Le Bureau central des investigations judiciaires, dépendant des services de contre-espionnage civil, a révélé de nouvelles informations concernant les individus qu'il a interpellés à Nador, Laâyoune, Tétouan, Tiznit, Ben Mellal, Saïdia, Dakhla et Tanger, et qui ont fait allégeance à l'organisation dite « Etat islamique ». Le BCIJ a ainsi fait savoir que ces personnes avaient adopté la stratégie du « jihad solitaire » et qu'ils entreprenaient d'organiser des actes terroristes kamikazes par des attaques contre des personnalités civiles et militaires et par des explosions suicides contre certains sites qu'ils avaient sélectionnés. A travers cette dépêche diffusée par la MAP sur les individus actuellement détenus par la police judiciaire et suspectées de vouloir ouvrir une antenne de Daech sur notre sol, on peut d'ores et déjà apporter certains éclaircissements en attendant des compléments d'enquête, et les procès. Que signifie que le groupe « Etat islamique » ait recours à ce jihad solitaire, communément appelé « le jihad par loups solitaires », car il est bien plus facile de faire commettre des attentats par des individus seuls, et par essence difficiles à appréhender, que par des cellules organisées et dont les membres entretiennent des relations entre eux ?... Cela signifie que le projet de Daech a échoué dans son entreprise de pénétration du Maroc, qu'il n'a pu mettre en place une cellule active, pas plus qu'il n'a été en mesure de prendre appui dans une zone géographique sur le territoire national, à partir de laquelle il aurait lancé des attaques en vue de déstabiliser le pays et semer la terreur. Le Maroc est un pays politiquement et socialement aussi stable que sûr, bien qu'il se trouve au sein d'un environnement régional, arabe, émaillé de troubles et de secousses depuis le début du printemps arabe. Ce facteur est un puissant remède contre l'arrivée et l'installation de foyers terroristes sur le sol du Maroc. En effet, il existe trois portes pour entrer dans un pays… 1/ Les affrontements et massacres communautaires, comme en Irak et en Syrie, où al-Baghdadi a tiré profit des antagonismes entre chiites et sunnites pour verser de l'huile sur le feu, prenant fait et cause pour les sunnites qui pâtissent depuis 2003 des attaques des milices chiites armées et soutenues par l'Iran. 2/ L'instabilité des Etats, qui permet de saper les institutions et leur légitimité politique, ramenant les pays dans les logiques absolutistes antérieures au printemps, comme cela s'est produit en Egypte où les milices sunnites du Sinaï ont fait allégeance au « calife » de Daech après que l'actuel président al-Sissi eût renversé dans le sang le président élu Morsi. Avant cela, le groupe du Sinaï était renfermé sur lui-même, et n'avait jamais pensé à fonder une wilaya islamique inféodée à al-Qaïda ou à Daech. 3/ La fragilité de l'appareil sécuritaire et la précarité des fondements d'un Etat central fort, et cela s'est passé en Libye, déchirée par la guerre civile, et aussi en Tunisie où l'Etat n'a pas encore récupéré sa force économique, politique et sécuritaire depuis la chute de Ben Ali. C'est ainsi que l'on peut définir les trois portes d'entrée dont dispose, jusqu'à présent, l'Etat islamique pour s'introduire et s'implanter dans les pays musulmans et y répandre son idéologie sanguinaire et sa sauvagerie, et ces trois portes sont jusqu'à aujourd'hui hermétiquement closes au Maroc. En effet, le processus politique, avec ses hauts et ses bas, est en marche, le gouvernement printanier est toujours en place et le pays se prépare à des élections communales dans deux mois ; les institutions financières internationales ont déclaré avoir pleine confiance dans le Maroc et certaines réformes entreprises commencent à donner leurs fruits… Tout cela en dépit du fait que les choses auraient pu bien mieux aller si le gouvernement avait fait plus d'efforts en matière de droits humains et de liberté de la presse, de même que s'il avait mis en œuvre plus fort et plus vite les dispositions démocratiques de la constitution. Mais comparativement aux voisins, le Maroc représente une véritable exception. Par ailleurs, Daech s'est fracassé contre le mur du Maroc car il y existe un Etat central fort qui contrôle l'ensemble de son territoire et où œuvrent des services de sécurité qui ont accumulé depuis douze ans une solide expérience en matière de lutte contre les idéologies salafistes et jihadistes, fondamentalistes et violentes. Cela a conduit les Daechistes marocains à être obligés de s'en aller en Mésopotamie pour y rejoindre leurs commanditaires et combattre dans leurs rangs, ou à être réduits à tenter des actions en « loups solitaires », encadrés et cornaqués par leurs chefs de Syrie et d'Irak à travers internet. Cela est certes du terrorisme qui, s'il représente une menace pour les individus, ne peut en aucun cas ébranler les structures de l'Etat, du moins tant qu'il reste isolé et marginalisé. En effet, le projet de Daech, contrairement à celui d'al-Qaïda, œuvre à créer un Etat et à jeter son dévolu sur un territoire déterminé, pour lequel des frontières sont imposées et dans lequel l'activité économique est placée sous la coupe des terroristes et des camps d'entraînement sont ouverts. A l'inverse, al-Qaïda ne souhaite pas installer un Etat mais se contente de combattre l'Occident et les pays qui lui sont liés et alliés, au moyen d'actions spectaculaires, sanglantes et ponctuelles. Il existe d'autres raisons qui font que Daech a échoué à planter son sinistre et macabre drapeau noir au Maroc, comme par exemple l'unicité du rite malékite reconnu par tous et aussi la modération de l'islam marocain. En effet, les courants islamistes locaux ne sont pas peuplés de fondamentalistes excités qui pourraient constituer un terreau pour les gens de Daech, dont la pensée est restée prisonnière des chapelles wahhabites qui se sont libérées de l'autorité de leurs créateurs historiques. Le Mouvement Unicité et Réforme, ainsi que la Jamaâ al Adl wal Ihsane, en plus d'autres petits courants et groupuscules, se sont refusés à suivre l'idéologie d'al-Baghdadi et de ses hommes, les empêchant d'essaimer sur le territoire marocain. Cela va à l'encontre de l'idée des fondamentalistes de gauche – écoutée et reprise par certains responsables au sein de l'Etat – qui veut qu'il n'existe pas d'islamistes modérés. Non, il y a des modérés, et en face, il y a des extrémistes… Il y a des islamistes soft qui acceptent les règles du jeu et il y en a d'autres, hard, qui veulent tout casser… Et que Dieu préserve ce pays, dans tous les cas.