Interrogations sur un processus L'épisode du retrait de confiance exprimé par le Maroc à l'encontre de l'Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies pour le Sahara occidental, Christopher Ross, et les suites que cette démarche a connues, ont initié plusieurs débats dans la presse, dans le monde académique marocain, ainsi qu'au sein des instances représentatives de ce pays, sur les orientations que sa diplomatie a prises dans la gestion du dossier du Sahara. Au-delà de ces débats, utile est de rappeler que Ross n'est qu'un élément, parmi tant d'autres, d'un système onusien de gestion du dossier du Sahara. Cette réalité a été exprimée par la diplomatie marocaine, qui a fourni un argumentaire circonstancié appuyant sa démarche de retrait de confiance. Il s'agissait en effet de la partialité avérée de Ross qui transparaissait dans ses différentes initiatives, ainsi que dans le processus de rédaction du rapport du Secrétaire général des Nations Unies en date du mois d'avril 2012. Le cadre de la médiation Il apparaît ainsi que le principe même d'une médiation est à réévaluer au regard des enjeux et des fondements du dossier du Sahara, ainsi qu'au regard des réalités politiques entourant ce processus mené par le Secrétaire général des Nations Unies. Cette réévaluation permettra de vérifier la pertinence du processus actuel en examinant à la fois son cadre, ainsi que les conséquences qui en découlent. La recherche d'une solution mutuellement acceptable Ce cadre est posé par le Conseil de sécurité qui, dans sa résolution 2044, adoptée le 24 avril 2012, réaffirme «(...) sa volonté d'aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable (...)». Dès lors, tous les efforts de la médiation des Nations Unies ont pour objectif d'atteindre une telle solution. Or, par définition, une solution mutuellement acceptable est quasiment impossible. En effet, le principe d'une médiation est de permettre aux parties d'atteindre un point médian qui satisfait leurs intérêts respectifs. Néanmoins, la réalité du différend saharien veut que les deux positions exprimées soient exclusives l'une de l'autre : le Maroc souhaite une discussion sur le fond qui permettrait de mettre en place une solution réaliste, à savoir une autonomie avancée dans le but d'assurer une gouvernance territoriale des plus pertinentes dans le cadre du processus de régionalisation avancée, tandis que les séparatistes affirment vouloir mettre sur la table l'option de «l'indépendance». Or, entre le séparatisme et l'autonomie avancée, il n'existe pas de solution médiane mutuellement acceptable. La question de l'identification des parties L'Etat actuel de la gestion du dossier du Sahara dans le cadre onusien identifie les deux parties à ce «différend» comme étant le royaume du Maroc, d'une part, et les séparatistes du «Front Polisario» d'autre part. Cet état de fait est démontré par les rapports du Secrétaire général des Nations Unies sur la question du Sahara qui identifient le Maroc et les séparatistes comme parties et l'Algérie comme pays voisin. Ce positionnement compromet par essence la résolution de la question du Sahara car il procède d'une profonde méconnaissance de la réalité du dossier. En effet, les séparatistes n'ont aucun statut juridique leur permettant une quelconque reconnaissance. Leur existence même sur le plan international ne dépend que des régulières et généreuses transfusions financières, logistiques et militaires que leur gratifie Alger. De ce fait, exclure l'Algérie de la catégorie de «partie au différend» revient, pour les Nations Unies, à omettre son rôle majeur dans la genèse ainsi que dans l'enlisement du conflit autour du Sahara, et donc à hypothéquer la résolution de celui-ci. Ainsi, l'œuvre de médiation dégage ses propres limites par la non-implication réelle et directe de l'Algérie dans la recherche d'une solution à la question du Sahara, implication qui se doit d'être à la hauteur de son soutien matériel et doctrinal aux séparatistes qui en font une réelle partie impliquée. La question des propositions des parties pour la résolution de la question du Sahara Le cadre de la médiation menée par l'Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies est fixé notamment par les résolutions du Conseil de sécurité dont la dernière en date, celle du 24 avril 2012, différencie l'Initiative présentée par le Maroc, accueillie sur un ton élogieux, du projet remis des mains des séparatistes, cité, lui, dans un style dépouillé : «Prenant note de la proposition marocaine présentée au Secrétaire général le 11 avril 2007 et se félicitant des efforts sérieux et crédibles que fait le Maroc pour avancer vers un règlement ; prenant note également de la proposition du Front Polisario présentée au Secrétaire général le 10 avril 2007 (...)». Mais quand bien même la substance de la proposition marocaine a été saluée par de nombreux Etats pour son réalisme, son poids réel n'est pas pris en compte à sa juste valeur dans le processus de médiation. Les effets du cadre de médiation vis-à-vis des perspectives de résolution du différend saharien L'enlisement du processus de médiation est un constat d'une criante évidence. En effet, aucune avancée réelle n'a été observée sur le fond du dossier, et les causes de ce blocage sont multiples. La prévalence des intérêts étatiques étrangers au détriment d'une solution juste pour le Sahara La gestion actuelle de l'affaire du Sahara par le Conseil de sécurité laisse peu de place à une solution juste et durable. En effet, le Conseil de sécurité est un organe éminemment politique où les Etats membres défendent en premier lieu leurs intérêts respectifs. A ce titre, et au regard du positionnement de l'Algérie sur plusieurs questions sécuritaires dans la sous-région sahélienne, il n'est pas dans l'intérêt des membres permanents du Conseil de sécurité de porter préjudice aux intérêts algériens dans la question du Sahara. L'Etat algérien use donc de sa position dans la sous-région et des intérêts de certaines grandes puissances afin de se voir garantir l'observation des lignes rouges qu'il a lui-même établies, comme l'illustre le refus systématique du Conseil de sécurité d'intimer au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) et au pays hôte des camps de Tindouf, l'Algérie, de procéder à l'enregistrement des populations y vivant. Pourtant, la question du recensement des populations de Tindouf devrait être une priorité pour la Communauté internationale et pour les Etats membres du Conseil de sécurité pour deux raisons. En premier lieu, il s'agit d'une question humanitaire ainsi que de la stricte application du droit international en la matière. Un recensement conduit par le HCR en conformité avec la législation internationale permettrait d'identifier et d'enregistrer de façon transparente les prétendants à la qualité de réfugié, de mener un entretien individuel et confidentiel avec chacun d'eux afin de déterminer librement sa volonté de rentrer au Maroc, de se réfugier dans un autre pays ou de se maintenir dans les camps de Tindouf. En second lieu, la question du recensement devrait impacter positivement le processus de médiation, puisque de nombreuses problématiques y soulevées sont en lien direct avec les populations des camps de Tindouf. Comment mener efficacement des discussions sur une population dont on ignore l'identité et le nombre ? L'enfermement du processus dans des questions accessoires Il s'agit d'une réalité évoquée par la diplomatie marocaine en appui de sa décision de retrait de confiance et qui fut aussi soulevée par le Secrétaire général des Nations Unies qui a affirmé, dans son rapport au titre de l'année 2012, que des avancées sont constatées sur les questions de déminage, de mesures de confiance mais qu'aucune avancée dans le fond n'a été réalisée. La raison de cet enlisement est, comme nous l'avons vu, l'exclusion de l'Algérie du processus de médiation. Et comme c'est elle qui tient les rênes des séparatistes, son exclusion ne permet pas au Maroc de s'adresser directement à l'acteur principal du problème du Sahara. La légitimation d'une situation injustifiable au regard du droit international Une autre conséquence de la non-implication de l'Algérie dans le processus de médiation est la visibilité des séparatistes du «Polisario» sur la scène internationale. La stratégie algérienne consiste ici à faire apparaître la question du Sahara comme celle d'un différend entre le Maroc et cette entité séparatiste alors que la réalité est tout autre. Ainsi, le Maroc consentit un immense sacrifice en se joignant à la même table des négociations que les séparatistes - au moment où l'existence même de ces derniers ne repose sur aucun fondement légal, institutionnel, historique, démographique ou territorial - avec la seule motivation de préserver la paix et la sécurité internationales. L'erreur de la communauté internationale de ne pas mêler l'Algérie au processus de médiation, comme son rôle réel l'exigerait, a eu donc pour conséquence l'enlisement de celui-ci dans une spirale vicieuse. Zoom sur le CEI Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Chercheur en relations internationales Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales*