La reconnaissance par les Etats-Unis de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara est une décision qui n'est pas sans conséquences, notamment au niveau stratégique. En tout cas, c'est ce que pense Emmanuel Dupuy le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), contacté par MAROC DIPLOMATIQUE. On n'est pas sans savoir que la décision du président Trump de reconnaître la marocanité du Sahara a constitué un point de basculement historique dans le dossier du Sahara. Mais, la réaction immédiate de l'Organisation des Nations Unies (ONU) à l'égard de cette reconnaissance montre, sans ambages, le bouleversement ressenti dans les couloirs des Nations-Unies. Dans ce cadre, le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), un think tank spécialisé dans les questions de défense, géopolitique, géoéconomie et géostratégie, Emmanuel Dupuy rappelle que c'est la première fois qu'un pays membre du Conseil de sécurité franchit ce pas, ce qui constitue un tournant stratégique dans le processus visant à trouver une solution au différend autour du Sahara marocain. Une décision qui est à la fois fortement matinée de calculs politiques, selon cet expert, puisqu'elle advient dans la dernière ligne droite de la présidence américaine. « Cette négociation, qui avait commencé avec Jared Kushner en 2018, revêt un caractère très politicien dans la mesure où le président Trump veut montrer que lui arrive à pacifier les conflits gelés depuis maintenant près de 40 ans », commente notre source. Sur la reprise des relations avec Israël, le président de l'IPSE a souligne qu' « il faut se réjouir que le Roi Mohammed VI et Abou Mazen se soient parlés. Néanmoins, dans les précédents cas, que ce soit avec les Emirats arabes unis, le Bahreïn ou le Soudan, la décision de reconnaître Israël n'était pas ouvertement liée à l'idée de reconnaitre la Palestine». En concrétisation de cette initiative, un décret présidentiel a été promulgué, avec ce que cet acte comporte comme force juridique et politique indéniable et à effet immédiat. Emanant d'une diplomatie bilatérale entre les Etats-Unis et le Maroc, ce document, selon Emmanuel Dupuy, aura ainsi une portée juridique au niveau des Nations Unies, dès qu'il sera voté et validé par l'Assemblée Générale de celles-ci. Par ailleurs, la décision US va engendrer plusieurs changements. D'un point de vue géostratégique, « Les Etats-Unis ont tout intérêt à re-piloter vers l'Atlantique en s'appuyant sur des pays puissants, structurés avec lesquels ils entendent avoir les mêmes objectifs, en plus il y a une conjonction d'un agenda tout à fait intéressant pour le Maroc que pour les USA, c'est que la prochaine présidence semestrielle de l'UE (1er semestre 2021), assurée par le premier ministre portugais Antonio Costa, sera plus encline à écouter et à regarder avec intérêt les doléances marocaines, ce qui fait que les positions de certains pays de l'UE pourraient évoluer sur la question du Sahara », explique cet expert. Cette reconnaissance américaine aura donc des conséquences stratégiques majeures, dans la mesure où elle va créer les conditions favorables à ce que le dossier de l'africanité du Maroc prenne tout son sens et tout son corps, notamment dans la verticale Europe-Afrique en passant par le corridor marocain d'axe géographique entre le nord et le sud du Maroc, « il y a une ouverture sur le continent africain, dans une dimension atlantique et ouest-africaine et dans une jonction entre l'agenda maghrébin, ouest-africain et sahélien. Donc, je pense qu'il y aura sans doute une accélération diplomatique avec un agenda très prégnant lié à la mise en place de la zone de libre échange continentale africaine (ZLECAF), pour une intégration économique », nous dit Dupuy. Et d'ajouter : « ce qui conforte l'idée aussi que la marocanité du Sahara va de pair avec l'africanité de l'agenda du Maroc, de ce point de vue, je pense que les choses sont très bien calées en termes d'agenda. Ainsi, l'étape supplémentaire, après le retour du Maroc dans l'Union Africaine en janvier 2017, est son entrée dans la CEDEAO telle que le Maroc en a formulé la demande depuis février 2017 ». Sur un autre aspect de la décision américaine, l'ouverture d'un consulat à Dakhla, à vocation essentiellement économique, pourrait s'avérer être un nouveau souffle à la dynamique déjà existante dans le développement des provinces du sud. Pour cet expert, « les Américains ont parfaitement compris, comme beaucoup d'investisseurs qui se sont déjà mobilisés dans les provinces du Sud, que les réserves halieutiques, qui représentent 2% du PIB constituent un enjeu absolument considérable et qui a justifié le fait que l'Union Européenne prenne en compte les très enrichissantes propositions liées au plan Maroc Bleu et les différentes initiatives, notamment, l'INDH ». L'intérêt américain, selon Emmanuel Dupuy, réside aussi dans « l'interconnexion avec l'agenda sécuritaire comme l'agenda économique », et de ce point de vue, « la manière dont les Etats-Unis sont activement présents en Mauritanie et surtout le fait que le Maroc fait l'objet d'une attention très particulière comme premier partenaire ou en tout cas partenaire stratégique de l'OTAN, c'est parce qu'il y a une concomitance entre l'agenda de la sécurisation économique et de la sécurisation tout court et je crois que c'est un élément qui a été déterminant dans la décision américaine ». Rappelons que la position des Etats-Unis rejoint d'ailleurs la position des dizaines de pays qui se sont félicités de l'action mesurée du Maroc en vue d'assurer la liberté de circulation au poste-frontalier d'El Guerguarat.