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Polémique Maroc Hebdo International : Des maux et des regrets
Publié dans Yabiladi le 21 - 11 - 2012

Dans son numéro 998, le magazine Maroc Hebdo a déclenché une polémique par l'usage d'une couverture jugée raciste et xénophobe (cf. «Le péril noir»). Dans le numéro suivant, son directeur de publication, Mohamed Selhami, s'est fendu d'une longue explication, laquelle contient aussi ses excuses pour cette «maladresse lourde de sens».Pour le militant associatif Younes Benmoumen, le problème posé par Maroc Hebdo est celui de ses méthodes de travail.
La polémique sur la couverture de Maroc Hebdo a suscité un sursaut salutaire de la part des internautes et de la société civile. Maintenant qu'elle est éteinte, il me parait important de soulever cette question grave qui se pose à la presse marocaine, et qui est celle de son seuil de tolérance vis-à-vis de méthodes qui mettent sa crédibilité en péril.
Dans son long billet d'excuses, M. Mohamed Selhami écrit au sujet des migrants subsahariens que «faisant contre mauvaise fortune bon cœur [le Maroc] gère, à la limite du possible et même au-delà.» Au sujet de la reconduite à la frontière, on apprend ainsi qu'elle est «jugée inhumaine parce que les frontières donnent sur la vastitude sahélienne. Pour être la cible de ce type de critique, le Maroc a fourni le gîte et le couvert à ces immigrés africains, avant de les refouler par avion et par groupe.»
Pour quiconque s'intéressant à la situation des migrants au Maroc, de tels propos surprennent tellement qu'on se prend à en faire une exégèse, comme à la recherche d'un compartiment secret où résiderait le sens véritable, et qui n'est pas celui que nous lisons en nous frottant les yeux. Parce qu'enfin, les rapports d'ONG qui nous parviennent ne sont pas ceux d'autorités sympathiques, fidèles à la légendaire hospitalité marocaine. La correspondante de Libération au Maroc rapporte ce témoignage de Moussa, Camourenais de 28 ans[1] au tibia gauche fracturé : «ils visent les pieds et les chevilles [avec des barres de fers ou des bâtons] pour éviter qu'on recommence»[2]. Les autorités sont parfois moins violentes : elles se content de leur cracher et uriner dessus, ou de leur dérober argent et téléphones portables.
En lisant un magazine tel que Maroc Hebdo, il est absolument impossible de se douter de ce genre de pratiques, d'autant plus que c'est exactement le contraire que l'on peut imaginer. Bien plus qu'une couverture «maladroite», c'est donc toute la pratique du journalisme chez Maroc Hebdo qui semble être frappée de maladresse congénitale.
L'article commis par M. Abdelhak Najib, au titre désormais célèbre «la Péril noir», en porte les stigmates nombreux. 0,062%[3] de la population marocaine y est dépeinte à travers le prisme sécuritaire des trafics en tout genre, c'est-à-dire celui d'une minorité plus infime encore. Une lecture attentive de l'article révèle au moins une faute, une approximation et deux omissions :
- L'article mentionne le témoignage «d'une militante de RSF». Contacté par nos soins RSF a nié avoir été interrogé. La rédaction a rectifié dans le numéro suivant, il s'agirait en réalité de «Médecins sans Frontières». L'ennui est que MSF, par la voix de son coordinateur général au Maroc[4], dément aussi avoir été interrogé. Les citations seraient-elles donc une invention ?
- Au sujet des enfants d'immigrés nés sur le territoire marocain, l'auteur explique que «la question du droit du sol prévaut dans ce type de cas», sans aller plus loin. Comment le pourrais-t-il ? Le droit du sol n'existe pas au Maroc.
- Elément marquant car manquant : l'auteur a ignoré les ONG marocaines les plus sérieuses sur la question. Malgré la documentation impressionnante et les témoignages nombreux recueillis par le GADEM[5] et le CMSM[6], ils n'ont même pas été contactés[7]. Quant à l'actualité la plus immédiate, à savoir l'arrestation de Laye Camara, coordinateur national du CMSM (la semaine précédant l'article en question), elle est tout simplement passée sous silence.
- La touche humaniste en fin d'article annonce «des agissements inhumains», et l'on se met croire que l'auteur y viendrait enfin au fait. En réalité, un bel euphémisme nous informe des « reconduites à la frontière» de septembre et octobre dernier. Pourtant, les témoignages de maltraitances ne manquent pas et, ironie du sort, ils sont aussi rapportés par Médecins sans Frontières[8], en plus des ONG marocaines[9].
Après les excuses de M. Selhami, l'on peut concevoir que Maroc Hebdo ne soit pas un magazine raciste et xénophobe. Mais à la lecture des écrits de Maroc Hebdo, on ne peut concevoir que cette version tellement fragmentaire de la réalité puisse être qualifiée de travail journalistique.
L'honneur du quatrième pouvoir est de contrôler les trois premiers, les soumettre à l'examen critique pour responsabiliser le pouvoir par le regard de la société. Sans cela, il n'y a pas de démocratie. Or, les méthodes de Maroc Hebdo consistent précisément en l'inverse de chacun de ces points, j'en déduis qu'elle n'en recherche pas la même finalité.
Il y a en quelque sorte trois grandes familles dans le journalisme marocain : la première entendait mener à bien la mission décrite ci-dessus, elle en est morte. La seconde veut mais n'ose, sous peine de rejoindre la première. Reste la troisième, celle de Maroc Hebdo. De cette famille-là, il y aurait beaucoup à dire. Je n'ai pas assez de mots et de regrets pour cela.
Entendons-nous bien : être «proche du pouvoir» n'est pas en soi une infamie. Vouloir défendre la Nation tout entière quand on ne défend que son gouvernement n'est finalement qu'une (énorme) erreur d'appréciation. Après tout, en bon démocrate j'ai compris que quand des points de vue s'affrontent au sein d'une société, le salut du pays est qu'il puisse coexister même si l'un l'emporte. Et puis surtout, même les thèses les plus rétrogrades peuvent bien être défendues avec talent et professionnalisme.
Non, ce qui peut –ce qui doit !- être reproché à Maroc Hebdo, c'est de livrer une version tellement tronquée de la réalité qu'elle n'en est plus une, et qu'on ne peut s'empêcher de se demander à qui elle profite.
La réponse, et là réside l'infamie, est évidente pour tous.
[1] Correspondante à Rabat du journal français Libération.
[2]Léa-Lisa Westerhoff, «Au Maroc, frontière sanglante pour les migrants subsahariens». http://www.liberation.fr/monde/2012/11/04/au-maroc-frontiere-sanglante-pour-les-migrants-subsahariens_858044
[3] Chiffres GADEM
[4] David Cantero.
[5] Groupement antiraciste d'accompagnement et de défense des étrangers et migrants
[6] Conseil des Migrants subsahariens au Maroc
[7] Vérification faite par moi-même.
[8] «Deux fois plus de migrants victimes de violences à Nador», Médecins Sans Frontières, http://www.msf.fr/actualite/articles/maroc-deux-fois-plus-migrants-victimes-violence-nador
[9] A ce propos, les notes d'informations du GADEM sont éclairantes : http://www.gadem-asso.org/Recrudescence-de-la-repression,142


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