Quatre centrales syndicales ont tout récemment menacé d'élever leur seuil de protestations et de contestations contre la politique de Benkirane en vue de repousser l'âge du départ à la retraite. Lesdits organismes ont aussi parlé de sit-in, de grève et aussi d'une action à intenter devant l'organisation internationale du travail. Il semblerait donc que nous entamions une phase, une autre, de bras de fer entre le gouvernement Benkirane et les refuzniks de sa politique « réformatrice » des régimes de retraites. Mais le plus remarquable dans cette guerre verbale qui précède de tous temps et en tous lieux la confrontation réelle est que les syndicats parlent d'une grève générale à venir, ce qui nous conduit à nous interroger, sérieusement, sur le sérieux de cette action. Nos syndicats auraient-ils donc épuisé tout leur répertoire d'invectives et/ou d'insultes pour envisager d'aller plus haut, plus loin, plus fort, pour prévoir une grève générale qui devrait bloquer toutes les activités du pays, publiques soient-elles ou privées, obligeant le gouvernement à reculer et à reconsidérer sa réforme ? Ou alors tout ceci n'est qu'une grande illusion, des rodomontades et de grands moulinets destinés à vendre du vent et de l'illusion ? A moins que ce ne soit une louable tentative de récupérer les bases qui ont vu et voient encore leurs syndicats se murer dans des silences coupables et afficher des orientations absolument pas convaincantes et des positions politiques les faisant bouger selon des agendas politiques et non syndicaux... Il nous suffit simplement d'observer ce à quoi à été réduite la Fédération démocratique du travail dans un passé récent, pour prendre la mesure de la déchéance de nos syndicats. Et cela s'est produit également pour la CDT et l'UGTM, ou encore l'UMT. Dans toutes ces centrales, les grandes décisions corporatistes qui concernent les prolétaires se sont entremêlées avec des postures politiques, avec des syndicats toujours placés sous tutelle de la politique qui instrumentalise les syndicats selon ses objectifs. Aujourd'hui, l'appel à la grève générale ressemble beaucoup à une simple tentative d'attirer l'attention, sachant que dans les dernières années, le gouvernement a remporté plusieurs parties avec sa politique nouvelle de retenues sur les salaires des grévistes, sans même avoir adopté une loi organique sur la grève. Et le résultat est que la masse des travailleurs marocains, dans l'enseignement ou les collectivités territoriales, dans la santé ou ailleurs, ont senti la douleur de ces retenues et ont opté à contrecœur pour la paix sociale. Quant aux syndicats, tous les syndicats, ils ont choisi la fuite en avant et n'ont pas bougé le petit doigt suite et face à ces retenues sur salaires qui, pour certaines, ont atteint des niveaux insoupçonnés et insoutenables. C'est pour cela qu'aujourd'hui on ne peut raisonnablement pas donner crédit aux appels à la grève, pas plus qu'on ne peut croire à une sérieuse mobilisation des bases et des masses. Dans un passé pas si éloigné que cela, les mots d'ordre de grève générale laissaient prévoir des séismes sociaux, comme en 1981 ou en 1990, parce que les syndicats qui appelaient au débrayage avaient encore de la crédibilité. Qui se rappelle encore de la grève générale de Casablanca et dans d'autres villes, initiée par la CDT après que le gouvernement de Maâti Bouabid eût obtempéré aux injonctions du FMI et qu'il eût augmenté le prix du pain ? La suite, on la connaît... grève générale, réaction des autorités, tirs à balles réelles, morts par dizaines et cette fameuse saillie de l'alors ministre de l'Intérieur Driss Basri, lorsqu'il avait parlé des « martyrs de la baguette ». Qui se souvient encore du « peuple d'Amaoui » ? Qui garde encore à l'esprit ces grandes et mémorables batailles sociales que le Maroc avait vécues dans les années 90 quand les syndicats disposaient d'assez de crédibilité pour jeter les gens dans les rues au premier appel ? Aujourd'hui, les choses en vont autrement. Les syndicats gèrent l'ordinaire et le quotidien et se contentent de participer à la démocratie de façade qui nous leurre, nous floue et nous trompe. C'est pour cela que les gens estiment que l'appel à venir pour une grève générale à venir ne sera pas entendu pour faire face aux choix du gouvernement, lequel gouvernement s'enfonce de plus en plus après avoir brûlé toutes ses cartes en appliquant un programme différent de celui pour lequel ses membres ont été élus, en menant une action autre que celle qui avait portée Benkirane à la présidence de l'exécutif. Rappelons cet adage qui dit que « aux grands maux, les grands remèdes », et la grève générale est ce grand remède, auquel il ne faut penser qu'après épuisement de toutes les autres solutions et formes d'actions et de réactions. Le gouvernement fait, quant à lui, face à une épreuve difficile en œuvrant à faire passer sa réforme des retraites, sur les dépouilles des salariés : l'âge du départ à la retraite sera repoussé, les taux de cotisations augmenté et les pensions diminuées de 2,5 à 2% seulement... le triangle infernal. Et les syndicats disposent de leur dernière chance pour recouvrer leur crédibilité auprès de classes de travailleurs qui ne croient plus en leur existence et qui pensent que tout ce qu'on leur dit n'est que vent, que fumée, que mystification et que grande illusion.