Cinq semaines déjà… Un scénario à l'espagnole se dessine pour le chef du gouvernement désigné et le Maroc tout entier. Abdelilah Benkirane, il faut le reconnaitre, est en train d'échouer à former une majorité qui appuiera et investira sa troisième équipe. Il est actuellement à 183 députés avec le PJD, le PPS et l'Istiqlal. Il lui manque à peine 15 élus pour triompher. Mis les choses ne sont pas faciles et il doit faire des choix, donc des renoncements. Abdelilah Benkirane se trouve donc dans une impasse et doit faire face à un dilemme… Mais dans l'attente, il retarde les institutions. Le chef du gouvernement et du PJD a le choix : soit il opte pour le RNI/UC d'Aziz Akhannouch, qui affiche 56 élus (37 pour le RNI et 19 pour l'UC), soit il choisit de laisser l'USFP rejoindre sa majorité, avec ses 20 élus. Mais l'un et l'autre des deux termes de cette alternative sont porteurs de tracas pour lui. Il ne parvient pas à choisir, il freine et le Maroc entier ronge son frein. Une majorité PJD/PPS/Istiqlal/USFP En dehors de sa fragilité, avec à peine 5 députés de plus que le seuil de la majorité absolue, cette majorité exposera le chef du gouvernement et son futur gouvernement aux humeurs de Hamid Chabat, et surtout de Driss Lachgar. L'Istiqlal de Chabat s'est certes très tôt rallié à Benkirane, mais cette célérité est elle-même porteuse de doute(s). Peut-on sérieusement accorder un quelconque crédit à un homme qui s'est interrogé sur vos liens avec Daech et le Mossad (service israéliens) ? Peut-on raisonnablement faire confiance à un homme qui vous a éreinté un an et demi durant, de janvier 2012 à juillet 2013, avant de vous lâcher en rase campagne ? Par ailleurs, l'unanimité affichée et retrouvée au sein de l'Istiqlal est porteuse d'interrogations… Les refuzniks du parti de Hamid Chabat étaient tous venus lors de leur dernier Conseil national, attirés et appâtés par la perspective de revenir aux affaires. Aucune discussion sur le programme, aucune condition posée pour l'adhésion, aucune question sur les autres alliés… Le deal semble clair : Benkirane s'adjoint l'Istiqlal, sans conditions, et lui jette quelques miettes gouvernementales, pour permettre à Chabat de sauver sa peau lors du prochain congrès printanier de 2017. Nous sommes là dans la logique « partage de butin » décriée par Mohammed VI dans son discours de Dakar. L'USFP, quant à elle, a suivi le chemin inverse. A l'issue de la réunion de la Commission administrative du parti, réunie samedi dernier 12 novembre, les cadres « socialistes » ont dit oui à Benkirane du bout des lèvres, chargeant leur Premier secrétaire de mener les tractations avec Benkirane. Mais celui-ci a raison de se méfier de Driss Lachgar… En effet, ce dernier avait dit, lors d'une réunion avec l'Istiqlal le 17 octobre, qu'il liait son sort au parti de Chabat, avant d'aller rencontrer Benkirane et d'échanger avec lui « leurs souvenirs qui remontent à 1972 ». La majorité était donc arithmétiquement constituée… avant que Lachgar ne se mette aux abonnés absents ! A l'issue de la réunion de la Commission administrative qui lui a donné mandat pour se concerter avec Benkirane, Lachgar a fait une profonde apologie du… RNI qui, semble-t-il, a bien vite remplacé le PAM dans son cœur. Celui-ci a lourdement insisté sur la nécessité de pouvoir travailler en duo – au sein du gouvernement ! – avec le RNI… et de ne s'engager que quand il sera fixé sur la nature des départements, leur regroupement, leurs titulaires… Le PJD a raison de penser, comme il le fait, qu' « un parti qui n'a engrangé que 20 députés ne peut donner de leçons ni dicter sa volonté à une formation qui a fait élire six fois plus de représentants ». Ce qui est juste. Résultat : Bien que Benkirane veuille former un gouvernement avec des canards boiteux, éreintés dans les urnes, ce qui est le cas de l'Istiqlal et de l'USFP, il devra composer avec un Chabat incertain et un Lachgar (très) volatile… Une majorité PJD/PPS/Istiqlal/RNI/UC Il reste alors l'autre configuration, celle de s'allier avec le RNI/UC, renforcés par le MP qui a dit clairement qu'il irait là où le RNI irait… Le gouvernement serait alors « assis » sur une majorité confortable de 220 élus, 266 même si l'on retient l'idée d'un Istiqlal partant. Mais comme une telle configuration ne serait pas harmonieuse comme l'a rappelé le roi dans son discours susmentionné, il faudra faire sans l'Istiqlal. 220 députés pour une majorité à 198, ce n'est pas mal… Le problème est qu'au-delà de l'insignifiance du MP et de l'UC, Benkirane veut éviter à tout prix de se retrouver avec un RNI fort. Pourquoi le RNI serait-il donc aussi fort ? Parce que comme le sphinx qui renaît toujours de ses cendres, le RNI est un parti qui ne se ressent pas de ses résultats électoraux… Il peut être dans la majorité en baissant dans les urnes, et inversement… Le RNI est un parti de cadres, de technocrates, toujours prêt à servir, qui a (presque) toujours servi, et qui ne s'encombre pas d'états d'âme inutiles et stériles... Il est encore prêt à servir, même si les relations avec Benkirane ne sont pas les meilleures du monde. Sûr de son fait, il gêne précisément par cette assurance et ses cadres flamboyants. Parti à la naissance douteuse certes et à l'histoire incertaine et cafouilleuse certainement, il a cet avantage que ses ministres sont en général bons dans leur domaine. Et c'est le but de l'opération politique, mettre les hommes (et femmes) qu'il faut aux places qu'il faut. Mais Benkirane se voit en grand chef de gouvernement, qui veut dominer, qui croit davantage en lui après avoir cru en Dieu. Le problème est qu'il n'a pas les moyens de sa politique. Et ces moyens, ce sont 198 députés PJD. Comme ce n'est pas le cas, il lui faudra composer, et faire le moins mauvais choix. Akhannouch est peut-être trop marqué « pouvoir », mais c'est un homme de convictions, de parole, de réseaux et de poigne. Mieux vaut, et de loin, cet homme, que le très improbable duo Chabat-Lachgar. Mais s'allier avec lui éviterait au Maroc cette crise politique dans laquelle il se trouve désormais aujourd'hui, du fait et par la faute de Benkirane, qui tergiverse et qui semble tout vouloir pour lui, bien que les électeurs ne lui en aient pas donné mandat, faut-il le rappeler… Il appartient donc à Benkirane de se décider, et vite, car les incertitudes de sa personne ne doivent pas hypothéquer toute une année fiscale et économique, avec une loi de finances qui tardera, des acteurs économiques qui douteront, des investisseurs extérieurs qui s'interrogeront, et une population qui, elle, finira par douter de lui. Et si le roi Mohammed VI prenait le taureau par les cornes et pensait à désigner un autre chef du gouvernement au sein du PJD, puisque Benkirane devient manifestement source de problème(s) ?