Deux frères auraient dû obtenir une indemnisation de 5 millions de dirhams pour avoir été expropriés de leur terrain, jouxtant la gare d'Aïn Sebaa, à Casablanca, par l'Office National des Chemins de Fer. La justice marocaine s'est prononcée en leur faveur mais ils attendent toujours, 4 ans après, l'execution du jugement. Ils vont demander la saisie conservatoire de la Mamounia, l'un des plus beaux palaces du Maroc, pour pousser l'ONCF à payer. «Demain [jeudi 6 décembre, ndlr], nous déposerons au tribunal de commerce de Marrakech une demande de saisie conservatoire sur la Mamounia. Il ne nous manquait que le certificat attestant que l'ONCF fait partie du tour de table de ce luxueux palace, c'est désormais chose faite», annonce Me Messaoud Leghlimi, avocat au barreau de Casablanca. Depuis plusieurs années, il tente tous les recours possibles pour obtenir le versement des indemnités dues par l'ONCF car, au Maroc, gagner un procès, même devant la cour suprême, ne signifie pas automatiquement que l'on a atteint le bout de ses peines. Une réalité que deux frères, Lahcen Latif et M'Barek Latif, ont apprise à leur corps défendant. En cause : un lot de terrain de 1016 m2 (N° 4255/C) situé à Casablanca tout près de la gare d'Aïn Sebaâ. En 1990, dans le cadre d'un projet d'extension de la gare, le Bulletin officiel publie un ordre d'expropriation de la parcelle au profit de l'Office national des chemins de fer. Litige sur le prix Comme souvent dans ce genre de cas, il y a litige sur le prix. «En vue de la conclusion de l'acquisition, l'ONCF a déposé à la CDG [Caisse de dépôt de gestion, un organisme public, ndlr] un million de dirhams. Une somme que mes deux clients contestent, du coup ils étaient contraints de porter l'affaire en justice», déclare Me Leghlimi. La justice a complètement donné raison aux plaignants : le 5 décembre 2005, ils obtiennent du tribunal administratif de Rabat un verdict ordonnant à l'ONCF de payer 3 millions de dirhams aux frères Latif. Une petite victoire. «Même si le montant était élevé par rapport à ce qu'avait, initialement, proposé l'Office, nous avons décidé d'interjeter appel», poursuit Me Leghlimi. Le 29 octobre 2008, la Chambre administrative de la cour suprême prononce un verdict définitif en faveur des deux frères Latif. Le montant de l'indemnisation est nettement revu à la hausse : de 3 millions de dirhams, il passe à 5 080 000 DH. 5 millions de dirhams Quatre ans plus tard, leur victoire laisse cependant un goût d'inachevé. Les deux frères, ruinés et gravement malades, attendent encore l'exécution du jugement. Le 13 septembre 2009, ils demandent une saisie d'arrêt du compte de l'ONCF à la Trésorerie générale. Une lettre, en ce sens, est adressée au président du greffe du tribunal administratif de Rabat, en vain. «L'ONCF refuse de payer sous prétexte que le lot de terrain n'appartient pas à l'Office», raconte Me Leghlimi. Nullement découragée par cet obstacle, la défense des frères Latif change de tactique. Le 2 février 2010, le service de la Conservation foncière de Sidi Bernoussi, à Casablanca, atteste dans un document, dont nous détenons une copie, dûment signé par le conservateur, que les 1016 m2 ayant le titre foncier 4255/C est une propriété de l'ONCF. «Les droits de l'enregistrement, environ 56 000 DH, étaient payés par les plaignants», précise Me Leghlimi. Un obstacle est franchi mais d'autres se dressent encore. Le ministre de la Justice intervient La quête de l'exécution du jugement va mener la défense des deux frères à frapper à la porte du ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid. Le 28 mai 2012, Me Leghlimi lui adresse une lettre, de six pages, réclamant son intervention. Même si sa réponse de Mustapha Ramid a mis presque cinq mois à venir, elle a le mérite d'apporter de nouveaux éléments. Le ministre reconnait que ses services ont contacté ceux de son collègue de l'Equipement et des Transports afin d'avoir des éclaircissements sur le refus de l'ONCF d'exécuter le jugement prononcé, le 29 octobre 2008, par la Chambre administrative de la cour suprême. Le département de Rebbah, explique Ramid, assure que le lot de terrain «fait l'objet d'hypothèques» et est «occupé par d'autres personnes dans le cadre d'un contrat les liants avec ses propriétaires», les frères Latif, même si ces derniers ont «présenté un certificat foncier attestant» le contraire. Pas de réponse de l'ONCF La lettre de Ramid ajoute que l'ONCF a saisi, par écrit, le greffe du tribunal administratif de Rabat pour l'informer de sa disposition à payer les indemnités de l'expropriation aux frères Latif, conformément au verdict de la chambre administrative de la cour suprême mais à la condition d'évacuer les 1016m2 de ces occupants. Me Leghlimi a également sollicité, par courrier, le 6 septembre, une audience du ministre des Transports et de l'Equipement qui exerce une tutelle sur l'ONCF. Yabiladi a également contacté l'ONCF pour connaître sa version des faits, mais il n'a pas été en mesure de nous répondre dans le temps imparti à la préparation de notre article. Cette affaire a encore du chemin à parcourir. En coordination avec la défense, les plaignants sont décidés à aller jusqu'au bout, en espérant que la saisie conservatoire sur la Mamounia pourra faire bouger l'ONCF. La même requête pourrait concerner l'hôtel Michlifen à Ifrane. Réponse de l'ONCF : « […] Suite à la demande d'exécution de ce jugement formulée par l'ONCF en vue de mettre à sa disposition le terrain exproprié libre de tout occupant et suite également à la demande d'exécution formulée par les expropriés pour bénéficier de l'indemnisation accordée, le Tribunal Administratif de Casablanca n'a pu réussir à ce jour cette exécution au motif que le terrain exproprié est toujours occupé par des tierces personnes ayant une relation contractuelle avec les expropriés. Un PV d'information concernant l'exécution a été établi le 17 Mai 2012 par ledit tribunal sur lequel l'agent d'exécution mentionne l'absence de la partie expropriée et de son avocat malgré qu'ils aient été convoqués par le tribunal. Par ailleurs, et hormis les hypothèques et les prénotations qui grevaient auparavant le titre foncier concernant ledit terrain, la partie expropriée ne peut être effectivement indemnisée que si le tribunal peut remettre à l'ONCF le terrain libre de toute occupation. C'est pourquoi, l'ONCF a demandé à maintes reprises au tribunal chargé de l'exécution d'user de tous les moyens de droit afin de libérer le terrain en confirmant sa disposition à indemniser les expropriés sous condition de prendre possession du terrain libre de tout occupant. »