«Je ne suis pas un chef d'Etat laïque parce qu'à partir du moment où l'on est musulman, on ne peut pas être laïque. Le droit musulman nous colle à la peau, qu'on le veuille ou non…», répondait feu le roi Hassan II dans un entretien. Le défunt roi était catégorique sur la question. «C'est malheureusement ce qui a fait perdre l'Iran. Le regretté Shah appelait l'imam le clergé, alors que chez nous il n'y a pas d'ordre religieux», insistait-il. Contrairement à la constitution du pays de Nicolas Sarkozy qui dispose que «La France est une république laïque» ou celle de la Turquie qui déclare que «l'Etat turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et réformateur», la constitution du Maroc prône le caractère religieux de l'Etat. Ce texte suprême stipule que le Royaume du Maroc est un «Etat musulman souverain» ou encore que «l'Islam est la religion de l'Etat», selon l'article six. «Un Etat qui gère les questions religieuses est la substance de la laïcité. Au Maroc, cet ingrédient existe. Mais il est impossible d'avoir une laïcité à l'occidentale. A la marocaine, c'est faisable...», explique Mohamed Darif. Le politologue ajoute que le Maroc évolue déjà dans un système semi-laïque ou le discours religieux est omniprésent. «La France est une république laïque. Pourtant, elle est manipulée par la religion chrétienne», assure-t-il. Bien que la constitution marocaine s'inspire de la constitution française de 1958, l'Islam fut instauré comme religion d'Etat. «Les droits de l'homme n'ont pas de cité au Maroc. Comment la loi peut-elle forcer les citoyens à être musulmans dès leur naissance, à faire le Ramadan, à se soumettre aux préceptes de l'Islam et à rejeter toute autre religion ? C'est absurde», s'indigne Karim. Ingénieur de son état, ce trentenaire dénonce ce qu'il qualifie de «schizophrénie de la société marocaine» qui, selon lui, «regorge de profonds maux d'hypocrisie et de servilité loin des principes de la convention internationale des droits de l'homme». Si la constitution du royaume ne compte pas changer ses fondamentaux de sitôt, l'AMDH entame tout de même, officiellement, «le combat pour la laïcité et la liberté de culte». Dans une constitution où le roi est «Commandeur des croyants», où le pouvoir politique et religieux ne font qu'un et où le choix de la religion est catégorique, le choc promet d'être rude dans une société qui se revendique de plus en plus moderne. «La laïcité ne signifie pas une rupture avec la religion. Il s'agit plutôt d'une gestion des divergences religieuses», atteste le politologue. Religion et politique : L'éternel combat La laïcité signifie la séparation du pouvoir politique du pouvoir religieux. Sans équivalent en arabe, ce mot est généralement traduit par le mot «Ilmania» (prédominance du savoir sur la croyane) dans son sens académique, mais tend facilement vers le sens athéiste. Face aux principes des mouvements religieux et à la constitution qui prône l'Islam comme religion, le combat de l'AMDH pose la laïcité comme l'un des critères indispensables pour l'instauration d'un Etat de droit et de démocratie. Les défenseurs de ce point de vue estiment qu'un pays laïque garantit au citoyen le droit de choisir sa religion, assure aux nouveau-nés la libre croyance et soutient l'égalité des personnes devant la loi quelles que soient leur croyance ou leur sexe, y compris pour l'héritage. «Nous militons pour un Etat de droit et de démocratie. Un régime laïque pourra assurer les droits des femmes, l'égalité des sexes, l'abolition de la peine de mort et résoudra les inégalités dans le domaine des partages des biens entre hommes et femmes et dans l'héritage. L'AMDH se réfère à la Convention internationale et la déclaration universelle des droits humains qui stipulent que l'Etat doit garantir les libertés individuelles et la liberté de culte. «Nous avons ouvert le débat parce que nous croyons vraiment à la démocratie et aux droits humains», soutient Khadija Riyadi. La présidente de l'AMDH dit lutter pour une société tolérante ou l'Islam côtoie en paix toutes les autres religions. «Il faut faire la différence entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. L'association a introduit le mot laïcité dans les documents du congrès pour en parler officiellement et ainsi faire face à tous les courants qui la considèrent comme une forme d'athéisme. Les réactions négatives au sujet de la laïcité rejoignent celles des droits des femmes et de l'égalité», ajoute-t-elle. Le débat récemment ouvert fait déjà des étincelles et les réactions fusent de partout. Si une minorité seulement approuve et soutient le combat de l'AMDH, une grande majorité de l'opinion publique approuve la constitution qui «islamise» les Marocains d'office. «Le culte est une affaire personnelle entre l'être humain et son créateur. Pourquoi forcer la personne à être musulmane malgré elle ?», réclame Souad, une jeune qui se réclame libre. «Vive l'Islam !» «L'islam a bercé notre enfance. Comment voulez-vous qu'on change de croyances ? Il n'y a qu'à compter les milliers de gens de tout âge qui emplissent les différentes mosquées lors de la prière du vendredi et voir les milliers de pèlerins marocains chaque année. Ceux qui rejettent l'islam sont des mécréants, des agnostiques et des athées manipulés. Ils veulent ébranler la foi des musulmans marocains et troubler le système religieux du Royaume instauré depuis des siècles», dénonce ce professeur universitaire. Si «Commandeur des croyants» reste un titre porteur de symboles pour la protection du système religieux, le débat au sujet de la laïcité toujours au stade embryonnaire suscite déjà de vives réactions, pas souvent modérées. «Personnellement, j'estime que le Maroc est déjà un pays laïque. Rares sont les pays où cohabitent musulmans, chrétiens et juifs en toute harmonie et dans la tolérance comme chez nous», explique Said. Ce jeune médecin reste pourtant sceptique quant à l'avenir de l'islam au Maroc. «Après les actes terroristes du 16 mai 2003, le système religieux a connu un tournant imprévisible. Le Maroc a compris que le danger de l'extrémisme est à prendre au sérieux et que la société n'est plus aussi “manipulable”. Après tout, ce n'est pas un hasard que les partis politiques à dominance religieuse aient essuyé un échec cuisant dans les dernières élections», estime-t-il. En effet, secouée par ces actes, la société appréhende de plus en plus l'ancrage d'un système politico-religieux dans un pays comme le Maroc. Pourtant, elle tient toujours à sa religion de base et n'admet pas l'ouverture d'un débat qui serait à même de remettre en question tout un modèle politique. «La société est mal informée au sujet de la laïcité. En ouvrant le débat, le citoyen sera mieux éclairé et connaitra nos points de vue grâce à nos documents et nos livres sur ce thème», assure la présidente de l'AMDH. «Ceux qui encouragent la laïcité au Maroc n'ont qu'à approuver la présence des missionnaires évangélistes chez nous», rétorque l'universitaire. Dans sa marche vers la démocratie, le Maroc n'a pas la tâche simple. La perspective d'une laïcité dans un futur proche relève encore de l'utopie. «On ne peut pas concevoir un Etat démocratique sans laïcité», conclut M. Darif. Pour l'AMDH, son 9e Congrès national était le rendez-vous incontournable pour lancer le débat et annoncer officiellement le combat pour la liberté de culte. Ce n'est que le début d'une longue bataille qui s'annonce dure…