétences, gestion hasardeuse et dilapidation des biens publics», après avoir «mené une enquête approfondie». Peu de temps avant, le quotidien arabophone Al Akhbar rapportait les plaintes d'ex-salariés. L'affaire est largement reprise par la presse belge. Abdelkader Chafi, 64 ans, l'un de ces employés licenciés, raconte le cas d'une journée de rencontre entre prédicateurs bruxellois. Le repas lors de cet évènement [16 plateaux] était facturé à 14 600 euros. Mais après vérification, le comptable s'est rendu compte que le montant inscrit était quatre fois plus élevé que la norme. Il va tenter de dénoncer, mais sera «harcelé moralement» et licencié. Après quoi, le jeune homme portera plainte. Contrairement aux autres employés, M. Chafi était présent à la création de l'ASBL. A l'époque, la tâche avait été confiée un 'adoul', employé au Consulat du Maroc, dont il avait fait la connaissance. Après proposition de ce dernier, M. Chafi sera lui aussi embarqué dans le projet. «C'est moi qui assurait les contrats des employés, les échanges avec les fournisseurs [matériel de bureau, restaurants, …]. Par contre, M. Chafi n'avait pas accès aux autorités budgétaires. «J'en ai fait la demande à plusieurs reprises, mais on me l'a interdit. On recevait des virements par tranches sur le compte de l'association à Bank Chaâbi, or il fallait assurer les échanges constant avec les fournisseurs». L'homme assure que l'activité du CEOM tournait essentiellement autour de rencontres des oulémas marocains d'Europe, avec des repas «surfacturés» et des «voyages en première classe». CEOM et CMOE, quel lien ? Selon le rédacteur en chef du Maroxellois, Khalil Zeguendi, la «fraude» serait plus importante que l'on ne le croit. En 2008, le roi Mohammed VI institue, par dahir, le Conseil marocain des oulémas pour l'Europe [CMOE] et nomme, Taher Tijkani, au poste de président. Ce dernier, en collaboration avec deux autres théologiens, créé «une association de droit belge sans aucun lien avec l'institution créée par le roi [le CEOM]», selon M. Zeguendi contacté par Yabiladi. Il assure avoir parcouru les statuts de l'association belge et le dahir royal régissant le Conseil marocain. Chose curieuse ? Le CEOM serait financé depuis le Maroc. «L'argent vient du Maroc, mais aucune source n'est spécifiée. D'ailleurs d'où sont venus les 4 millions dépensés en 2010, s'interroge M. Zeguendi». Confusion? Nous avons tenté de joindre le CEOM, mais en vain. «Tous les responsables sont partis en mission», nous dit-on. Cependant, notre interlocutrice nous apprend que le CEOM et le COMCME n'ont rien de différent : «c'est la même institution», affirme-t-elle. Nous recherchions plus de précision quant à cette similitude, notre interlocutrice s'est dit «pas à même de nous répondre». Pour en savoir plus, nous avons contacté le ministère des Habbous en vain, puis le Conseil suprême des oulémas. Et là, seul Amine Reghaz, Chargé des finances et des Oulémas, était disponible pour nous parler. A la question de savoir si le CMOE et le CEOM sont tous deux pris en charge par le Maroc, il répond : «C'est le Conseil marocain et non européen qui nous concerne». Nous essayons de poser à nouveau la question de manière plus claire. Mais, comme embrouillé par cette succession de mots similaires, M. Reghaz lance pour en finir : «le Conseil qui nous concerne est celui dont M. Tahir Tougkani est le président». On dirait qu'il ignore que M. Toujkani assure la présidence des deux institutions. Cependant, M. Reghaz dit n'avoir aucune idée quant au financement des institutions à l'étranger car son portefeuille ne concerne que les oulémas résidant au Maroc. «Le Maroxellois fait son journalisme à sa manière» A l'Ambassade du Maroc à Bruxelles, «il ne faut pas prêter attention à ce qui se dit dans cette affaire», conseille le responsable de la communication joint par nos soins cet après-midi. «Ce n'est pas une information, poursuit-il. Partout en Europe, le champ religieux est toujours en proie à des problèmes dans différentes communautés. Après, cela se retrouve sur la scène médiatique». Et d'ajouter : «Le Maroxellois fait son journalisme à sa manière». Mais ici encore, personne ne dit si le CEOM et le CMOE sont liés ou non et le responsable en charge des oulémas est absent. Après consultation du dahir royal du CMOE, nous remarquons que l'article 8 stipule: «... il peut être institué dans chaque Etat d'Europe, conformément à la législation en vigueur dans le pays d'accueil, une section du conseil et réalisant les objectifs fixés par son président. Chaque section locale des oulémas est composée d'un président nommé par dahir et des membres désignés par le ministère des Habbous…». Mais rien ne dit que le Conseil européen des Oulémas marocain est une section belge du Conseil marocain des Oulémas pour l'Europe. A cette question, Abdelkader Chafi n'a qu'une seule réponse : «C'est un mystère». «J'avais posé des questions à ce sujet, mais je n'avais jamais eu de réponses». Pour l'instant, l'affaire n'est pas encore en justice.