«Par notre histoire commune et nos défis futurs, la France et l'Algérie sont liées.» Tout est dit dans cette phrase d'Elisabeth Borne qui dégage une écœurante odeur d'hypocrisie tellement forte qu'on peut la sentir d'Alger jusqu'à Paris. La Première ministre française s'est hâtée de la tweeter en taguant son homologue algérien qui venait juste de la recevoir, comme on peut le voir sur le compte twitter personnel de l'envoyée de Macron. Le ministre tagué n'a pas réagi à cette fanfaronnade française. Ni lui ni aucun membre du régime au pouvoir en Algérie, que le peuple algérien surnomme «la bande», n'ont rien twitté de peur de heurter la sensibilité des Algériens dont le désamour à l'encontre de la France «ex-colonisatrice» est un secret de polichinelle. Un désamour qui risque de s'aggraver, surtout que dans l'interview accordée aux médias algériens TSA et El Khabar à l'occasion de sa visite à Alger, Borne s'est trahie en révélant pourquoi l'Elysée rampe autant devant un régime qu'il courtise devant les caméras mais qu'il méprise en off : «Le gaz ne représente que 20% du mix énergétique français. La France dépend donc moins des importations en gaz que d'autres pays européens. Dans cet ensemble, l'Algérie représente environ 8 à 9% du total de nos importations en gaz», a épilogué la Première ministre, avant de lâcher : «Nous souhaitons néanmoins continuer à développer notre partenariat dans ce secteur avec l'Algérie, notamment en matière de GNL, et pour accroître l'efficience de ses capacités de production gazière, ce qui permettra d'accroitre d'autant ses capacités d'exportation vers l'Europe.» Les termes du nouveau contrat étant ainsi clairement énoncés, le Palais d'Al Mouradia n'aura qu'à signer. La France deviendra le distributeur délégataire de l'Algérie en Europe. Les «Hirakistes» en seront ravis. Plus enthousiastes que les médias algériens, certains de leurs confrères français s'empressent d'assurer une large couverture à la visite de Borne à Alger. Ils le font avec grande diligence et même avec une certaine déférence pour le régime algérien qu'il se délectait à dénigrer, il n'y pas si longtemps. Or, il y a quelques jours, ces médias de l'Hexagone s'étaient tous tu face à la censure dont s'était plaint le leader du mouvement Kabyle, Ferhat Mehenni, quand cet opposant au régime algérien a vu «l'interview exclusive» qu'il s'apprêtait à accorder, le 2 octobre, à CNEWS annulée à la dernière minute et sans explication. «Alger aurait menacé Paris de faire annuler la visite de Borne si cette interview était diffusée», avait avancé Mehenni. Divers médias internationaux, en plus des médias marocains, avaient relayé son accusation qui a été totalement ignorée par les médias français. Signe révélateur, contrairement à ses habitudes, RFI, par exemple, n'a parlé de cette info que 6 jours après les faits. Plus que l'hypocrisie politique dont les raisons viennent d'être révélées au grand jour officiellement, celle médiatique suscite bien des questions que L'Observateur du Maroc a déjà posées et que des confrères posent à leur tour. Dans ses confidences dominicales de ce samedi 9 octobre, Abou Wael Al Rifi s'indigne face au silence des médias français sur la censure de Mehenni. Pour lui, cette omerta montre l'approche à géométrie variable qu'ont ces médias concernant la défense des droits de l'Homme et la liberté d'expression. Le chroniqueur se demande où sont passés les donneurs de leçon sur le respect du professionnalisme journalistique et où se sont terrés les rapporteurs d'organisations comme RSF. Abou Wael se demande aussi pourquoi la France continue à abriter sur son sol l'opposant Ferhat Mehenni si ce n'était pour le garder comme carte à jouer contre le régime militaire algérien. L'auteur des confidences dominicales se désole de voir l'honneur de la France traînée ainsi dans le gaz par une partie du pouvoir français qui ne se gêne pas d'adopter des méthodes dignes de celles qui étaient l'apanage des républiques bananières. Abou Wael Al Rifi s'arrête également sur le communiqué improvisé, publié le 5 octobre, par l'ambassade de France au Maroc portant démenti de la censure de l'opposant algérien. L'analyste souligne l'absurdité de ce démenti dirigé exclusivement vers les médias marocains alors que ceux-ci n'ont fait que publier une information en même temps que de nombreux autres médias à travers le monde. Il s'agit en l'occurrence d'un signe parmi d'autres, estime le chroniqueur, de la décadence de la France. Décadence, poursuit-il, qui se ressent partout, mais surtout à travers la perte par ce pays de son influence historique en Afrique. D'ailleurs ce n'est pas une déclaration comme celle que vient de proférer Elisabeth Borne aux micros de TSA et d'El Khabar qui pourrait renverser la vapeur. Au contraire. Elle montre que L'Elysée et Matignon continuent d'entrevoir le continent africain à travers des lunettes de réalité augmentée. «Au Mali, nous continuerons à soutenir la mise en œuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation du Mali, dont la France et l'Algérie sont toutes deux signataires», a osé l'envoyée de Macron à Alger. Les Maliens, qui aiment tellement le Président français, vont certainement applaudir chaleureusement sa Borne. LIRE AUSSI Ferhat Mehenni censuré par «CNEWS» Même si elle a été annoncée hier, dimanche 2 octobre, en début de «Face à Rioufol», l'interview exclusive que devait accorder Ferhat Mehenni à cette émission de «CNEWS» a été annulée à la dernière minute. Un représentant de cette chaîne...