Il est de notoriété publique qu'aujourd'hui encore, la jeunesse africaine, plus précisément celle des anciennes colonies françaises des pays du sud du Sahara, en veut à la France qu'elle accuse d'être à l'origine des malheurs du continent. Pour s'en rendre compte, il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux et les forums de discussion, devenus les lieux privilégiés d'expression de cette jeunesse en quête d'affirmation. Le malaise est bien réel. Et alors que les politiciens français et certains de leurs confrères africains prétendent avoir tourné la page de la France-Afrique, la relève du continent est loin de partager cet avis. Qu'il s'agisse de l'immigration clandestine et ses corollaires, des régimes dictatoriaux et leurs répressions sanglantes, de la pauvreté sur le continent ou encore de la mauvaise gouvernance, la jeunesse africaine francophone subsaharienne en veut au « plus grand responsable » qu'est la France. Mais qu'on ne s'y méprenne point. Cette majorité de jeunes en veut, avant tout, à ses propres dirigeants à qui elle reproche ses mauvaises conditions de vie malgré toutes les richesses dont regorge le continent, et à la France de leur imposer ses « préfets » pour ses intérêts personnels. L'époque de la colonisation est peut-être révolue pour les Occidentaux mais les Africains en gardent un souvenir douloureux. Et parmi ces « nostalgiques », beaucoup de jeunes africains qui n'ont pas vécu cette période sombre du continent, mais qui souhaitent rediscuter les rapports entre l'Afrique, la France et le reste du monde. Très proches, idéologiquement, de Thomas Sankara, un homme d'Etat burkinabè anti-impérialiste et panafricaniste, assassiné à Ouagadougou, au Burkina Faso, ces jeunes africains veulent s'approprier l'Afrique, en devenir les uniques décideurs et devenir les égaux des « autres ». L'omniprésence de la France Mardi 28 novembre 2017, le Président français s'est longuement entretenu avec des étudiants africains, au lendemain de son arrivée à Ouagadougou. Le premier partenaire des pays d'Afrique francophone, c'est bien évidemment la France qui, en réalité, n'a jamais quitté ses anciennes colonies sur qui elle a gardé une mainmise depuis qu'elle leur a « gracieusement » accordé l'indépendance. Elle a maintenu, à leur égard, un certain paternalisme mal vu par la jeunesse africaine d'aujourd'hui qui refuse la « soumission » des 14 pays de la zone franc à un seul pays, fut-il une puissance nucléaire. A ce jour, certains de ces pays, comme la Côte d'Ivoire, abritent ses bases mi-litaires qui, ajoutées à l'influence de la langue et de la monnaie (la dernière monnaie coloniale encore en activité), maintiennent intacte la domination française. Et comme tous les pays développés, la France oeuvre, avant tout, pour ses intérêts et le bien-être de ses citoyens, ce dont semble prendre conscience la jeunesse africaine. Accusée d'être à la base des crises politiques et militaires africaines, soit en finançant des rebellions pour déstabiliser des régimes, soit en fermant les yeux sur les crimes des dictateurs arrivés au pouvoir par ses soins, c'est surtout l'intrusion de l'Elysée dans la politique africaine et son rôle qui dérangent. En effet, ses prises de positions et ses interventions en Afrique semblent être motivées par des intérêts qui échappent aux Africains. « La France aime les dirigeants africains et déteste les citoyens africains, parce que nos dirigeants leur donnent presque tout et prennent les restes. Il n'y a plus rien pour la population et ça, ça ne dérange personne », déclarait un cyber activiste africain pour qui, il est urgent de briser la « colonisation française qui s'est poursuivie, sous d'autres formes, après les indépendances ». Ces propos reflètent assez bien l'état d'esprit de ces jeunes africains, de plus en plus, nombreux à dénoncer un pillage des richesses de leur continent par la France et l'Occident à travers leurs multinationales. Si de telles affirmations peuvent avoir des limites, force est de reconnaître que le contraste entre les richesses de ce continent, riche de ses ressources naturelles et de son développement est énorme. La redistribution équitable des richesses demeure une véritable préoccupation dans la presque quasi- totalité des pays du continent et l'écart entre les riches et les pauvres se creuse, inlassablement, malgré une croissance saluée par les organismes internationaux. Là encore, les jeunes africains reprochent à la France dont les pouvoirs successifs ont maintenu des relations étroites avec les gouvernants de leurs anciennes colonies, de ne pas s'intéresser aux questions cruciales telles que la corruption, le népotisme, les détournements de fonds, etc. des problèmes communs à de nombreux régimes politiques, qui les poussent à l'immigration clandestine, vers une Europe qui ne veut pas les recevoir. La France en Alerte ? L'hostilité des jeunes africains à l'égard de la France n'est pas un fait méconnu par l'ancien colon. En perte de vitesse, face à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine, la France est attentive à l'évolution des mentalités sur le continent. De passage à Casablanca, au Maroc, en novembre 2017, Erwan Borhan Davoux, Président du RP9, s'est dit préoccupé des tournures que prennent les relations Franco-Africaines. « Ce qui me préoccupe, c'est l'image négative de la France auprès de la jeunesse africaine. On a une population jeune qui n'a pas connu la période de la colonisation et pourtant, qui est très critique vis-à-vis de la France. J'aimerais que la société civile, les jeunes, la coopération décentralisée soient des piliers plus importants dans la relation bilatérale », au-delà des relations d'Etat à Etat, a-t-il déclaré. « Il est évident que la France doit reprendre ses responsabilités avec l'Afrique, recréer de nouveaux liens et accompagner son développement économique. La France, en fait, ne sait pas trop quoi faire. Quand elle intervient trop, on lui dit qu'elle est l'ancienne puissance coloniale qui fait de l'ingérence intérieure. Quand elle n'intervient pas, parfois c'est pire, on lui dit : '' Vous nous abandonnez !'' », A-t-il ajouté. Toutefois, il reste confiant sur l'avenir. « Je suis persuadé que le destin de la France et de l'Afrique sont intimement liés. Je pense qu'il faut réussir à recréer un lien de confiance, sur de nouvelles bases, où la France va être un accompagnateur. » Lors de sa tournée africaine, en novembre, le Président français Emmanuel Macron n'a pas réussi à convaincre cette jeunesse. Au Burkina Faso, au même moment où il répondait aux questions d'étudiants sélectionnés pour le rencontrer, des centaines d'autres auxquels les autorités avaient interdit l'accès à l'université, manifestaient contre sa venue. Son dernier voyage au Sénégal où il a annoncé la décision de la France de verser 200 millions d'euros au Partenariat mondial pour l'éducation, n'a pas non plus convaincu. Ces jeunes africains veulent désormais compter sur leurs propres forces, se libérer du statut d'assisté et ne plus dépendre des aides extérieures. Pour ce faire, ils veulent sortir du franc CFA et se libérer de la présence militaire française. Des projets que ne partagent pas forcément leurs dirigeants.