La semaine dernière, un journal arabophone marocain affirmait que le Viagra, médicament généralement prescrit aux hommes souffrant de troubles de l'érection, avait beaucoup de succès au Maroc. Pour en savoir plus sur ces pilules «miracles» et comprendre l'ampleur de cette maladie, souvent inavouée, dans la société marocaine, nous avons contacté le docteur Abderrazak Moussaid. Diplômé de la faculté de médecine de Paris XIII-Bobigny, ce sexologue et psychosomaticien, exerce aujourd'hui à Casablanca. Il est également président de l'Association marocaine de sexologie. Au Maroc, le Viagra serait le 3e médicament le plus vendu. Qu'en pensez-vous ? En tant que médecin sexologue, je n'ai pas de statistiques fiables à ce propos, il faut peut-être poser cette question aux pharmaciens et aux responsables de l'industrie pharmaceutique. Cependant, il y a certains indicateurs qui font annoncer une augmentation de la dysfonction érectile aussi bien chez nous qu'à travers le monde. Plusieurs médicaments destinés à soigner les troubles érectiles sont disponibles sur le marché pharmaceutique marocain. Y en a-t-il qui sont plus efficaces que d'autres ? Les trois molécules qui existent dans le monde existent aussi au Maroc. Mais, seul le Sildénafil est «génériqué». Il existe au moins six génériques sur le marché marocain. Concernant l'efficacité, cela dépend de la réponse de certains patients au traitement, par rapport à d'autres. Cependant, la différence qui existe entre les trois molécules mères -Sildénafil, Vardenafil et Tadalafil-, est la durée d'action. Le Sildénafil et le Vardenafil ont une durée courte de 4 heures, alors que le Tadalafil a une durée longue de 36 heures. L'avantage des deux premières molécules est la prescription chez les hommes âgées de plus de 50 ans, susceptibles de faire une crise cardiaque, pour la simple raison que les médecins peuvent prescrire un dérivé nitré (médicament qui soulage la douleur cardiaque) en attendant la mise en place d'une revascularisation des artères bouchées. Le Tadalafil, lui, peut être prescrit chez les jeunes hommes souffrant de dysfonction érectile. Il y a aussi les médicaments non contrôlés que l'on peut se procurer dans le marché noir, à des prix très accessibles. Les Marocains s'adonnent également aux produits dits aphrodisiaques tels que le Mssakhen, Khoudinjal... Quels sont les risques dans les deux cas ? Effectivement, il existe des médicaments contrefaits en circulation au Maroc et qui présentent un danger pour les personnes qui les utilisent sans avis médical, au même titre que les aphrodisiaques dont le contenu peut contenir des substances toxiques telles que des extraits de la mouche Cantharides «Dabbana el handia» qui entrainent une nécrose des cellules rénales et donc une insuffisance rénale chronique. Avez-vous une idée sur la proportion de Marocains qui souffrent de ces troubles ? Les dernières statistiques de la prévalence des dysfonctions érectiles au Maroc, faite en 2000, était de 12 % concernant les dysfonctions érectiles permanentes et de 55 % de pannes sexuelles «occasionnelles». Actuellement, avec le changement de mode de vie et les habitudes alimentaires, (multiplication des fast-foods et la sédentarité), les Marocains sont exposés au surpoids (rapport du HCP sur l'obésité) et donc aux «syndromes métaboliques» : hypertension artérielle, diabète, cholestérol, obésité abdominale ou viscérale, sédentarité, dysfonction érectile et cardiopathie ischémique (Infarctus du myocarde). Dans ce cas, la dysfonction érectile devient un symptôme prédicateur de la cardiopathie ischémique (ndlr : une pathologie cardiaque). Cela veut dire que la personne qui a fait un trouble érectile en association avec des symptômes déjà cités, fera dans 2 à 5 ans une cardiopathie ischémique. Pensez vous que la question est plus taboue au Maroc qu'ailleurs dans le monde, vu que c'est un pays musulman... ? Le tabou n'a rien à voir avec la religion. Les problèmes de sexualité chez l'homme sont universels. A titre d'exemple, dans les pays scandinaves 65 % des hommes qui présentent un problème de sexualité ne consultent pas. En France et en Italie, 75 % de personnes qui ont un problème de sexualité ne consultent pas non plus. Au Maroc, le nombre est certainement supérieur.