Système d'aides sociales : les critères d'éligibilité sont-ils devenus fous ?    Le Conseil supérieur des Oulémas tient sa 34è session ordinaire les 29 et 30 novembre à Rabat    Cinq sièges parlementaires déclarés vacants par la Cour constitutionnelle après la nomination de leurs titulaires au gouvernement    Achraf Fayda, ancien de Coca-Cola et Centrale Danone, prend les rênes de l'ONMT    Sanlam s'allie à l'établissement de paiement de CIH Bank, Lana Cash    Deux morts dans le crash d'un avion d'entrainement à Benslimane    Crimes de guerre à Gaza : La CPI émet un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahu    Deux morts dans le crash d'un avion léger à l'aéroport Benslimane    Algérie : Le commandant d'une région frontalière avec le Maroc nommé chef de l'armée de terre    Ajman: Le Maroc en tête du classement du Championnat arabe de golf    Glory Collision 7 : Abderrahman Barkouch relève le défi    Le directeur général de l'OMS quitte un hôpital de Rio après un malaise    Moroccan female footballers shine with multiple nominations at CAF Awards 2024    Le Conseil supérieur des oulémas tient sa 34e session ordinaire les 29 et 30 novembre à Rabat    France : Une radio fermée suite à un « incident diplomatique » avec un député marocain    Le Conseil de gouvernement adopte un projet de loi relatif à la protection du patrimoine    L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal emprisonné par le régime algérien    Pêche méditerranéenne : baisse des volumes mais hausse des revenus    Croissance : l'Exécutif table sur 4,2% en 2027    CAF Awards 2024: Le Maroc présent en force dans les nominations féminines    Préparation. CAN (F) Maroc 25 / Les Lionnes face à deux sparring-partners    Qualifs. CDM 26. Asie / La Palestine, surprenante ! Le crash de Qatar aux EAU !    Arbitrage du Raja-Wydad: Finalement, pourquoi pas Collina!    Tournoi de L'UNAF U20: le Maroc fait match nul face à l'Algérie    Un corps retrouvé au large de Nador après une tentative de migration à la nage vers Melilla    Le président de la Cour Constitutionnelle appelle à encourager la culture du recours à la justice constitutionnelle    La Belgique expulse plus de 200 Marocains en 2024, 4x plus qu'en 2023    Morocco drops to 98th in Global Knowledge Index 2024    Moroccan YouTuber Weld Chinwiya detained amid human trafficking investigation    Innovation : BMCE Capital Bourse lance l'application BK Bourse avec le soutien de SIX    Sahara : Le plan d'autonomie repose sur le dialogue, le droit international et l'intérêt des populations, selon le parti au pouvoir au Brésil    Comme en 2023, l'Algérie préoccupée par les contacts entre le Maroc et l'Iran    Le Maroc accueille une retraite du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, une première dans la région MENA    Discours du président Xi Jinping au Sommet du G20 : Vers une gouvernance mondiale renforcée et un partenariat international    Upfund lève 1,2 million d'euros auprès de Bpifrance, CDG Invest et MNF Ventures    Le CESE préconise l'instauration d'un système obligatoire unifié entre les régimes d'assurance maladie    Mohamed Ould Errachid reçoit la présidente de l'Assemblée nationale de la République de Serbie    Les températures attendues ce jeudi 21 novembre 2024    Mise en avant du rôle du Maroc dans le renforcement de la souveraineté sanitaire africaine    Le temps qu'il fera ce jeudi 21 novembre 2024    Somalie: plus de 420.000 déplacés internes en 10 mois, selon le HCR    Tempête dans l'ouest du Canada: Des dizaines de milliers de foyers privés d'électricité    Mohammed Ben Abbes triomphe par KO face à Rémi Lefebvre    Censure : le régime algérien accuse Kamel Daoud d'avoir dit la vérité sur la « décennie noire »    Rabat : ouverture de la 11e édition du Festival Visa for Music    Rachid Benzine lauréat du «Grand Prix du Roman Métis»    MOGA Caparica consacré "Meilleur Festival du Sud de l'Europe" au Heavent Paris    Trois nouvelles salles Cinerji : le CCM investit 12 millions de dirhams pour relancer le cinéma marocain    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.




Publié dans Maroc Diplomatique le 19 - 03 - 2024

Je reprends ici un de mes vieux textes publié le 15-16 septembre 2007 dans le quotidien « Le Matin » dont j'étais le directeur de la Rédaction dans une rubrique hebdomadaire que j'avais créée et rédigeais chaque fin de semaine qui s'appelait « Au fil de la Semaine ». Ce texte s'intitulait « Ramadan, ma mère », que je vous propose de lire.
C'est une ambiance feutrée et étrange à la fois. Inaltérée à la limite, toutes saisons confondues. Or, l'hiver long et éternel comme la nuit, une lourde neige enveloppait de son blanc manteau les ruelles, ensevelies et ployées sous les combles. La petite cuisine de fortune, « al Kouchina » exhalait un parfum que l'on retrouve chaque année à la même époque au mois de Ramadan. Le coriandre et le coulis de tomates nous offraient l'avant-goût de la succulente « harira » qui se préparait . Les effluves fumants, dégagés d'un feu de bois consumé à grande cadence, envahissaient – rude hiver oblige – aussi bien la pièce que le reste de la maison. Il n'est pas jusqu'au toit dallé, dont une partie abritait sous une bâche drue des tonnes de bois bien coupé, cèdre et oukoumé ( karrouche) qui n'ait absorbé l'indolente texture de ce que notre maman mitonnait, engoncée dans son silence..
On plongeait dans les profondeurs de sa cuisine, ces voluptueuses fumées à quelques encablures, de retour du lycée Tarik Ibn Zyad – de son nom mythique Collège berbère d'Azrou -, alors que l'approche de la nuit, ce crépuscule timide de l'hiver coupaient déjà le jour d'un trait vers les dix-sept heures, nous emmitouflait dans ses mystères. Plus tard, en Europe, à Lille, à Hambourg, à Paris, là où je crus avoir installé mes pénates, la nostalgie pénétrante de tels instants – laissés derrière moi – nous enveloppait dans une sorte de vertige incandescent. Le béton, les tours luxuriantes, les buildings avaient tôt fait de rendre nos rêves mutilés et brisés.
A Azrou, cependant, le rituel ne changeait pas, jamais, il était resté le même. Et Lalla Chrif, puisqu'il s'agit d'elle, puisque c'est ma mère, courbée à la tache comme à son destin s'échinait dans cet inconfort quotidien pour nous rendre le mois sacré un peu moins dur et plus supportable. Personnage quelque peu bourru mais fantasque, menuisier de son état , reconnu , livresque à ses heures et admirablement respecté pour son entregent et son urbanité, Moulay Ali, mon père , avait ses habitudes, des goûts de bon vivant – disons d'Epicurien – qui le mettaient hors temps et même hors siècle parce que sa tradition à lui fut franchement de tout « claquer » en un jour. Comme ma mère, aussi, qui en concevait de la tourmente sur ce principe de ne pas pouvoir se soucier du lendemain qui la faisait busquer.
Et le Ramadan, comme une pièce de théâtre de l'envers, déroulait son rituel contradictoire où la vie, réduite à la foi, alternant aussi délectation enchanteresse et endurance vertueuse. J'en mesurerais plus tard, en Europe non sans une pointe de nostalgie, le poids et la force surtout, intellectuellement en l'occurrence : en 1974, exactement à Paris, alors que je me préparais à soutenir mon Mémoire de fin d'études à l'Ecole supérieure de journalisme de Lille ( ESJ), je m'étais inscrit à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), devenue ensuite Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales ( EHESS), boulevard Raspail dans le séminaire de Jacques Berque, celui qui deviendra mon « maître », orientaliste, sociologue de l'Islam s'il en est dont je suivais chaque mardi l'enseignement dans une petite salle du Collège de France, rue des Ecoles. Il y avait entre autres Anouar Abdelmalek, réfugié égyptien, auteur du fameux livre « L'Egypte société militaire », Mohamed Benyahia, fidèle de Ben Barka et un certain Bani Sadr, qui sera plus tard... président de la République islamique d'Iran.
Au Collège, sur le mur du petit bureau de Jacques Berque était accroché le portrait en noir et blanc de Louis Massignon dont il avait hérité la Chaire d'islamologie. Massignon, le « Maître » était un admirable érudit, auteur notamment du célèbre texte sur al-Hallaj. La même photo qui, onze ans plus tôt, avait attiré nos regards, mon ami Mohamed Malki et moi, au monastère de Tioumliline à Azrou, dans le bureau de Denis Martin, père supérieur et Prieur qui nous avait appris que Louis Massignon était un habitué du Centre bénédictin à la fin des années cinquante. Il était connu pour observer le jeûne au Ramadan avec les Musulmans. Sa passion pour le soufi Mansour al-Hallaj , brûlé en 922 à Bagdad était couronnée pour ainsi par la publication d'un monumental et poignant témoignage.
Le Jeûne, le mois sacré de Ramadan, avait ouvert ses propres sentiers, glorieux et ardus à la fois. Sa force emplissait nos âmes. Il ouvrait pour nous une spiritualité que l'engagement de Massignon – et dans ses pas Jacques Berque – confortait et accentuait tout autant. Le symbole, le vecteur de cette posture où l'ascétisme reste le sol de notre pratique, c'était cette petite ville, résistante de tous les temps où l'histoire s'est jetée à plusieurs reprises par effraction, la plongeant dans l'abandon voire dans un incommensurable mépris.
Notre Ramadan, agrémenté par la sollicitude de Lalla Chrif, venue un jour de Ksar Es-Souk ( Errachidia) , c'était aussi notre baptême de tous les jours, pour l'accès à une vie de partage, de souffrance même sous le signe d'un stoïcisme réinventé – donc des philosophes de l'Antiquité – mais à l'ombre d'un Massignon dont le regard de converti, la passion pour un Islam des Lumières, élevé constamment au haut des vertus, fédérateur des cœurs, nous donnaient l'exemple et nous éloignaient autant que faire se peut des tentations sirupeuses en tout genre...


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.