Les élections générales du 8 septembre au Maroc se sont distinguées, dans certaines régions, par une mobilisation marquée des jeunes qui ont longtemps tourné le dos aux urnes, ainsi que des militants issus des mouvements sociaux. Le triple scrutin du 8 septembre pour élire les membres de la Chambre des représentants, ceux des conseils communaux et des régions, a été marqué par la mobilisation de jeunes et de militants issus des mouvements sociaux, dans certaines régions. Cette participation a été remarquée à Jerada, où ces élections constituent les premières tenues après les protestations sociales dans le cadre du Hirak. Dans la ville de l'Oriental, la mort tragique de deux travailleurs des mines, le 22 décembre 2017, a donné lieu à une large contestation où les revendications sociales et économiques se sont multipliées. Quatre ans plus tard, les figures de cette dynamique ont soutenu la liste législative d'un candidat, Saïd Merzougui, aux couleurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Les incertitudes ont laissé place à la liesse, après que les résultats du scrutin ont montré une large victoire du parti au niveau de la circonscription de Jerada. Sur 30 sièges locaux, les candidats PPS en ont raflés 27, selon les déclarations de Merzougui à Yabiladi. Après l'arrestation, la condamnation et la sortie de prison de jeunes militants du Hirak, ces derniers ont perdu des droits politiques comme celui de voter ou de se présenter à un scrutin, mais pas celui de mener campagne pour un candidat qu'ils ont choisi. «Les noms des figures du mouvement qui ont été condamnés à la suite du Hirak depuis 2017 et qui ont purgé leurs peines ont été rayés des listes électorales. Ils ont perdu le droit de voter ou de candidater. Mais ils ont gardé à l'esprit l'idée de la participation politique et celle-ci a muri ces dernières années. Ils se sont dits pourquoi ne prendre part au changement qu'on prône, par le biais des institutions», a déclaré à Yabiladi Saïd Merzougui. Un exemple de l'esprit d'intérêt commun chez les ex-détenus du Hirak «Ces anciens détenus ont donné un grand exemple de citoyenneté en mobilisant les jeunes dans le processus électoral et en les incitant surtout à voter. Cela traduit leur conscience réelle de l'intérêt commun : le fait qu'ils soient privés de leurs droits civique ne les a pas rendus allergiques à la gestion de la chose publique et je les salue pour cela», a indiqué Merzougui. «Au sein du Hirak, les revendications ont porté sur la reddition des comptes des élus locaux et sur une alternative économique pour Jerada. Les jeunes ont débattu sur leur participation eux-mêmes et leur contribution là où c'est possible.» Saïd Merzougui A travers la liste du PPS, «l'occasion a été de porter les revendications du Hirak, malgré la concurrence déloyale qui a accompagné tout le processus», selon Saïd Merzougui, qui décrit «l'utilisation de l'argent, le poids de l'appartenance familiale ou tribale, le dénigrement et la diffamation des jeunes issus des mouvements sociaux». «Nous nous sommes tenus à la ligne de conduite que nous avons tracée et qui est celle de mettre en avant le potentiel de notre ville, ses besoins ainsi que les attentes de la population au niveau social et économique, sans oublier de faire connaître les profils et les parcours des jeunes militants qui soutiennent la liste», a indiqué l'élu. «Nous nous sommes adressés aux habitants avec un langage de vérité. On leur explique clairement ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas», a-t-il souligné. Jerada : La commission d'enquête parlementaire sur l'accord de 1998, dissoute En dépit de la majorité écrasante du PPS en commune, Merzougui n'aurait pas réussi à rassembler les votes suffisants pour accéder à la Chambre des représentants. Cependant, il conteste ces résultats et indique avoir décidé de saisir la Cour constitutionnelle en déposant un recours. Selon lui, son élection au Parlement lui aurait permis d'ériger comme «point prioritaire» de son mandat législatif le dossier, passé à la trappe, des mines de Jerada et des suites de leur fermeture. «Rappelons qu'il y a eu un protocole économique mais qui n'a pas été appliqué et nous en avons subi les conséquences sur 20 ans», soutient-il. «Rien ne nous empêche de continuer à travailler sur la question au niveau local et à soutenir, par ailleurs, une alternative économique basée sur l'énergie renouvelable, l'agriculture et d'autres activités susceptibles d'être génératrices d'emplois directs, avec l'implication de la société civile, dans une démarche participative.» Saïd Merzougui Un exemple qui fait réfléchir au sein des mouvements sociaux d'autres régions Saïd Merzougui estime que «cette expérience au niveau de Jerada peut servir d'exemple à d'autres régions, qui ont connu aussi des mouvements sociaux et qui veulent s'en inspirer». Mais en fonction des zones, la capacité de mobilisation des jeunes sans appartenance partisane peut s'avérer être un travail de longue haleine. A Imider, l'élection locale d'un candidat sous les couleurs de l'Alliance de la fédération de gauche (AFG) ouvre la possibilité d'une meilleure écoute et d'une interaction avec différentes tendances. Mais quelques divergences demeurent. Khalid Ouchtoubane (AFG) a candidaté dans la dixième circonscription, qui correspond à celle du site minier d'Imider. Travaillant lui-même dans le gisement, il est actif au sein du bureau syndical des ouvriers, pour la Confédération démocratique du travail (CDT). «Il dialogue avec tout le monde, il est plutôt à l'écoute des jeunes et n'est pas renfermé», nous indiquent des jeunes issus des mouvements sociaux dans la ville, en décrivant «un homme qui a le sens de la compréhension». Sur ce que représente son élection dans une zone ouvrière, connue pour sa mobilisation sociale depuis des décennies, Ouchtoubane a refusé de donner des déclarations à Yabiladi. Imider : Après huit ans de bras-de-fer, le Mouvement 96 lève le camp sur Jbel Albbane «La candidature de Khalid a eu une certaine sympathie de la popualtion et des jeunes militants», ont par ailleurs indiqué des sources locales à notre rédaction. Mais sur le plan organisationnel, il existe des désaccords entre le bureau syndical et le Mouvement sur la route 96 d'Imider notamment, ce qui pourrait peser dans le positionnement de l'élu. En plus de la thématique environnementale, une des divergences majeures porte sur une clause dans le protocole entre la CDT et la Société métallurgique d'Imiter (SMI). Cette clause prévoit l'hérédité du poste des ouvriers de père en fils, en cas de besoin en main-d'œuvre dans le site minier. En 1996, ce point a été un des déclencheurs de 45 jours de sit-in à Imider. Celui de 2010, puis le camp de 2011 à 2019, ont revendiqué la suppression de cette mesure. Contrairement au cas de Jerada, les questions demeurent quant aux marges de manœuvre de l'élu local d'Imider. Pour cause, le Rassemblement national des indépendants (RNI) a obtenu un nombre de voix conséquent au niveau provincial. Les alliances ne sont pas définitivement tranchées. Article modifié le 2021/09/12 à 16h32