Elle est tout de même étrange, cette affaire de l'Algérien (ou Kabyle, ou les deux) Ferhat Mehenni, censuré en France, le pays qui pourfend la censure. Il est tout de même curieux, ce silence des médias français, pourtant prompts à rechercher la vérité et enclins à la révéler telle qu'elle est, disent-ils, et à faire des remontrances urbi et orbi à qui y contrevient… Et il est naturel que nous autres, Marocains, soyons surpris, surtout après un très inattendu communiqué de l'ambassade de France à Rabat ! Pourquoi revenir sur cette affaire ? Parce que si la France trace comme partout des limites à la liberté d'expression, elle s'en défend et le dément, tout en appliquant ces limites. Quelques faits le démontrent, récents, sans remonter jusqu'à la disparition des Guignols de l'info sur décision du milliardaire Bolloré pour, selon plusieurs médias locaux, se créer des obligés en politique, comme en témoignait entre autres le soutien appuyé que lui apportait Jean-Yves Le Drian… et encore moins remonter à la brutale éviction d'Alain Genestar de Paris Match en 2006, pour ceux qui s'en souviennent… Quelques faits, donc, plus récents, actuels même… 1/ Mars 2022, Vladimir Poutine attaque l'Ukraine en février, avec la ferme intention de l'envahir et, possiblement, l'annexer. Son action est incontestablement et indiscutablement condamnable car la guerre ne devrait plus être la continuation de la politique par d'autres… Pour autant, les arguments de M. Poutine peuvent être débattus, sauf à penser que certains débats sont plus libres que d'autres. Mais l'Europe en général, la France en particulier, et parmi les premiers en Europe, ont décidé de bloquer les chaînes russes. Motif officiel ? « Empêcher la propagande russe » ; Raison officieuse : protéger la propagande européenne, qui peut alors se déployer ainsi qu'on le voit aujourd'hui, dénonçant à juste titre la guerre de Vladimir Poutine mais masquant coupablement ses conséquences dramatiques sur les populations européennes, et mondiales. 2/ Septembre 2022, le président Macron fit venir ses diplomates au grand complet et leur tint le langage suivant : « (Pour) porter la valorisation de nos propres actions, (…) nous devons beaucoup mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé et qui doit être une force pour nous ». Il y a bien eu une levée de boucliers au sein des rédactions concernées, mais rien de bien farouche ; quelques communiqués, une ou deux déclarations, une timide indignation, et ledit réseau entreprend de fonctionner encore mieux qu'il ne le faisait déjà, « pour porter la valorisation de (leurs) actions ». Il n'est pas nécessaire, et encore moins nécessairement requis, d'être un spécialiste des médias pour voir l'information très orientée et l'analyse pour mieux désorienter. 3/ Octobre 2022, Paris et Alger roucoulent et chacun souhaite que les relations se portent mieux, Paris plus qu'Alger d'ailleurs. Paris plus qu'Alger puisque l'entretien que devait avoir le chef du MAK Ferhat Mehenni sur CNews a été annulé au dernier moment, laissant croire à une intervention politique, admise du bout des lèvres par certains journalistes imprudents, en quelque sorte confirmée par l'étrange et assourdissant silence des médias, et puérilement démentie par un communiqué d'anthologie de l'ambassade de France à Rabat. Et que dire du fait que même RSF n'ait rien dit... Il est, donc, troublant, qu'en six mois, à travers ces trois cas, nos amis Français, prompts à donner des leçons sur les liberté et indépendance de la presse, aient agi comme cela. Il est proprement somptueux que personne n'en parle chez eux, et il est profondément navrant que chez nous, certains persistent à voir en la France ce maître en à peu près tout, écoutant religieusement ses médias, épousant pieusement ses thèses sur tout et rien, suivant scrupuleusement son « exemple », s'en prenant inconsidérément à son propre pays sur « injonction » de médias français, le Monde, Médiapart et d'autres… Le problème en France n'est pas d'avoir des règles ou des non-dits – tout le monde en a… – mais de le nier, de s'en défendre, et de pourfendre les autres en assénant des leçons à travers des médias dont le tort n'est pas de soutenir une politique nationale mais de dénier ce droit à d'autres. Chaque pays agit à sa façon et aujourd'hui, chaque pays réagit avec une énergie croissante aux donneurs de leçons. Ici, au Maroc, en Espagne, aux Etats-Unis, en Israël ou ailleurs, il existe une doxa et tout le monde y adhère, plus ou moins. Il est juste pertinent de ne pas vouloir montrer aux autres des voies idéales que personne n'emprunte, et la France devrait donc pouvoir agir comme elle l'entend, sans nécessairement vouloir toujours endosser un rôle de défenseur de vertus qu'elle pourfend pourtant avec aisance lorsque ses intérêts sont en jeu, ou qu'elle les perçoit ainsi.