La passation de pouvoir entre Nadia Fettah Alaoui et Mohamed Benchâaboun prendre les rênes du ministère de l'Economie et des finances a eu lieu, vendredi 8 octobre 2021 à Rabat. Quelques jours plutôt, Benchâaboun a appelé les EEP à réduire leur train de vie, à limiter les recrutements et à maîtriser les dépenses, sans pour autant sacrifier la qualité de service. Des déclarations qui rappellent le souci de l'ex-ministre des finances de maintenir les comptes à flot et dans le vert, et de « limiter la casse » en termes de dépenses dites non rationnelles. On assistera ensuite à un jeu de passe d'armes entre lui et le président de son parti, désormais chef de gouvernement, Aziz Akhannouch. A l'époque, ce dernier avait écrit une tribune-presse pour signifier qu'il n'était opportun de parler austérité, ni même d'effleurer le sujet. Bien au contraire, pour Akhannouch,le moment était plutôt à la dépense sans compter ! Presque tous les observateurs de la place en avait déduit que des camps seraient en train de se dessiner : Les pro-austérité et les pro-endettement. Alors, sans ce contexte, quel sera le choix de Nadia Fettah Alaoui ? La relance par la dépense publique ou l'endettement externe. Ces dernières années, une troisième voie semble se dessiner avec force : à la fois, le maintien des équilibres financiers et une dépense publique raisonnée. Benchâaboun, l'ex- argentier du royaume, semblait pencher vers cette voie. Tout en pilotant le comité de veille économique (CVE) et en orchestrant l'octroi des aides aux secteurs en difficulté, il a exigé de plusieurs pôles étatiques de justifier leurs dépenses. Avec le chantier de la Protection Sociale, les campagnes successives de vaccination gratuite et la crise économique qui se profile, tout porte à croire que ces choix de politique économique seront maintenus avec l'arrivée de Nadia Fettah aux commandes. Cette thèse est confortée par les chiffres officiels concernant le « rebond » économique porté par les secteurs classiquement considérables pour le Maroc, à savoir l'agriculture et les services. Si Nadia Fettah opte pour le changement dans la continuité, - autrement dit plus de dépenses sociales que durant les 10 dernières années, mais avec toujours la même préoccupation de maîtrise des comptes publics -, sera-t-elle en mesure, de structurer la demande interne et de réduire les importations ? Est-elle adepte du concept de souveraineté nationale érigé depuis peu comme priorité absolue? Sa réponse à un tweet condescendant du président français Emmanuel Macron concernant le rapatriement de touristes français au déclenchement de la crise sanitaire en Mars 2020, ne peut que confirmer la solidité de sa fibre patriote. Nadia Fettah qui était alors ministre du Tourisme, avait rétorqué au Président français que le Maroc ne recevait ni d'ordre ni d'injonction d'autres pays ! Un terrain bien balisé et une stratégie déjà en marche. Pour en revenir à la relance économique, la ministre des Finances pourra désormais s'appuyer sur des mécanismes innovants et tabler sur certaines branches porteuses de l'industrie désormais chapeautée par l'ex-chef de cabinet de Moulay Hafid Elalamy, et proche de la ministre. Grâce à l'approche de substitution des importations par les produits locaux, Nadia Fettah sera en mesure de renforcer l'Agriculture et l'Industrie Nationale et par là-même, financer la relance. Dans le même esprit, la diversification des partenaires économiques du pays, souhaitée au plus haut sommet de l'Etat et entamée par son prédécesseur, ne pourra que renforcer l'offre économique marocaine auprès de marchés prometteurs (porteurs) tels que le Royaume-Uni, le Canada et le Brésil, sans parler des pays africains. Toutes ces mesures devraient contribuer à renflouer les caisses de l'Etat et à financer en partie les réformes. Quid du marché interne ? Le chantier épineux qu'aucun de ses prédécesseurs n'a réussi à mener à son terme est bien celui de l'informel. Ce dossier politiquement et socialement épineux nécessite une mobilisation de fonds massifs. Mais ce n'est pas uniquement une question de fonds. Les réformes butent également sur la réticence des Marocains à consommer local, ce qui confirme la nécessité d'une montée en gamme de l'offre marocaine destinée au marché domestique. L'autre point focal sera celui de la finance, un secteur que la ministre connaît parfaitement. Il s'agira de faire du Maroc un hub financier attractif pour les capitaux et devises étrangers, de et vers le reste de l'Afrique. La montée en charge de ce hub dans un Maroc bien positionné dans les chaînes de valeurs mondiales, peut faciliter la mise en œuvre d'un véritable plan de relance offrant plus d'opportunités et moins de contraintes. Un autre paramètre et non des moindres sera important pour la ministre : Restaurer la confiance et donner envie d'y croire que ce soit aux opérateurs économiques, aux acteurs financiers, ou aux familles marocaines et aux citoyens de manière générale. Une condition indispensable pour pérenniser le succès de cette politique. Les avis divergent et l'attentisme est le maître-mot. Pour Mehdi El Fakir, analyste économique, il faut souligner que « la nouvelle architecture gouvernementale précise mieux le champ d'intervention de la ministre. La réforme de l'Administration n'est plus de son ressort ». Cela lui permettra de se recentrer sur les dossiers les plus chauds. Selon notre interlocuteur, Nadia Fettah aura un style résilient et elle sera dans un autre deux, comme ses prédécesseurs, entre le souci de serrer la vis et la nécessité de financer les réformes. Elle aura à donner une forme financière au Nouveau Modèle de Développement tout en préservant les équilibres macro-économiques. Rappelons ici que le déficit budgétaire était de 40.6 milliards de dirhams (MMDH) à fin Août 2021, contre 43.6 MMDH un an auparavant, selon les chiffres de la Trésorerie Générale du Royaume. « Il va falloir attendre pour voir ! », conclut Mehdi El Fakir. Attendons, c'est ce que nous a également confié le Pr. en sciences économiques, Mehdi Lahlou. Ce que l'on sait, en revanche, c'est que ce gouvernement « n'est pas très différent de son prédécesseur. Les ministères clés étant toujours détenu par le RNI, je ne vois pas comment cette équipe peut changer grand-chose à la politique économique et sociale du pays ». Autre point qu'il va falloir suivre, le programme financièrement exorbitant du parti au pouvoir. S'il ne veut pas décevoir, il faudra qu'il concrétise ses promesses, ce qui va lui coûter énormément d'argent ! Nous dit en substance l'économiste. En attendant, « le marasme économique est là. Tourisme, export, automobile, aéronautique,…,», énumère Mehdi Lahlou, autant de secteurs en souffrance. Les tensions diplomatiques font également partie de l'équation. Des crispations avec l'Allemagne et l'Espagne signifient aussi que les investisseurs de ces pays-là vont s'abstenir ! « Réduire les dépenses de l'Etat et entamer une véritable réforme fiscale » Face aux problèmes financiers, deux choix se présentent. Augmenter la dette extérieure, dont l'encours est passé de 29,5% du PIB en 2019 à 34,9% en 2020, « avec le risque, entre autres, d'inflation et de soumission au diktat du FMI que cela représente », ou alors de l'austérité avec une faible circulation de l'argent dans l'économie et davantage d'appauvrissement possible. Le Professeur préconise plutôt « de revoir à la baisse le train de vie de l'Etat, de réduire les salaires des gros fonctionnaires et de restreindre les indemnités d'une certaine catégorie de personnel de l'Etat ». Aussi, la réforme fiscale devient elle vitale. « Faire en sorte que des exploitants agricoles payent d'avantage d'impôts que ce qu'il paye aujourd'hui, c'est possible et une approche d'augmentation de l'IR et de l'IS en visant les entreprises qui ont des bénéfices importants, qui distribuent des dividendes, …, c'est également possible ». Mehdi Lahlou souligne un exemple illustrant l'urgence de la question fiscale : Le cas DSK soulevée dans l'émission française d'enquête Cash Investigation. « Depuis 2013, 27 millions d'euros de bénéfices, zéro dirhams d'impôts sur ses 5 premières années au Maroc et sur les 3 dernières années, seulement 800.000 euros de payés. Je suis sûr que ce cas n'est pas un cas isolé ! ». Dans tous les cas, le sujet de la relance ne dépend pas que de Nadia Fettah et elle devra jongler, sans doute, entre souci de relance et impératif de maitrise des comptes. Au profit de quels secteurs, au détriment de quels autres ? La prochaine loi de finances actera.