À présent que la date fatidique des prochaines élections est fixée pour le 7 octobre 2016, le champ politique marocain est en effervescence, l'adrénaline fait bien des pics, les partis ou frères ennemis retroussent leurs manches et les femmes et hommes politiques se regardent en chiens de faïence tentant de prévoir les coups pour pouvoir les esquiver et mettre leurs adversaires K.O. En effet, la Constitution stipule dans son article 62 que «Les membres de la Chambre des représentants sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. La législature prend fin à l'ouverture de la session d'octobre de la cinquième année qui suit l'élection de la Chambre». De ce fait, les Marocains commencent déjà à faire des pronostics et à échafauder des scénarios pour les prochaines élections législatives attendues sur des feux ardents. Ainsi, le bilan de ces quatre dernières années s'impose pour évaluer le travail accompli ou non accompli. Quand les Marocains sont tombés sous le charme du PJD Les élections législatives du 25 novembre 2011 ont constitué un tournant brusque dans l'histoire d'un Maroc où l'opinion publique était en ébullition, au goût de l'amertume et des multiples désillusions cumulées suite à la succession de gouvernements aussi décevants les uns que les autres. Le citoyen marocain a coupé court aux promesses fallacieuses des hommes politiques sachant d'emblée qu'elles n'allaient durer que l'espace d'un mandat. L'abstention était alors la résolution...Or, plusieurs électeurs qui n'ont jamais été convaincus par l'idéologie du PJD se sont improvisés sympathisants de ce parti qui a su les séduire par un discours spontané, limite populiste. Et loin d'être dupes, ils ont envoyé un message des plus clairs aux candidats et leaders politiques : «Si on ne peut choisir le meilleur parti, autant privilégier le moins «cuit». Quand le PJD a remporté les dernières élections du 25 novembre 2011 avec 27,08%, dans un paysage politique émietté, et dans le sillage du Printemps arabe, il faut dire qu'au-delà des résultats du scrutin qui ont satisfait les uns et déçu les autres, une autre réalité se laissait voir en filigrane : le fait est que la majorité des Marocains se sont laissé gagner par une amère déception répétitive vis-à-vis des promesses mensongères et éphémères. En votant donc pour le Parti de la justice et du développement, ils voulaient donner la chance à un parti islamiste modéré et sanctionner les autres qui avaient multiplié les déceptions et les désillusions des citoyens en se décrédibilisant, de plus en plus, à en perdre toute confiance possible. Des espérances se dessinent à l'horizon. Le PJD redonnerait probablement du crédit à l'acte politique et se rapprocherait des aspirations du peuple. Il devait donc se résoudre à former un gouvernement de coalition. Le terrain était alors prêté au gouvernement Abdelilah Benkirane et les citoyens se sont interdits d'être intransigeants à l'encontre des ministres – surtout les pjdistes – qui avaient misé sur un enjeu de taille : la proximité. En outre, ils allaient certainement contribuer à la réhabilitation de la politique avec les citoyens. En tout cas, les électeurs en étaient presque sûrs : ce gouvernement islamiste modéré qui prônait la transparence et l'honnêteté, à tout bout de champ, n'allait certainement pas reproduire les mêmes travers et les mêmes tensions qui bloquaient l'évolution du Royaume. Que d'intentions louables ! En 2011, le PJD avait basé sa campagne sur de grands axes qui constituaient les maux de toute une société, à savoir lutter contre la corruption qui gangrène le pays et mettre un terme à la rente qui domine la vie politique, économique et sociale. Les citoyens se sont vu emballer au début du mandat de ce gouvernement qui se voulait sain, honnête et engagé pour l'intérêt général. De l'autre côté du miroir, le peuple marocain, dans son enthousiasme, son élan et ses espérances, savait, d'entrée de jeu, que la tâche serait plutôt rude et que le chemin serait jonché d'embûches devant ces «justiciers» qui s'engageaient en messies, et sans concession aucune, à éradiquer le mal sous tous ses aspects. Mais pour ceci, ceux-ci s'étaient armés de courage, voire d'audace, pour entreprendre des réformes structurelles que nécessite le Maroc afin de l'asseoir sur de nouvelles bases solides et saines et lui faire faire un bond dans la vraie démocratie à laquelle il aspire. Et c'est ainsi que les premières semaines et puis après les premiers mois de la législature ont insufflé un air nouveau ramenant le calme dans les rues qui n'attendaient qu'un déclic pour suivre la houle d'un Printemps arabe qui s'était implanté dans les pays voisins. Petit à petit, les manifestations s'étaient estompées et les citoyens se félicitaient d'un gouvernement sorti du peuple et donc connaissant bien ses revendications qui allaient, enfin, se frayer un chemin dans les circuits institutionnels. Ainsi, le 3 janvier 2012, le Roi Mohammed VI a nommé les 31 ministres du gouvernement Benkirane après 35 jours de négociations. Ce premier gouvernement comprenait une seule et unique femme, Bassima Hakkaoui (ministre de la Solidarité, de la famille et du développement social) qui appartient au Parti de la justice et du développement. Il est remplacé le 10 octobre 2013 par le gouvernement Benkirane II (bis) à la suite de la sortie du Parti de l'Istiqlal de la coalition gouvernementale. Cette deuxième version comprenait deux femmes ministres et trois femmes ministres déléguées. Penser à la parité relevait de l'utopie ! Arrivés avec de fortes ambitions et des intentions louables, Abdelilah Benkirane et quelques-uns de ses ministres ont eu droit à une résistance dure étant donné qu'ils ont défoncé des portes infranchissables jusqu'alors et se sont jetés dans des réformes. Mais la réalité s'est avérée beaucoup plus complexe qu'on ne l'imaginait avant de s'installer sur des fauteuils confortables. Munis dès lors d'un programme de 97 pages, les ministres islamistes étaient animés par une volonté de fer en vue d'assainir et de «purifier» le pays... La déclaration gouvernementale reposait sur de grands axes, tels que «la consolidation de l'identité nationale unifiante dans la diversité de ses composantes tout en s'ouvrant sur les civilisations, les cultures et les langues étrangères ;la protection des droits et libertés acquis et leur élargissement; la régionalisation élargie et la bonne gouvernance; le renforcement de l'économie nationale; la création d'emplois décents et l'instauration d'une politique économique garantissant une répartition équitable des richesses et donc la promotion de la classe moyenne; l'adoption d'un nouveau Pacte social axé sur la solidarité entre les différentes couches sociales assurant aux citoyens l'accès aux prestations sociales...» Un programme plutôt ambitieux et audacieux pour la majorité des hommes politiques ! Par contre, le peuple, lui, était optimiste et confiant à l'égard de ce nouveau chef de gouvernement qui luttera probablement contre la corruption, facilitera l'accès aux soins et améliorera la réforme de l'éducation selon ses promesses. Un gouvernement à court de stratégie ? Le 16 octobre 2012, l'Union nationale des professions libérales dépose une plainte contre le chef du gouvernement auprès de la Cour de cassation. Et pour cause, «son refus d'entretenir un dialogue avec les représentants des professions libérales afin de parvenir à une solution qui leur assurera le droit à la couverture médicale et à l'assurance sociale, surtout que la nouvelle Constitution a insisté sur le droit des professions libérales à une couverture médicale». Les ennuis commencent donc pour le nouveau gouvernement, le soufflé retombe et l'enthousiasme des gens s'amenuisait. Abdelilah Benkirane commence à être déstabilisé dans sa gouvernance à telle enseigne que le 30 juillet 2013, un coup de massue lui tombe sur la tête. En effet, le Roi Mohammed VI a critiqué explicitement le bilan du gouvernement, lors du discours prononcé à l'occasion de la fête du Trône où il a précisé que le gouvernement actuel avait hérité d'une «situation saine» de la part du gouvernement qui l'a précédé. Juste trois semaines plus tard, alors que la pilule n'était pas encore digérée, une deuxième secousse avait remué le gouvernement quand le Roi a dénoncé la politique du gouvernement en matière d'éducation. Il a souligné que des réformes s'avéraient urgentes pour un secteur qui doit être une priorité nationale. C'est là que le Conseil national de l'éducation a été réactivé. Et ce n'est pas fini pour le chef du gouvernement qui devait faire face à une avalanche de critiques et de plaintes. À son tour, le Parti de l'Istiqlal dépose une plainte en 2014, toujours contre le chef du gouvernement auprès de la Cour de cassation pour «diffamation». Un bilan au goût de cendres Il serait tout de même injuste de nier les réalisations du gouvernement Benkirane qui a fait croire aux citoyens qu'on allait réaliser le bond magique du développement. Rappelons par exemple la baisse du prix de plusieurs médicaments, la réforme de la Caisse de compensation en instaurant l'indexation des prix des produits pétroliers pour alléger le fardeau financier sur le budget général de l'Etat, la dénonciation et la publication de la liste des bénéficiaires d'agréments de carrières et de transport, la création d'une assurance maladie pour tous les étudiants, et puis la grande réforme des caisses de retraites... Toutefois, Abdelilah Benkirane traînera pour longtemps des boulets surtout que de grosses épines lui collent encore aux pieds. Avant d'arriver au terme de l'actuelle législature, le chef du gouvernement s'est attiré les foudres de la population qui, il y a seulement quelques années, lui a offert les clés du pouvoir. Seulement, il avait oublié qu'autant ces fauteuils étaient confortables et douillets autant ils étaient éjectables et ingrats. Les défenseurs des droits de l'homme tirent la sonnette d'alarme surtout en ce qui concerne les femmes dont les acquis ont été menacés sous la tutelle du nouveau gouvernement. Les reculs à ce niveau sont bien là et les rapports internationaux les ont bien épinglés. L'égalité ne s'est jamais aussi mal portée et les discriminations n'ont jamais été si flagrantes. Les atteintes aux libertés d'expression à travers un projet de Code de la presse sont fortement dénoncées par les professionnels. Et, «droit de tutelle exige», la censure sévit plus que jamais au nom de la religion et de la morale. Et faisant abstraction de la loi organique prévue par la Constitution, on attise la colère des Amazighs qui se voient injustement ignorés et on creuse les écarts. L'Education et la Santé se portent mal, la Justice perd de sa raideur et les maux s'accumulent. Un chef de gouvernement sur le grill Il est clair que l'actualité est bouillonnante et que le chef du gouvernement commence à perdre le doigté et surtout la notoriété auprès des Marocains en raison du revirement plus que renversant qu'a pris la politique générale du gouvernement. Le style moqueur et les blagues de Abdelilah Benkirane ne font plus rire les citoyens qui voient leurs espérances couler du nez alors que le chef du gouvernement leur avait promis monts et merveilles. A contrario, la gouvernance ou plutôt la méthode Benkirane accuse de lourds déficits surtout au niveau social puisqu'elle a appauvri davantage les pauvres creusant une excavation entre les riches privilégiés et la classe moyenne et pauvre. Qu'en est-il de l'enfant, de la femme, de la solidarité, de l'emploi dans un gouvernement où c'est l'intérêt personnel qui l'emporte ? Plusieurs chantiers sont entamés çà et là, mais sans qu'on en arrive à bout et cela alourdit le climat social qui s'embrase. L'heure est grave et l'état des lieux est plus qu'alarmant à plus d'un égard. Sous le gouvernement Benkirane dont la stratégie a cette particularité d'irriter les citoyens et de susciter controverses et polémiques, tout le monde se sent de plus en plus concerné par ce qui se passe dans le pays. Aujourd'hui donc et à l'ère des réseaux sociaux, des sites électroniques, des émissions télévisées ou online, les dirigeants sont sous les projecteurs plus que jamais et les manifestations de rue, les marches, les slogans scandés et la formation de groupes sur les réseaux sociaux sont autant de signes alarmants qui indiquent que les choses vont mal, très mal. Et pourtant et alors que les pays voisins ont troqué leur stabilité contre une impasse et un état d'échec et de désordre, le Maroc tient plus que tout à son calme qu'il défendrait bec et ongles. Toutefois, ce gouvernement qui avait fait du slogan «Ta voix est ta chance pour lutter contre la corruption et l'absolutisme» son mot d'ordre électoral, l'a échangé contre «Que Dieu pardonne tout ce qui a été fait», dont il a fait une antienne en boucle durant tout son tempo ne cesse d'exciter le peuple. D'entrée de jeu, il a pris un mauvais départ en brandissant le drapeau blanc contre la corruption ce qui a constitué son premier fiasco face à ses électeurs et à tous les Marocains qui avaient misé sur le PJD pour éradiquer ce fléau. D'ailleurs, sa fameuse phrase «Ce n'est pas moi qui combats la corruption, mais c'est plutôt l'inverse» en est la preuve tangible. Abdelilah Benkirane pris dans la foulée, affairé à justifier des lapsus plutôt fréquents et des propos déplacés, n'a pas vu le temps passer et ne se rend pas compte que la parenthèse sera bientôt fermée sur un mandat qui, au lieu de réalisations et de bonnes résolutions, a pour ainsi dire attisé la colère des citoyens qui se sont vus trahis par la rhétorique d'un chef de gouvernement qui ne se retrouve pas dans son nouveau rôle et peine à quitter sa casquette de secrétaire général de son parti. Désormais, le nom de Abdelilah Benkirane sera entaché du sang des professeurs stagiaires violemment réprimés. Son mandat portera le sceau des augmentations excessives des prix et la suppression des subventions des produits de base, la libéralisation des prix des hydrocarbures ou encore le relèvement de l'âge de la retraite qui ne peuvent être considérés comme des réformes. D'aucuns diront que le chef du gouvernement a le courage de ses idées ! Mais n'oublions pas que c'est aux dépens des citoyens qui encaissent les coups. Et d'ailleurs, comment peut-on parler de citoyenneté sociale au vrai sens du terme quand les politiques adoptées ne se penchent pas sur les inégalités économiques et sociales qu'il faudrait réduire ?Le constat amer est que la démocratie s'est révélée incapable de répondre aux besoins fondamentaux d'une grande majorité des Marocains sur différents plans, notamment en matière d'éducation, d'emploi, d'accès aux soins et à l'habitat, ce qui favorise l'exclusion sociale. Force est de constater que c'est le gouvernement qui nous a le plus mis face à l'évidence que «la rue ou plutôt les réseaux sociaux opèrent le changement» surtout quand il s'agit d'attitudes politiques souvent fustigées. Normal, puisque dès le début, le dialogue est le talon d'Achille d'un gouvernement à court d'arguments. Les Marocains entre espoir et désenchantement Entre les espoirs déçus et les frustrations nées des régressions, les espérances se dissipent. C'est dire que la promulgation de la nouvelle Constitution est supplantée par la régression démocratique vécue au quotidien. Beaucoup de Marocains espéraient que ce parti qui n'a jamais participé aux gouvernements d'avant allait aider et appuyer cette transition démocratique que le pays attendait impatiemment avec l'application de nouvelles dispositions constitutionnelles. De facto, un sentiment de méfiance à l'égard des dirigeants, des responsables, des hommes politiques et des mécanismes de la démocratie s'est installé. La question qui se pose après ces quatre ans : y avait-il vraiment une volonté de changer les choses quand on se réfère aux fameux propos de Abdelilah Benkirane ? N'est-ce pas lui qui a répondu aux parlementaires qui lui avaient demandé de fournir plus de postes d'emploi aux jeunes : «Ce n'est pas moi qui emploie les gens, c'est Dieu» ? À la veille des élections législatives, quels scénarios politiques peut-on imaginer alors qu'est révolu le temps où les partis politiques avaient leur pesant d'or au Maroc ?