«Je pense que ça va être un désastre biblique». Cette prédiction d'un stratège démocrate reflète bien le pessimisme ambiant qui règne parmi les membres de son parti à six mois des élections de mi-mandat aux Etats-Unis. Joe Biden a le vent contre lui. Entre la hausse du coût de la vie, le spectre d'une nouvelle vague massive de migrants et la guerre en Ukraine, le président américain n'arrive pas à faire monter son taux de popularité qui stagne autour des 40%. L'inflation est le problème numéro un. Elle atteint un taux de 8,5%, un record en 40 ans. Tout a donc terriblement augmenté, de l'essence à l'alimentation. La vie chère n'a jamais été un bon slogan électoral. En 1982, lorsque l'inflation était également très élevée, les républicains lors des législatives de mi-mandat avaient perdu 26 sièges, alors que Reagan était président. Cette année, les conservateurs vont tourner la situation à leur avantage. Ils vont aussi utiliser la menace d'un nouvel afflux de migrants, lorsque le décret de Donald Trump, le titre 42, qui fermait les frontières aux étrangers sans visas pour raisons sanitaires, le Covid, sera levé le 23 mai. Le ministère de la sécurité intérieure s'attend à ce que 18.000 personnes par jour essaient d'entrer aux Etats-Unis, contre 7000 ces derniers temps. Un nombre qui inquiète les Etats du sud riverains du Rio Grande, et préoccupent même certains élus démocrates, tel l'ancien astronaute Mark Kelly, sénateur de l'Arizona qui craint pour sa réélection. La guerre en Ukraine a valu à Joe Biden certains éloges des deux partis pour la façon dont il a réussi a former un front commun des puissances occidentales face à la Russe. Cela toutefois ne lui a rapporté aucun rebond dans les sondages. Les républicains lui reprochent de ne pas faire assez pour les Ukrainiens. Il vient pourtant d'envoyer une aide militaire supplémentaire de 800 millions de dollars. Par ailleurs, la gestion de la crise occupe un temps précieux qu'il ne peut employer à voyager plus souvent à travers le pays pour souligner les bienfaits de sa politique sur la vie quotidienne des Américains. Pour ce qui est du Covid, en dépit d'une amélioration indiscutable, Joe Biden reste à la merci du virus. Moins de morts, moins d'hospitalisations, mais le nombre de cas de nouveau a augmenté de 4,5%, le sous-variant Ba.2 n'épargnant pas les élites. La présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, le ministre de la justice, Merrick Garland, et celle du commerce, Gina Raimondo, ont été récemment parmi de nombreux autres, forcés à la quarantaine. → Lire aussi : France/Présidentielle: le débat Macron-Le Pen suivi par 15,6 millions de téléspectateurs De plus, Biden n'a pas réussi à obtenir les 15 milliards qu'il réclamait pour la recherche et la prévention d'un futur virus. Les républicains, avec certains démocrates, ont trouvé la demande trop chère. Cette convergence de problèmes crée un climat de morosité chez les électeurs. Et pourtant, le bilan de l'administration Biden est loin d'être négatif. Pour faire baisser le prix de l'essence, la Maison Blanche puise dans les réserves stratégiques, au rythme d'un millions de gallons par jour. Un carburant moins coûteux, à base d'éthanol, va être mis sur le marché pour l'été. Le gouvernement vient également d'autoriser de nouveau – au grand dam des environnementalistes – les forages pétroliers sur une partie des terres fédérales pour renforcer l'indépendance énergétique du pays. Parmi les succès de Joe Biden, son plan de sauvetage de près de 2 milliards de dollars, alors que la pandémie faisait rage, ainsi que son programme de modernisation des infrastructures. Grâce à cela, près de 8 millions d'emplois ont été crées et le taux de chômage est passé de 6,4% en janvier 2021 à 3,6% aujourd'hui. Alors les Américains seraient-ils ingrats à l'égard de leur président? L'éternel problème des démocrates, c'est qu'ils ne savent pas « se vendre», avancent certains experts et des sympathisants du parti. « Ils assument que quand ils font quelque chose de bien, le public leur en sera reconnaissant. Cette humilité leur a souvent coûté cher », avance-t-on. L'ancien président démocrate, Barack Obama avait sauvé l'économie après la crise financière de 2008 mais n'en a jamais obtenu les bénéfices politiques. Un stratège démocrate recommande de crier haut et fort un message d'optimisme: « Nous battons le Covid, nous battons les Russes, et nous allons battre l'inflation». Autre inquiétude pour le parti au pouvoir, sa clientèle la plus loyale, celle des noirs a perdu de son enthousiasme pour Joe Biden. Les Afro-américains sont déçus qu'aucune réforme de la police n'ait été adoptée depuis la mort de George Floyd, et qu'aucune loi sur le droit de vote n'ait été approuvée. Les démocrates espèrent que la nomination de la juge Ketanji Brown Jackson les aidera à ramener ces électeurs au bercail. Les hispaniques eux aussi commencent à déserter. Certes, 50% leur restent fidèles, mais 26% lorgneraient vers le parti républicain. Même si certains démocrates font preuve d'optimisme disant que d'ici novembre, les choses peuvent changer pour le mieux, la majorité ne se fait guère d'illusions. Même en temps normal, le parti au pouvoir perd toujours des sièges lors des élections de mi-mandat. Bill Clinton avait perdu 54 sièges à la Chambre en 1994, et Obama, 63 en 2010. Ce qui ne les avaient pas empêché d'être réélus deux ans plus tard. Cette année, les démocrates qui font face à un électorat déprimé, ne peuvent se permettre, pour conserver leur majorité, de perdre qu'un nombre limité de sièges à la Chambre des représentants, et aucun au sénat. Ce qui pourrait limiter la casse: une décision en juin de la Cour suprême abolissant la légalité de l'avortement, un facteur qui mobiliserait l'électorat féminin, ou encore le soutien de Trump à des candidats trop radicaux pour être élus. Donald Trump pourrait-il être le sauveur des démocrates ? Cela ne manquerait pas de sel!