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Laïcité à la marocaine
Publié dans Yabiladi le 04 - 12 - 2012

Dans un Etat qui se dit musulman, dont le chef d'Etat a pour titre officiel Commandeur des croyants, où le culte musulman (du moins dans sa version sunnite malékite) est une administration publique, et dont le statut personnel est à fondement religieux, il peut paraître surprenant que des élections soient invalidées par le juge électoral parce que des tracts électoraux des candidats vainqueurs comportaient des photos dont l'arrière-plan laissait paraître un minaret.
C'est ce qui s'était passé avec la décision du Conseil constitutionnel marocain n° 856/2012 du 13 juin 2012. En application de la loi n° 57-11 relative aux listes électorales générales, aux opérations de référendums et à l'utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électorales et référendaires, et plus particulièrement de son article 118 (voir encadré), les «sages» ont invalidé l'élection des candidats PJD de la circonscription de Tanger-Asilah.
Dans la mesure où l'objectif visé – empêcher la manipulation des sentiments religieux des électeurs en interdisant aux candidats de se mettre en scène dans des lieux réservés au culte – est légitime – et on peut estimer qu'il l'est – notons cependant que la loi est imparfaite : quid en effet du candidat imprimant des versets coraniques, faisant figurer des exemplaires du Coran sur un tract ou invoquant des titres religieux (imam, ou diplôme religieux) ? Ce serait sans doute pousser l'analogie trop loin que de prohiber de telles utilisations de cesmentions ou symboles religieux dans l'état actuel de la loi. On pourrait sans doute franchir la démarcation délicate qui sépare l'interdiction de la manipulation des sentiments religieux des électeurs de celle de l'interdiction de l'expression d'une sensibilité religieuse ou philosophique. Chaque candidat doit être libre de pouvoir invoquer dans une société démocratique – on pourrait imaginer ainsi une inquisition contre les candidats barbus ou les candidates voilées.
On relèvera cependant l'ironie qui veut que le Code électoral français - pays où les écolières sont expulsées de l'école publique si elles ont un couvre-chef d'apparence musulmane et ou les principaux candidats à l'élection présidentielle cette année discutaient de viande halal et d'horaires séparées de piscine – ne contienne aucune interdiction de contenu religieux dans les affiches ou tracts électoraux de candidats aux élections en France. Tout juste l'article R-27 de ce Code interdit-il l'usage des trois couleurs du tricolore (sauf si ces couleurs sont incluses dans le symbole du parti dont se réclame le candidat, ce qui est par exemple le cas du Front national). Le PJD aurait ainsi pu se présenter en France avec ce tract, sans encourir de sanction de la part du juge éléctoral français…
Ce n'est donc bien évidemment pas la laïcité qui a animé le législateur marocain en adoptant l'article 118 de la loi n° 57-11 – la Constitution de 2011 affirme dans son préambule que le Maroc est «un Etat musulman souverain», dans son article 3 que «l'Islam est la religion de l'Etat», puis dans son article 41 que «le Roi, Amir al mouminine, assure le respect de l'Islam«qu'il préside le Conseil supérieur des oulémas» et qu'il «exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l'institution d'Imarat al mouminine».
Ce n'est donc pas le mélange des genres, religieux et politique, qui dérange l'Etat marocain : c'est le fait que son monopole – ou plutôt celui du Roi - serait rompu si chaque candidat ou parti pouvait également se réclamer de l'islam. Cette volonté de monopole est clairement exprimée dans la Constitution. Larticle 41 précise que les prérogatives que cette disposition «lui sont attribuées de manière exclusive» et que seul le Conseil supérieur des oulémas qu'il préside peut valablement émettre des fatwas (Le Conseil semble d'ailleurs ne pas pouvoir s'auto-saisir ou ne pouvoir être saisi que par le Roi lui-même).
Laïcité à la marocaine ? Non, et même si c'est fort heureux vu le discrédit qui frappe ce terme, il faut voir dans cette jurisprudence constitutionnelle la règle d'airain du makhzen – faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Visiter le site de l'auteur: http://ibnkafkasobiterdicta.wordpress.com/


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