(Gėopoliticien) Les lobbyistes ne chôment pas. Leurs commanditaires se frottent les mains et passent néanmoins à la caisse. De jeunes chercheurs, en quête d'un jackpot inespéré, font la queue en rêvant d'une consécration providentielle. D'anciens diplomates portant la casquette de samaritains, en mal de réincarnation et à la conscience factice tardivement réveillée, font le guet pour se refaire une nouvelle santé. Des analystes de fortune sont à l'affût d'une information idoine pour arrondir leurs fins de mois. Plaisanterie mise à part, il est constaté une floraison d'articles et d'analyses sur la situation dans la sous-région maghrébine depuis que l'échiquier géopolitique a relativement changé avec la reconnaissance de la marocanité des Provinces du Sud par les Etats-Unis. Cette reconnaissance a plongé dans l'ambiguïté certaines puissances européennes. Elle a provoqué également la désillusion de certains pays africains intéressés par la persistance de l'animosité entre l'Algérie et le Maroc, dont ils ont largement profitée. Cette floraison devient plus insistante à la veille de la tournée diplomatique de Staffan Mistura, nouvel Envoyé Personnel du Secrétaire général des Nations Unies au Sahara. On ne va pas épiloguer sur la pertinence (et le timing) de cette tournée, le privilège en est laissé aux analystes chevronnés et aux experts avérés de la géopolitique de la région. On se focalisera sur l'apport de certaines plumes réputées dans la répétition en saccade d'arguments obsolètes dans l'appréhension des affaires maghrébines. On fera également allusion aux invocations de diplomates occidentaux à la retraite ou en souffrance d'idées et aux allégories ostentatoires dont ils raffolent depuis des mois pour avoir droit au chapitre. La tournée programmée de Staffan Mistura fait couler beaucoup d'encre. L'événement ne déroge pas à la pratique désormais acquise, celle de l'effervescence avec laquelle les différents intérêts politiques et diplomatiques, intéressés par la question du Sahara, se mobilisent chaque année, en prévision de la publication du rapport du Secrétaire général, préalable à son examen par le Conseil de Sécurité et l'adoption d'une résolution en la matière. Pas intéressant de revenir sur le sujet alors ? Au contraire, et pour cause. En effet, la situation, cette fois-ci, est plus originale, plus passionnante et plus intriguante en termes d'attentes et de spéculations. Elle est originale, en ce sens qu'au lendemain du 10 décembre 2020, quelque chose d'extraordinaire a eu lieu. Un séisme géopolitique qui a pris plusieurs intervenants de court. Les analyses à chaud et les spéculations a posteriori se sont avérées plus sémantiques que pertinentes. Le statu quo dynamique des relations intermaghrébines est ébranlé. Le choix rationnel de certaines parties au conflit se tamise avant d'être avalé par l'incertitude et la confusion. Ensuite, les tractations pour y voir plus clair. Des chancelleries diplomatiques se sont plantées. Que se passe-t-il ? On se rabat alors sur les archives pour y déceler un iota d'intelligibilité à même de crever l'abcès. Peine perdue. Il aura fallu attendre une année pour que tout le monde se rende à l'évidence : la perception géopolitique de la question des Provinces du Sud par la majorité des pays a radicalement changé. Et la résolution 2602 du 29 octobre 2021 clarifie tout. Elle confirme les paramètres arrêtés depuis 2007 pour la résolution de ce conflit régional. Elle y met encore une fois en index l'Algérie comme la partie principale. La résolution met évidence le rôle de pâte à modeler que joue le Polisario, dont le rêve de se voir ériger en une 'entité indépendante' se transforme en cauchemar. Le mouvement n'aurait pas compris qu'une entité dont l'histoire est controversée, ne peut avoir ni la mémoire ni les réflexes de la gestation pré-naissance l'habilitant à dessiner les grandes lignes (ou à déterminer) l'avenir de la géopolitique régionale. Car le néant dans la confection des attributs de l'Etat ne peut produire que le néant. Les timoniers de la 'zone de confort' secoués Et alors que la situation se complique, des acteurs timoniers de 'la zone de confort' se mettent à gesticuler. Ils procèdent par étapes comme au bon vieux temps. Curieusement, ils ne retiennent pas la leçon de leur échec passé. Ils privilégient toujours la littérature du juridisme dépassé pour se refaire une nouvelle virginité. Ces timoniers avalent leur langue sur l'argumentaire de Mohammed Bedjaoui au sujet du Sahara, quand, en 1974, devant la Cour international de Justice, il s'est étalé sur les notions de 'Terra Nullius', de 'droits historiques' et d'autodétermination pour défendre une thèse biaisée soutenue par l'Algérie (K. F. Sadni : 'La manipulation du droit international : retour de manivelle', M.D du 2 août 2021). Ils gardent le silence, car les cas de la Kabylie, des Touaregs et des frontières avec les voisins se présentent comme une évidence. Ces dossiers leur donnent du fil à retordre, parce que susceptibles d'être exploités par les mêmes intérêts. Ces derniers seraient tentés de se ressourcer dans le même argumentaire en vue de participer au morcellement de l'Algérie. Les défenseurs du juridisme obsolète préfèrent mettre la pression sur le Maroc et particulièrement sur les Provinces du Sud pour détourner l'attention. Au départ, ils choisissent une nouvelle forme de propagande visant à faire la corrélation entre la question des Provinces du Sud et la Palestine. Peine perdue! alors, on garde le même raisonnement et on étend la corrélation à l'Ukraine et la Russie. Les commanditaires recourent ainsi à des chercheurs-journalistes qui font de la question du Sahara un fonds de commerce. Il en est ainsi de Stephen Zunes qui publie un article sous le titre : 'U.S. Western Sahara Stance Emboldens Putin', in The Progress Magazine, January 6, 2022. Que dit l'auteur ? Il reprend le même juridisme qui se noie dans les nuances. Il revient sur la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur son Sahara. Il regrette que les Etats-Unis affichent la carte du Maroc dans son intégralité dans toutes les administrations et agences gouvernementales. Il développe un argumentaire qui laisse pantois. Il parle de la zone tampon comme étant contrôlé par le Polisario. Il tente de présenter les populations du Sahara comme étant distinctes des autres composantes de la société marocaine. Il se rabat sur la littérature des organisations internationales des droits de l'Homme (pas toujours objectives ou impartiales à l'égard des pays tels que le Maroc). Il fait une allusion à la Syrie etc., en tombant dans des contradictions flagrantes. Toutefois, l'objectif principal de l'article est de faire le parallélisme entre le Maroc et la Russie les mettant dans le même panier, sous-entendant qu'ils partageraient 'les mêmes ambitions hégémoniques' dans les Provinces du Sud et à Donbass en Ukraine, une région contrôlée par la dissidence d'origine russe, notamment à Lougansk et à Donetsk. Plus qu'une analogie ahurissante, il s'agit d'un exercice de mauvais goût et une d'une intention de mauvaise foi. L'auteur termine son papier en exhortant le président Joe Biden de revenir sur la reconnaissance de la marocanité des Provinces du Sud. Rien de plus surprenant, Zunes est co-auteur, avec Jacob Mundy, d'un livre intitulé : 'Western Sahara : War, Nationalism, and Conflit Irresolution', Syracuse University Press, 2010. Il reste accroché à une lecture qui est récusée par la réalité sur le terrain ; une réalité qui puise sa force dans une légitimé historique, culturelle, institutionnelle et psychologique confirmant que les Provinces du Sud ont toujours fait partie du Maroc. Divagation juridique et analogie d'un autre temps Zunes croit percevoir mieux où se situerait l'intérêt national des Etats-Unis, comme si les planificateurs politiques et stratégiques américains étaient d'illustres inconnus. Il croit qu'ils seraient incapables de comprendre les méandres de la géopolitique maghrébine et passeraient à côté des changements qui s'opèrent au sein du système international en termes de structure et de processus. La démarche de Zunes rappelle celle de nombreux chercheurs qui font d'une publication unique, une sorte de manifeste politique ou de livre sacré cherchant à transposer leurs conclusions à tous les conflits 'irrésolus' -pour reprendre son expression-. Zunes rappelle enfin l'exemple d'Ibrahima Fall, chercheur et ancien homme d'Etat sénégalais, qui pour avoir fait un doctorat d'Etat sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, cherchait à le voir appliqué dans les Provinces du Sud. Il l'aurait fait, à l'époque, par inadvertance ou par calcul politique au moment, ironie du sort, où le Sénégal était menacé par la dissidence au Casamance : (Fall I. Ibrahima : 'Contribution à l'étude du droit des peoples à disposer d'eux-mêmes en Afrique', impr. Mécanographique Daguerre, 1972.) Ces exemples sans parler d'Amel Nesrine Lamamra, fille du ministre des affaires étrangères algérien qui, pour faire plaisir à son père et nourrir ses ambitions politiques, a soutenu une thèse de doctorat sur la question du Sahara. Intitulée 'Conflit prolongé en Afrique : construction sociale de souveraineté et guerre au Sahara occidental'. La chercheuse de luxe s'est faite l'avocate de l'existence imaginaire d'une entité artificielle pour redorer le blason de son père auprès des décideurs algériens. Les ambitions du père sont toujours intactes et ne s'arrêteront, semble-t-il pas, à la position quoiqu'inconfortable qu'il occupe dans la lutte pour le pouvoir en Algérie. Des chercheurs-journalistes, il y en a aussi qui se plaisent dans l'amalgame sans crier gare. Il en est ainsi de l'article publié par Samia Errazouki, journaliste et jeune doctorante, dans un papier intitulé : 'Morocco's Diplomatic Morass' publié dans la livraison de Foreign Policy du 04 janvier 2022. Des analyses ont déjà été consacrées à cet article par d'autres commentateurs qui y ont relevé de nombreuses incohérences et de faits dépassés. On aurait pu débattre avec l'auteure ses arguments, notamment sur la prétendue baisse de l'aura du Maroc auprès de certains centres de décision américains. Cependant le fait qu'elle reprenne les thèses de James Inhofe et de Patrick Leahy, deux sénateurs réputés pour leur hostilité aux intérêts du Maroc et qu'elle se fasse l'écho des propos de Christopher Ross, qui n'en finit pas de se plaindre d'avoir perdu son poste, en tant qu'Envoyé Personnel du Secrétaire général au Sahara, à cause du Maroc, posent de interrogations sur son objectivité. Outre qu'elle n'a pas jugé utile de citer des opinions contraires à celles des personnalités précitées pour équilibrer son papier, elle adopte une position suspicieuse en s'attaquant à la personne du chef de la diplomatie marocaine. Une attitude qui laisse deviner que l'article serait sponsorisé ou du moins inspiré par son militantisme éclos en 2011 dans la foulée du printemps arabe. Des convictions qui se sont heurtées à la réalité du terrain. Si ces convictions sont à respecter, elles n'en posent pas moins une question fondamentale sur la confusion que la rédactrice nourrirait entre défendre les droits de l'Homme (tout à son honneur) et se faire piéger par les thèses des adversaires de son pays d'origine, comme certains de ses écrits le montrent. Elle aurait été plus lucide en s'inspirant de l'attitude de certains opposants algériens, taxés par les autorités algériennes de terroristes, qui, bien qu'ayant des divergences profondes avec le gouvernement de leur pays, n'en défendent pas moins farouchement sa position sur le Sahara. Des chercheurs-journalistes, mais aussi d'anciens diplomates occidentaux à la retraite qui n'acceptent pas d'avoir échoué à exécuter un agenda qui remonte aux années 1970 pour résoudre la question du Sahara au détriment des intérêts du Maroc. D'anciens Envoyées Personnels du secrétaire général au Sahara ou de chargés d'études dans des think tanks dédiés au Moyen Orient et à l'Afrique du Nord, en font partie. Avérés et sages, comme ils prétendent l'être, ils finiront par se lasser, se calmer et voir ailleurs. Une chose est encore plus avérée dans ce cas d'espèce : la géopolitique dans la sous-région maghrébine s'est transformée et la création d'entités artificielles ou l'accommodation de certains acteurs hégémoniques nostalgiques de la guerre froide n'est plus une option. Le Sahara marocain n'est plus un fonds de commerce entre les mains de certains centres de pouvoir et leurs affiliés, importent peu les motivations réelles qui les animent. La résolution de ce conflit artificiel doit se faire dans le cadre de l'offre marocaine et rien d'autre. Les dernières positions diplomatiques prises qui y sont favorables -y compris par des gouvernements qui sont très à cheval sur le juste équilibre entre les principes et les intérêts-, en sont l'illustration la plus éloquente.