Abdelilah Benkirane a saisi l'occasion de la tenue du Conseil national du PJD pour adresser un discours politique fort à ses pairs au parti, mais aussi à la classe politique dans son ensemble. Il a fait un long panégyrique du PJD, et s'en est pris à son ennemi préféré, le PAM et son secrétaire général adjoint Ilyas el Omari. Mais au-delà, il a étrangement appuyé sur ses louanges à l'Istiqlal. La campagne électorale est lancée... Verbatim. L'intervention de Benkirane sonne donc comme le début de la campagne électorale à venir, et un point de départ à de futures alliances. Il a fait du pied à l'Istiqlal, félicité le PPS, son allié de toujours, et copieusement attaqué le PAM et son SG-adjoint qu'il a qualifié, pour la première fois, de « chef des démons ». Il a expliqué que le succès du PJD était dû au travail incessant et à la loyauté de ses membres et il a répété les hommages au roi. Mais son discours, comme à son habitude, a été émaillé de sautes de bonne humeur et d'humour : En parlant d'ingrédients (en français), il en a demandé la traduction ; on lui en a donné une qui n'était pas bonne. « Que des francophones m'apprennent le français, je veux bien, mais ici, parmi vous, je suis le meilleur en français »... Quelques minutes après, en parlant de l'arabe, « on a dit qu'il était possible qu'il y en ait parmi vous plus forts que moi en arabe, mais même de ça, je doute »... Parlant de son ami et chef de cabinet Jamaâ Moâtassim, il a eu cette sortie : « Il gagnait 30.000 DH/mois en tant que parlementaire... et que doit-il consommer, lui qui est un Soussi ? pas grand-chose ». Eclat de rire dans la salle, bien que la saillie fût risquée car régionaliste... Et, enfin, s'adressant à son ministre de l'enseignement supérieur Lahcen Daoudi : « Lâche-moi un peu, Daoudi... il faudrait qu'un jour tu apprennes à devenir sérieux. Il faut que tu deviennes adulte, un jour ou l'autre car, comme disait Brel, comment fait-on pour être vieux sans être adulte ? »... Mais le discours était, au-delà des ces plaisanteries, éminemment sérieux, et Benkirane en a profité pour dire ses vérités, toutes ses vérités, mais pas rien que ses vérités, évitant de revenir sur ses compromis et ses compromissions, comme le retard dans certaines lois organiques, comme les kilomètres de couleuvres avalées (manifestations brutalement dispersées, attaques de fonctionnaires contre lui et restées impunies, crainte absolue de casser ses alliances et donc son gouvernement), comme le ratage total de la lutte contre la corruption...). Les élections, passées et à venir. « L'évènement le plus important que nous ayons eu à vivre, après la mort de Si Abdallah Baha, était le scrutin communal et régional du 4 septembre. Et l'événement le plus important que nous aurons à connaître cette année sera l'élection législative, qui devrait se tenir en septembre. On n'a pas encore la date exacte, ce scrutin pouvant être reporté, mais a priori, il se tiendra en septembre prochain ». Le scrutin communal. « Il était question que les élections communales et régionales se tiennent en 2013, juste après les législatives, mais des partis politiques avaient dit que si cela était le cas, la majorité exploserait, littéralement, c'est le mot qu'ils ont cité. Et alors nous avons patienté, nous avons accepté les questions et problèmes techniques, alors que nous étions prêts. Et aujourd'hui, ce scrutin s'est tenu, et nous avons gagné ». « Pour ce scrutin, je ne sais pas ce qui se tramait ni ce qu'on nous préparait, alors j'y ai été comme celui qui tire dans tous les sens (sic). A Taza, vous avez failli m'enterrer... Et puis nous avons eu les résultats que vous connaissez et qui ne sont pas de mon seul fait. La victoire vous appartient à tous et à toutes, et notre parti est fort. Cela étant, je vous jure que s'il n'y avait pas eu Sa Majesté, vous n'aurez pas obtenu ces résultats. Je vous le jure devant Dieu ! ». « Les résultats du PJD n'étaient pas impressionnants, comme le dit Si Ramid, qui connaît pourtant l'arabe. Non, ils ont été ahurissants, spectaculaires. Nous avions été jetés de Temara, de Marrakech, de Tanger, mais nous y sommes revenus en force, en qualité de présidents. A Salé, Jamaâ Moâtassim a été mis en prison pour une histoire rocambolesque, après tout le travail qu'il avait accompli mais Dieu merci, j'ai intervenu auprès de Sa Majesté et Jamaâ, de la prison, s'est retrouvé en présence du roi au Conseil économique et social ». « Nous avons pris toutes les grandes villes, Rabat, Tanger, Casablanca, Tétouan, Agadir, Fès... et on est venu me demander comment nous avions fait ? Mais je n'en sais rien, moi, allez chercher vous-mêmes, avais-je répondu. Ce que je peux dire est que les autres sont restés dans la magouille, la magouille, la magouille et finalement, les Marocains ont été écœurés et ont voté pour nous ». Les adversaires du PJD. « Nos adversaires ne sont pas forcément dans l'opposition (en allusion au RNI et au MP), il y en a ici et là. Nous avons subi des attaques médiatiques, des manœuvres ont été entreprises contre nous, par tous... et il y a même eu un homme (le chef de la police de Dubaï), qui est venu prédire que nos connaîtrions une défaite cuisante aux élections. Je ne crois pas aux voyantes (sic), mais cet homme m'a quand même ébranlé... Et il nous a été ensuite donné de le voir en compagnie de certaines gens de chez nous, que vous connaissez bien (Ilyas el Omari) ». « J'avais peur, moi, avant cette élection. Le parti, en dépit de heurts et d'erreurs, se porte bien. Mais nous ne savons pas ce que font les autres, qui ont bien plus de moyens que nous : 2M et ses semblables, les journaux... ». Le scrutin des Chambres professionnelles. Ce « fameux parti », dit Benkirane le parti « hégémonique », n'est pas arrivé à assurer aux syndicats qui lui sont inféodés les résultats qu'ils escomptaient. « Nous, nous avons été classés au 4ème rang, et nous n'avons pas dit un seul mot de contestation »... puis, l'attaque, sabre au clair : « Pour les alliances en vue de la formation du conseil des Chambres, la logique de la domination a repris. Toi (le PAM), tu as été au premier rang et donc tu auras eu bien des conseils. Ça y est, ça devrait suffire, non ??!! Mais ce parti, qui a les yeux plus gros que le ventre, qui veut plus que ce qu'il ne doit recevoir, a écrasé les autres qui n'en peuvent mais, et c'est ainsi qu'il a pu enlever davantage de conseils qu'il ne pouvait et devait ». Le PAM. « Où est-il arrivé premier, le PAM ? Je n'en sais rien, peut-être à al Hoceima... Nous, on n'a rien contre le PAM en tant que parti ou encore contre ses membres. Mais cette formation doit renoncer à son hégémonisme car c'est là le problème, son problème. Pour les Régions, on n'en a eu que deux et c'est tout ce que nous pouvions avoir, mais le PAM aussi. Alors comment cela se fait-il qu'il en ait eu 5. A Casablanca, à Tanger et à Beni Mellal, le PAM a gagné par l'argent et par l'intimidation ». Hamid Chabat. « Je félicite le PPS et les dernières positions de l'Istiqlal (applaudissements de la salle). Je ne m'en suis jamais pris à l'Istiqlal. Concernant Chabat, il nous avait attaqués, et nous ne disions rien, jusqu'à ce que la coupe ait débordé et là, nous avons riposté. J'ai dit à cet homme : «'Ecoute, dis ce que tu veux que moi, mais ne touche pas à mes ministres !'. Cela étant, et bien que nous n'ayons pas suivi sa demande d'alliances au dernier moment (allusion au mot d'ordre du secrétaire général de l'Istiqlal juste avant la formation des Conseils régionaux en septembre), mais le peuple attend que tu lui répondes à ceci : 'Reconnais que ta sortie du gouvernement avait été une erreur, mais alors, dis-nous pourquoi tu as agi comme ça, et surtout qui te l'avait soufflé, recommandé ?'... Regarde, Chabat, ton étoile est montée dès que tu as rompu avec le parti de l'hégémonisme... ». L'Istiqlal. « Nos adversaires sont 2M, le PAM et bien d'autres, mais nous saluons le parti de l'Istiqlal et lui disons qu'il peut sortir de cette alliance contre-nature (avec le PAM), et d'ailleurs tu t'en approches ». Le PPS. « Nous avons des différends car chacun privilégie son référentiel, mais quand il y a différence, chacun de nous regarde ailleurs ». Driss Lachgar. « Dans le passé, nous avions bien travaillé. Ils nous ont donné des villes et nous leur en avons donné d'autres, les socialistes. Et puis, un jour qu'il avait rendez-vous avec moi, Lachgar annule et va voir le PAM. Il en a obtenu un siège au gouvernement, chose qu'il doit regretter le plus aujourd'hui »... Les Marocains. « Je félicite les Marocains pour leur intelligence. Bravo pour ce que vous avez fait et compris (le vote pour le PJD). Bravo encore à vous ». Mustapha Bakkoury. « Tu as été battu à Mohammedia par un fonctionnaire ordinaire et là, tu veux diriger toute une Région, celle du Grand Casablanca ??!! Ce n'est pas sérieux... Vous savez pourquoi vous perdez toujours ? Et bien c'est parce que vous faites ces gaffes (en français) et que je suis là pour vous confondre. Je dis à Si Bakkoury, qui est un homme bien, laisse tomber cette Région au sein de ton parti, retire-toi et va t'occuper de ton soleil, nous te donnons les moyens pour cela... Et laisse-moi affronter directement ce chef des démons (allusion à Ilyas el Omari). Lui, il a mis sur la table 6,5 milliards de centimes pour un groupe de presse ; moi, je n'ai pas cette somme, je ne l'ai même jamais vue ni ne sais à quoi elle ressemble. Tout ça, c'est pour nous affronter, encore une fois avec des manœuvres et des manips ». Les alliances postélectorales. « Chacun de nos alliés a fait, bon an mal an, ce qu'il considérait bon pour lui, car la logique était alors qu'il ne fallait pas que le gouvernement tombe ; ce n'est pas bon pour le Maroc »... « Mais dans cette histoire d'alliances, le PAM n'a même pas été correct... Nous avions convenu de lui donner nos voix à Marrakech, pour la Région, et ils avaient acquiescé... Or, trois jours après, ils nous ont dit qu'ils n'avaient pas besoin de nos voix... Elles leur auraient donné la lèpre, je suppose... Apprenez à être polis, courtois ou alors, après, n'allez pas vous demander pourquoi on vous combat ! ». La supervision des élections. « C'est le roi qui a décidé que ce serait au chef du gouvernement de superviser les élections. Il y a eu des frictions, et il s'agit là d'un arbitrage royal. Une fois cela fait, j'ai été très conciliant, et je leur passais ce qu'ils voulaient, à l'Intérieur, mais c'était moi qui donnait mon accord final ». Les manifestations des enseignants-stagiaires. « J'ai appelé le ministre de l'Intérieur car la terre a tremblé depuis jeudi dernier. On est contre l'usage de la force (applaudissements promptement interrompus par Benkirane), mais nous sommes également contre la violation des lois. Un sit-in requiert une autorisation... Cela étant, et s'il y a un usage disproportionné de la force, nous sommes contre, mais nous ne sommes pas systématiquement contre les forces de l'ordre et de la sécurité car c'est grâce à eux que vous vivez dans la quiétude ». Conclusion. « Nous, nous avons notre référentiel et Dieu ne nous a pas laissés tomber. Si un parti survient et se montre meilleur que nous, et ses membres meilleurs que les nôtres, alors que Dieu lui accorde la victoire. Mais pas un parti, qui vit de magouilles, qui a été recruter des gauchistes extrémistes à qui la vie n'a pas souri, qui n'ont pas atteint leurs objectifs en renversant l'Etat, qui n'ont pas eu la fortune qu'ils souhaitaient et qui pensaient voir (dans le PAM) un ascenseur qui leur permettrait d'exaucer leurs vœux et les hisser bien haut... Moi, je leur dis qu'il existe d'autres personnes qui ne font pas dans l'opportunisme politique, des gens fiers de leur organisation, de leur roi, et de leur modération... ». Le Conseil national du PJD devait décider s'il y avait possibilité que le chef du parti rempile pour un troisième mandat à la tête du secrétariat général, mais ce point a été remis à plus tard. L'enjeu est que Benkirane reste le chef et conduise le prochain gouvernement si le PJD remporte les législatives. En parlant d'el Otmani, Benkirane a eu ce mot, qui en dit long, sur sa volonté de rester en poste "Notre ancien chef du parti, et peut-être le prochain, qui sait en dehors de Dieu ?"... Il est comme cela Benkirane, tout en suggestions...