Manuel Valls a prononcé un discours, à Strasbourg, à l'occasion de l'inauguration de sa grande mosquée, jeudi 27 septembre. Pour Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche Orient de Beyrouth, l'attitude paternaliste du nouveau gouvernement vis à vis des musulmans est dans la continuité de la présidence de Nicolas Sarkozy. Yabiladi : Manuel Valls, à la tribune, à l'intérieur de la grande mosquée, a affirmé qu'il n'accepterait «pas les comportements des salafistes et autres groupes qui défient la République», devant un public de musulmans sans reproche au risque de renvoyer le second vers les premiers. Quelle signification donner à cette déclaration ? Vincent Geisser : Manuel Valls reste dans une forme de continuité politique par l'utilisation d'injonction contradictoire vis-à-vis des musulmans. D'une part on dit qu'il n'y a pas de communauté musulmane, d'autre part, on s'adresse aux musulmans comme si elle existait. Manuel Valls s'est adressé aux musulmans de l'assemblée comme si ceux qui troublent l'ordre public - et je ne le nie pas, il en existe bel et bien - étaient dans le public. Il crée une chaine imaginaire d'islamité entre tous les musulmans, comme si le public de la mosquée de Strasbourg avait un pouvoir d'action, pouvait influencer ceux là qui commettent des actes délictueux. En agissant ainsi, Manuel Valls ne rend pas coupables tous les musulmans pour les actes de quelques uns, mais il les rend tous responsables. C'est révélateur d'une attitude paternaliste où le musulman est toujours considéré comme immature du point de vue de la démocratie et politique. Dans son discours, Manuel Valls a regretté que la Fondation pour les œuvres de l'islam de France, [lancé en 2005, ndlr] qui «était une initiative pertinente» n'ait «pourtant jamais porté ses fruits.» En quoi consiste ce fonds ? Ce fonds a été créé dans la volonté de mettre en œuvre une sorte de transparence dans le financement des cultes pour notamment faire face aux accusations, mais là encore il y a contradiction avec la République. La laïcité française est souple, contrairement à ce que l'on croit souvent, elle ne coupe pas les relations avec les cultes, mais elle aménage des espaces de contact. En appelant à la réactivation du fonds des œuvres de l'islam, Manuel Valls va toutefois beaucoup plus loin que cette souplesse de l'autorise, en principe, car là l'Etat intervient directement dans un culte. Il est normal que l'Etat surveille la provenance des fonds mais certainement pas au point d'en être le maître d'œuvre, d'organiser l'administration et le financement de l'islam. C'est ce que Franck Fregosi appelle «l'exception musulmane à la laïcité». Il n'appartient pas à l'Etat d'être le promotteur de cette fondation ; c'est une entorse au principe de laïcité. La laïcité suppose la neutralité de l'Etat vis-à-vis des religions, pourtant Manuel Valls a affirmé : «le racisme, le fondamentalisme, ce n'est pas cela l'islam». Peut-il légitimement tenir de tels propos ? C'est presque drôle de voir un ministre de l'Intérieur devenir exégèse de l'islam. Ce n'est pas à lui de dire ce qui est musulman et ce qui ne l'est pas. Le ministère de l'Intérieur doit agir en garant de l'ordre républicain et non en interprète de la religion. A propos du rôle du ministre, la presse a révélé que Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, devait, à l'origine, se déplacer à Strasbourg, mais qu'il a été finalement remplacé par Manuel Valls. Dans le gouvernement précédent, le ministre de l'Intérieur était déjà celui qui s'exprimait sur l'islam. Comment cela s'explique-t-il ? En France, il y a une petite bizarrerie : le bureau des cultes est rattaché au ministre de l'Intérieur. Cette bizarrerie se transforme en ambivalence en ce qui concerne les musulmans. Le ministre des Cultes ne devrait traiter que de l'aspect cultuel, mais, une ambigüité s'installe avec l'aspect sécuritaire. Le ministre de l'Intérieur s'adresse ainsi aux musulmans à la fois comme ministre des Cultes et comme responsable de la sécurité intérieure. Contrairement à ce qui se passe avec les autres cultes, quand il s'agit des musulmans l'aspect sécuritaire l'emporte. Jeudi, c'était plus le père fouettard de la république qui parlait aux musulmans que le ministre des Cultes. Tous ces aspects que vous relevez, ne viennent-ils pas contredire la déclaration de Manuel Valls, début août, en réaction à la profanation de la mosquée de Limoges, «s'attaquer à une religion, c'est s'attaquer à la République» ? Il n'y a pas de contradiction entre donner des ordres aux musulmans [«je veux des imams français», ndlr] et dénoncer l'attaque d'une mosquée. Manuel Valls n'est pas du tout islamophobe, mais son discours est l'incarnation parfaite d'une gestion paternaliste : «je vous protège, mais attention si l'un de vos membres dépasse les limites, vous le paierez tous.» Cette attitude paternaliste, aujourd'hui, du gouvernement de François Hollande avec les musulmans est-elle en rupture avec celle du précédent gouvernement de Nicolas Sarkozy ? On est dans une continuité parfaite, mais Nicolas Sarkozy était lui même dans la continuité de la gestion politique du dossier pratiquée depuis des dizaines d'années : paternalisme, autoritarisme avec un brin d'empathie... Les deux ministres instrumentalisent la peur de l'islam à des fins politiques : se bâtir une stature d'homme d'Etat sur le dos des musulmans. La différence entre eux est une question de dosage. Sans être islamophobes, ce sont des discours qui favorisent et légitiment indirectement les tendances islamophobes.