Dans trente ans, la population mondiale avoisinera les 9,7 milliards d'habitants. Deux tiers de ces personnes (a) vivront dans des zones urbaines densément peuplées et la planète connaîtra un boom de la construction sans précédent. Les logements, hôpitaux, écoles, bureaux, routes et autres innombrables infrastructures nécessiteront plus de ciment, d'acier, de verre et de plastique qu'il n'en a jamais été produit auparavant. Les industries qui fabriquent ces matériaux de construction essentiels sont déjà responsables d'un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Face à ces besoins prévisibles, la seule façon d'assurer un avenir durable — en particulier dans les économies émergentes où se produira 90 % de la hausse attendue — est de parvenir à une collaboration volontariste entre les entreprises, les pouvoirs publics et les investisseurs afin de décarboner l'industrie lourde. Cependant, s'affranchir des combustibles fossiles dans l'industrie du bâtiment ne sera pas chose facile. D'ici 2050, la demande mondiale d'acier devrait augmenter de 30 % et celle du ciment de 12 à 23 % (a). Or la production de ces matériaux essentiels nécessite des températures extrêmement élevées, donc de grandes quantités de combustibles fossiles. Pour fabriquer de l'acier brut, la première étape consiste à rompre la liaison chimique entre le fer et l'oxygène dans un haut fourneau à une température d'au moins 1 000 °C ; pour produire du ciment, le calcaire doit être chauffé dans un four à une température d'environ 1 300 °C. Actuellement, le principal moyen d'atteindre ces températures extrêmes est de brûler des combustibles fossiles, essentiellement du charbon qui émet de grandes quantités de dioxyde de carbone. D'autres dégagements de CO2 interviennent plus avant dans le cycle de production de l'acier et du ciment : ces « émissions de procédés » résultent des réactions chimiques se produisant au cours des opérations de fabrication. En conséquence, il est primordial pour les économies de soutenir dès aujourd'hui la croissance et la compétitivité des fabricants qui donnent la priorité à la durabilité environnementale, mettent en œuvre des processus circulaires, respectent des pratiques de responsabilité sociale et de bonne gouvernance et investissent dans la recherche et le développement afin de transformer leurs industries en moteurs de croissance écologiques. Carburants renouvelables, durcissement du carbone ou captage et stockage du CO2 : ces technologies innovantes qui permettent de réduire les émissions de l'industrie lourde suscitent de l'intérêt parmi les entreprises manufacturières comme chez les investisseurs. Le déploiement à grande échelle de ces solutions de pointe supposera toutefois d'énormes investissements en capital à des conditions commerciales attractives. Certaines technologies, qui en sont encore à leurs balbutiements, devront en outre gagner en crédibilité. Les processus circulaires, par exemple, pourraient contribuer à décarboner environ 80 % des émissions totales issues du ciment et du béton d'ici 2050, selon un récent rapport de McKinsey (a). Des travaux de recherche et de développement supplémentaires, conjugués à la mise en place d'écosystèmes porteurs, seront également nécessaires pour aider l'industrie lourde à faire sa mue. Mais si l'ensemble de ces conditions sont remplies, l'impact pourrait être massif. Différentes stratégies peuvent contribuer à faire évoluer les entreprises, leurs clients et les investisseurs. Les pouvoirs publics et d'autres parties prenantes, y compris la Société financière internationale (IFC), œuvrent dans ce sens avec le secteur privé afin d'aider les acteurs de l'industrie lourde à verdir leurs modes de production , tout en engrangeant des économies et un avantage concurrentiel. Cette année, IFC a mis 120 millions d'euros à la disposition de Sococim, le plus grand cimentier du Sénégal, pour qu'il modernise ses installations et devienne l'un des fabricants les moins polluants au monde. Cette opération permettra aussi d'accélérer la création d'emplois et le développement en Afrique de l'Ouest, où la croissance démographique, l'urbanisation et la demande de nouvelles infrastructures sont en plein essor. Les améliorations apportées par Sococim et d'autres sont un pas dans la bonne direction, mais il faudra en faire bien davantage pour être à la hauteur des défis de cette transition énergétique. Nous devons procéder à des changements systémiques d'une ampleur inédite pour mettre le secteur des matériaux de construction sur la voie de la neutralité carbone d'ici 2050. Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'intensité carbone directe de la production de ciment a augmenté d'environ 1,5 % par an entre 2015 et 2021, mais elle devra diminuer de 3 % par an jusqu'en 2030 pour atteindre l'objectif de zéro émission nette. La situation est analogue pour les fabricants d'acier, dont les premiers progrès en la matière sont encore insuffisants. Notre dernière publication (a) sur la décarbonation des industries lourdes détaille un grand nombre de défis à relever et d'axes d'action pour y parvenir. Les gouvernements peuvent stimuler l'innovation en accordant des allègements fiscaux et des subventions pour compenser les coûts et les risques de la décarbonation. Ils peuvent aussi mettre en place des réglementations équilibrées, des normes d'énergie propre et des partenariats public-privé pour investir dans des infrastructures qui soutiennent la réutilisation et le recyclage. Des collaborations entre les fabricants locaux, les marques mondiales et les partenaires de la chaîne de valeur commencent également à prendre forme, en donnant naissance à des initiatives de décarbonation qui apportent déjà des améliorations sensibles. Le Programme mondial de crédit aux fournisseurs pour le financement du commerce (GTSF) (a) en fait partie. Ce programme d'IFC, qui réunit fournisseurs locaux, grandes marques internationales et banques, utilise des financements incitatifs pour rendre les chaînes d'approvisionnement plus respectueuses de l'environnement et établir des normes et des certifications pour institutionnaliser des pratiques respectueuses du climat ainsi que des environnements de travail équitables. À long terme, la décarbonation peut améliorer l'efficacité opérationnelle et renforcer la réputation des marques,car les consommateurs et les conseils d'administration insistent de plus en plus sur l'adoption de produits plus propres et plus écologiques. Alors que les économies émergentes d'aujourd'hui deviennent plus urbaines, plus industrialisées, plus riches et plus peuplées, nous avons une occasion sans précédent de les aider à aller vers un avenir de production plus vert, sans provoquer le type de dommages environnementaux et climatiques que nous avons connus dans le passé. Femi Akinrebiyo, Responsable Financement de l'industrie manufacturière et des chaînes d'approvisionnement, IFC