Après les Etats-Unis, où le Bureau fédéral d'investigation (FBI) met en garde contre la menace de l'extrême droite «aussi grande que Daech», les autorités françaises commencent à s'inquiéter de la montée en puissance d'un phénomène aux revendications racistes et conspirationnistes, avec de plus en plus de menaces de passages à l'acte violents. La menace de l'extrême droite en France n'est pas nouvelle. Elle est déjà présente dans les années 1960 avec des groupes violents comme le mouvement «Occident», qui donnera naissance en 1968 au «Groupe union défense» actif jusqu'en 2017 avec à son compte des dizaines d'agressions. Sa dissolution ne se fera qu'au profit d'autres groupuscules comme le «Bastion social», officiellement dissout en Conseil des ministres en 2019, mais toujours présent sur le terrain par des branches locales. Longtemps, ces groupes prenaient ces formes et étaient bien connus, limités à quelques dizaines ou centaines de membres actifs identifiables. Mais le développement des nouvelles technologies de communications a permis aux réseaux d'extrême droite, à l'instar des réseaux terroristes, de se dissimuler sous couvert de l'anonymat pour propager, parfois sous les radars des autorités, des idées racistes, conspirationniste et violentes. Les renseignements et la police en première ligne Face à cette menace, les renseignements français sont aujourd'hui très vigilants. La Direction générale du renseignement intérieur a procédé ces derniers mois à des dizaines d'arrestations de membres de l'ultradroite, tantôt en préparation d'un attentat «accélérationistes», persuadé de la nécessité de provoquer une guerre raciale, tantôt organisant des groupes armés en anticipation de cette guerre civile que provoquerait la «pression migratoire». «Cette menace est prise très au sérieux et les services y travaillent, avec des interpellations régulières et des groupements de faits ou des associations dissous», assure à franceinfo le ministère de l'Intérieur, alors que les services de renseignements mettent tout en œuvre pour pénétrer les réseaux par «l'intégration au groupe ou bien la compromission d'une personne s'y trouvant». Outre les groupes «identitaires» traditionnels précités, les autorités recensent aujourd'hui des groupes royalistes «assez peu nombreux», et ce que le renseignement appelle «les néopatriotes», des militants «fascistes et les néonazis», à l'instar de Rémy Daillet accusé de préparer un coup d'Etat. Loin d'être anodins, ces enquêtes et arrestations ne sont pas des actions contre des «marginaux» mais la partie émergée de l'iceberg de l'extrême droite violente en France. Une source de police confiait d'ailleurs à franceinfo que les insultes et les agressions physiques commis par «ces individus qui se revendiquent de l'ultradroite sont fréquents». 3 000 militants d'ultradroite, dont 500 «excités» Jade Dousselin, l'avocate d'un journaliste agressé le 10 novembre ajoute que depuis «octobre dernier et surtout depuis que la campagne présidentielle a débuté, [elle] ouvre en moyenne deux dossiers par semaine pour violences physiques, menaces de mort ou cyberharcèlement à cause de cette mouvance d'ultradroite». Cette fréquence des agressions s'explique notamment par les chiffres des «recensements» des militants. En 2019, un rapport parlementaire estimait à environ 3 000 le nombre de militants d'ultradroite, un chiffre stable depuis 2005, avec «un noyau dur de 500 excités majoritairement masculins, plutôt jeunes et déterminés à mener des actions violentes» selon la police. Sur Télégram, la «Pharos» du ministère de l'Intérieur a d'ailleurs réussi à fermer un groupe néonazi nommé «Vilains Fachos 2.0» qui comptait plus de 2 300 membres qui partageaient et consultaient du contenu raciste, incitant à la haine et à la violence. Déception, récupération, convergence des luttes Pour le chercheur en sciences politiques Benjamin Rojtman-Guiraud, spécialisé dans l'extrême droite, la croissance des propositions extrémistes découle d'une radicalisation de la société alliée avec une «déception» de citoyens par les partis politiques traditionnels qui ouvre le champ à un concours à la radicalité des deux côtés du spectre politique. Si le phénomène s'observe à l'étranger, avec la prise de pouvoir par Trump ou Bolsonaro, en France, le chercheur souligne que l'addition des différents mouvements politiques d'extrême droite donne un bloc «très puissant» malgré la fragmentation croissante de la société. Pour Tristan Mendès-France, maître de conférence qui travaille avec l'Observatoire du conspirationnisme, la stratégie des groupes d'extrême droite est d'ailleurs souvent très proche de la propagande salafiste où les plus fragiles se font prendre dans les filets de leurs gourous. Le rapport parlementaire de 2019 soulignait d'ailleurs le souci de certains groupes à paraitre «respectables» pour assurer leur existence dans la société. Alors la propagation des idées d'extrême droite passe aussi, selon la chercheuse Marine Cambefort, par des campagnes de boycottage, liant l'action militant politique traditionnelle et «acceptée» à des motivations idéologiques nationaliste et xénophobes. On peut ici citer Decathlon qui a dû renoncer à son hijab de course. La «force» des groupuscules d'extrême droite est aussi, selon un enquêteur, leur capacité à faire converger des luttes nationalistes et xénophobes avec les théories complotistes à la mode, formant «un agglomérat des mécontentements difficilement contrôlable». Face à la menace grandissante, notamment avec la radicalisation du débat public autour des élections présidentielles avec la candidature éventuelle d'Eric Zemmour, pôle d'attraction de l'ultradroite, et de la crise sanitaire comme terreau fertile des théories du complot, un magistrat du Parquet national antiterroriste déplore que «nous savons que nous aurons malheureusement, un jour ou l'autre, un Anders Breivik français».